Le Big air en pleine polémique

Répartis sur trois pôles entre Pékin, Yanqing et Zhangjiakou, plusieurs infrastructures et équipements sportifs de l’édition précédente sont réutilisés cette année. Le stade national est cette fois-ci encore le théâtre des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux, alors que le centre aquatique national, qui abritait les compétitions de natation et de plongeon en 2008, a été spécialement rénové pour la compétition de curling. Pour le palais omnisport de la capitale qui avait accueilli le tournoi de volley en 2008, il héberge cette saison les épreuves de patinage artistique et de short track. 

Cependant, quelques sites et infrastructures ont inéluctablement été érigés pour cette édition, notamment  le désormais iconique Big air de Shougang. Conçu en partie par l’architecte belge Nicolas Godelet, et achevé en 2019, il est implanté en plein cœur de l’ancien site industriel du parc Shougang et accueille les épreuves freestyle de ski acrobatique et de snowboard. Si le site a tant fait parler de lui c’est qu’il offre un cadre des plus atypiques : un ruban blanc de fausse neige avec en fond de toile des usines désaffactées et quatre tours de refroidissement abandonnées.

Les images impressionnantes de l’épreuve n’ont pas manqué d’être largement relayées sur les réseaux sociaux, et qualifiées par certains “d’aberration environnementale », ou même de “Courchevel à Tchernobyl”. Implanter une infrastructure de ce type, qui nécessite de la neige artificielle, en plein centre urbain et industriel n’a décidément pas conquis tout le monde. 

La controverse autour de ces “City Big air” n’est pas nouvelle. En effet, depuis plus de 30 ans ces équipements s’installent en plein cœur des grandes villes mondiales : San Francisco, Londres, Barcelone, São Paolo, Porto, Milan… Notre capitale française fût d’ailleurs en 1955 la capitale des sports d’hiver en plein été, durant lequel un Big air s’était implanté Porte Maillot. La neige n’y était pas artificielle mais directement acheminée depuis les Alpes par des wagons frigorifiques. La question se pose alors : mieux vaut-il de la neige artificielle ou de la neige naturelle importée ? 

L’infrastructure de Pékin utilise ici de la neige artificielle, ce qui a beaucoup fait débat auprès des experts. Cependant, elle est une infrastructure innovante et se démarque des autres en devenant le premier site de Big air permanent au monde. Après la clôture de l’édition hivernale des Jeux Olympiques, le site sera utilisé pour des compétitions sportives et des entraînements, mais aussi pour des événements civiques et culturels. Anticiper la réutilisation des infrastructures post-JO est une réelle problématique, quand nous savons qu’une grande partie d’entre elles deviennent des friches sportives, dû aux coûts d’entretiens trop élevés.

Ici, la stratégie anticipative adoptée pour le Big air n’est pas anodine, elle s’ancre dans une dynamique de reconversion de quartier. Et si pour certains athlètes, comme la skieuse acrobatique française Tess Ledeux, être en plein milieu de centrales nucléaires ça fait un petit peu bizarre, c’est que le contexte et l’histoire du lieu est encore peu connu à l’international. Il ne s’agit pas là d’une centrale nucléaire mais de l’ancien site sidérurgique du parc Shougang en pleine mutation post-industrielle. 

Crédit image © N509FZ via Wikimédia Commons

Le parc Shougang : une ancienne aciérie branchée

Si le symbolisme de ce lieu est d’autant plus fort depuis l’édification des structures sportives des Jeux Olympiques, il ne se résume pas uniquement à cela. Pour le comprendre il faut retourner quelques années en arrière lorsque l’aciérie était encore en état de fonctionnement. 

Fondée en 1919 dans la banlieue ouest de Pékin, cette société a permis l’emploi de plus de 65 000 personnes et a aidé la Chine à devenir un leader mondial de la production d’acier. Si pendant ses années de pleine activité le site a réussi à produire plus de 10 millions de tonnes d’acier et de fer, il dégageait aussi énormément de pollution. Avec la prévision des Jeux Olympiques d’été de 2008, Pékin a décidé de stopper progressivement l’activité de la sidérurgie pour atténuer ses externalités négatives polluantes. La dynamique de reconversion des lieux, déjà réfléchie depuis 2005, était donc lancée.

La municipalité ayant de réelles convictions environnementales pour ce site, des opérations de dépollution étaient inévitables. Les objectifs étant de revaloriser l’environnement et la biodiversité du site pour la promotion de jeux “verts” mais aussi pour une meilleure qualité de vie pour les citadins. Plus largement, le quartier est voué à devenir un nouveau pôle, intégré dans une stratégie de développement urbain polycentrique. Un travail d’adaptation et de raccordement au réseau de transport permettra une meilleure accessibilité tout comme le développement immobilier aux alentours donnera lieu à une redynamisation du district Shijingshan.

Crédit photo ©Çin’de Burslu Eğitim

Dans la construction, certaines structures jugées sûres sont restées intactes et ont été réhabilitées, c’est le cas des cheminées et des hauts-fourneaux. Le haut-fourneau n°3 situé derrière le Big air, autrefois une ligne de production typique de fonte, est par exemple devenu un lieu branché accueillant conférences, défilés de mode et autres évènements. Le siège du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de Beijing 2022 s’est également implanté dans le quartier en rénovant une dizaine de silos auparavant utilisés pour stocker les matières premières.

L’environnement extérieur a lui aussi été repensé pour les visiteurs, comme la voie aérienne piétonne longue de 3,2 km (dépassant la High Line de New York), lieu de promenade, de repos ou d’exercice qui laisse voir le parc dans son ensemble. Des espaces verts entourent maintenant le lac Xiuchi et les bâtiments de l’ancienne usine bientôt reconvertis en hôtels, musées, bars, cafés, parc aquatique, bureaux modernes, espaces commerciaux et équipements sportifs. 

L’implantation du Big air crée la continuité avec les autres infrastructures sportives et confère une grande valeur sociale au quartier. Combiné à l’urbanisation des montagnes environnantes, le Big air permet aussi de familiariser le grand public aux sports d’hiver tout en développant cette industrie. Finalement, les Jeux Olympiques ont impulsé la transformation de ces lieux en un centre branché, sportif et animé qui se veut aujourd’hui référence de régénération urbaine durable.

Les Jeux Olympiques : évènement moteur des projets urbains ? 

« Nous voulons que les Jeux Olympiques soient le moteur de tels projets, en transformant des zones sous-utilisées, sous-exploitées ou abandonnées en des lieux où les communautés et les entreprises peuvent prospérer « . Cette citation de Marie Sallois, directrice chargée de la durabilité au CIO, témoigne des principes et du rayonnement attendus des JO.

Dans un contexte de mondialisation et de concurrence urbaine, l’événement interplanétaire est prisé des grandes métropoles. Entre investissements, constructions, régénération urbaine et tourisme, les villes se voient métamorphosées après le passage des olympiades. Agissant comme un outil de politique urbaine, l’événement peut “débloquer” des ressources et générer des synergies pour mettre en œuvre des plans, déjà existants ou non. À noter néanmoins que ces jeux ne sont que temporaires et que, même s’ils peuvent agir comme tremplin, il est nécessaire de s’organiser et de proposer une stratégie urbaine commune pour que les externalités positives deviennent pérennes. Sans anticipation, le territoire s’expose à certains risques comme d’énormes dettes, un niveau d’emploi inférieur au prévu, de la gentrification ou une réutilisation manquée des sites olympiques.

Sur ce dernier point, ce ne sont pas les exemples de sites devenus friches sportives en quelques années qui manquent. Pour les infrastructures des jeux d’Athènes de l’été 2004, ce sont le manque de réflexion en amont et les coûts d’entretien trop élevés qui ont causé leur abandon. Tandis que pour les installations des jeux d’hiver 2018 de Pyeongchang en Corée du Sud, c’est le manque d’intérêt pour la discipline qui est à l’origine de leur fermeture. Le gouvernement avait misé sur un boom touristique qui n’a pas eu lieu, les équipements devenus trop coûteux et pas assez rentables ont donc fermé. 

À l’inverse, il existe  tout de même des villes pour lesquelles les JO ont donné un nouveau visage. Pour Londres, qui a accueilli les JO en 2012, l’événement a été saisi comme un outil de renouvellement urbain pour son projet global de redynamisation du secteur Est de la ville, déjà amorcé depuis 1980. Le quartier, avec des habitants à faibles revenus et des friches industrielles, avait besoin d’être désenclavé et redynamisé pour permettre des retombées économiques positives pour les habitants. 

La zone de Lower Lea Valley est située sur l’un des corridors de développement nationaux : la Thames Gateway, qui est un projet de régénération urbaine à grande échelle. Annexé à ce projet, le plan olympique s’inscrit dans la vision stratégique de Londres à devenir une métropole polycentrique et résiliente. Ça ne vous rappelle rien ? On retrouve ici la même stratégie adoptée dix ans plus tard pour la ville de Pékin.

La durabilité était la notion phare du projet : dépollution du site, adaptation aux matériaux existants, assainissement des sols, amélioration des infrastructures bleues et vertes, renforcement des transports publics, innovation pour réduire la demande d’eau et d’énergie… Autant de principes nécessaires pour que ce lieu devienne un sous-centre multifonctionnel capable de répondre aux exigences du modèle de la ville compacte. 

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Le parc olympique a été pensé et réalisé pour être reconverti en un quartier urbain mixte comprenant un grand parc public qui fait continuité avec les parcs déjà présents le long de la Tamise. Certains équipements prévus à cet effet ont été démontés et d’autres sont restés ouverts au grand public comme le centre aquatique ou le stade olympique. Le village olympique, quant à lui, a été transformé en résidences et accueille maintenant 3 600 logements. Le centre des médias, lui, a été reconverti en lieu d’affaires. 

Si dans son ensemble le projet a été amorcé et anticipé grâce à des infrastructures éphémères et modulables et à des fonctions prédites, c’est d’un point de vue social qu’un manque s’est fait sentir. Une fracture urbaine s’est créée entre les populations locales précaires et les populations arrivantes qui sont d’une classe plus élevée. La meilleure liaison au réseau de transport a rendu possible leur arrivée, motivée par le cadre et les nouveaux commerces. La gentrification aurait pu être limitée avec une meilleure inclusion des communautés locales dans le processus décisionnel et avec un taux de logements sociaux supérieurs. 

À l’époque de la reconquête des friches urbaines, les méga-événements de type JO peuvent constituer de véritables moteurs pour des projets de réhabilitation plus durables. Néanmoins, il est important de tirer des enseignements des échecs précédents et de favoriser un aménagement plus partagé avec une meilleure inclusion des habitants et usagers pour un urbanisme plus adapté. 

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