Pouvez-vous nous présenter Zefco et nous parler de votre rôle au sein de cette structure ?

Florian Dupont : “Je suis l’un des deux co-fondateurs de Zefco, un bureau d’études spécialisé dans l’environnement pour l’architecture et l’urbanisme. Nous opérons à différentes échelles, de la maîtrise d’œuvre opérationnelle pour des compétitions d’envergure où nous aidons les promoteurs à contribuer à la transition écologique attendue par les villes, jusqu’à l’échelle urbaine pour des aménageurs.

Nous établissons également et de plus en plus des feuilles de route pour la décarbonation et des stratégies environnementales pour diverses entités comme des foncières, des promoteurs et couvrons ainsi un large spectre, du chantier au conseil stratégique sur l’environnement.

Cette triple échelle, c’est le cœur même de Zefco, et cela permet par ailleurs à tous les membres de l’équipe de ne pas s’enfermer dans une même tâche répétitive.

L’équipe de Zefo ©Simon Guesdon

Vous avez récemment signé une tribune contre le projet d’autoroute A69. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre position ?

Florian Dupont : “Notre opposition à l’A69 est enracinée dans la prise de conscience des impératifs de mobilité. Actuellement, la distance moyenne parcourue par les Français en voiture est d’environ 30 km par jour. Selon les objectifs de réduction de carbone, cette distance devra être réduite jusqu’à 4km si on se base sur le budget carbone 2050 avec des voitures équivalentes. Avec des SUV électriques on arrive à 6 km et 9 km pour les voitures électriques légères. Quoi qu’il arrive, la taille des bassins de vie doit se réduire pour résoudre l’équation climatique qui est radicale et qui nous oblige à tout diviser par 4 ou 5, comme dans le domaine de l’alimentation ou du bâtiment. L’A69 représente une vision de la mobilité non tenable, totalement à l’opposé de cette perspective.

On a assumé dans notre tribune que nous ne connaissons pas ce territoire spécifique, que nous n’avons pas de vision directe, mais une compréhension solide des ingrédients caractéristiques de ce projet comme de tant d’autres. Notre engagement a débuté à un moment critique où des individus avaient mis leur vie en péril. Nous avons pris contact avec certains des contestataires et réalisé qu’ils avaient besoin du soutien de professionnels de l’aménagement.

Dans cet esprit, nous avons sollicité la participation de trois lauréats du grand prix de l’urbanisme et de trois palmarès des jeunes urbanistes pour rédiger une tribune courte sur ce sujet : Ariella Masboungi, Simon Teyssou et Frédéric Bonne d’une part et Fabienne Boudon, Félix Mulle et moi-même d’autre part.

Finalement, notre collaboration a rassemblé six lauréats du grands prix et dix-huit titulaires du palmarès. Bien que le nombre de participants ne soit pas élevé, cette tribune est la première à unir les signatures autant d’urbanistes primés par l’Etat. Elle a été réalisée dans un délai très court et a rassemblé des professionnels qui ont régulièrement l’occasion de travailler avec l’Etat, mais qui n’ont pas hésité à participer.

Le soutien a été substantiel, comme en témoignent les chiffres de diffusion de la tribune via Linkedin. Nous avons reçu des encouragements non seulement de la part de nos collègues, mais aussi de nos clients, venant tant du secteur public que privé.”

On a parfois l’impression d’une lutte défensive contre un imaginaire du milieu du siècle dernier, mais comment en créer un nouveau ? 

Florian Dupont : “Il est crucial de commencer par faire l’effort de bien comprendre les deux points de vue et de faire preuve d’indulgence. Nous sommes face à une transformation radicale qui s’opère à une vitesse fulgurante ; sans une compréhension approfondie de cette dynamique, il est impossible d’avancer. Nous devons nous confronter à la réalité factuelle : par exemple, les 20 000 morts des inondations en Libye sont attribués au changement climatique. L’acte apparemment banal de conduire une voiture aujourd’hui est malheureusement lié à la perte de vies humaines. Reconnaître cette corrélation est extrêmement choquant, mais c’est une prise de conscience nécessaire pour entamer un dialogue constructif. Une portion des politiques ne prend pas en compte cette réalité ou estime que le public est incapable de la saisir. Il est impératif de « croire ce que l’on sait », d’intégrer des vérités qui sont évidentes et documentées.

Concernant la biodiversité, le défi est différent. Alors que les enjeux liés au carbone sont relativement bien compris, la biodiversité reste un domaine dans lequel la compréhension générale est assez faible. La plupart des gens n’ont pas la formation nécessaire pour appréhender les complexités du vivant, comme l’illustre l’exemple simpliste de couper un arbre et d’en replanter un autre sans considérer l’ensemble des interactions écologiques. Notre simple capacité collective à reconnaître les espèces végétales est déficiente, notre compréhension de leur interdépendance tout autant.

©Getty Images

De plus, nous sommes confrontés à l’amnésie écologique. Il y a 150 ans, dans un contexte pré-industriel, la faune était abondante, avec des insectes, des oiseaux en grande quantité et des poissons significativement plus gros qu’aujourd’hui. Notre référentiel actuel est donc biaisé et ne reflète pas la réalité historique de la biodiversité.

Lorsqu’il s’agit finalement de façonner un nouvel imaginaire, il convient de s’interroger sur ce qui compte réellement dans la vie. La pandémie de COVID-19 a révélé l’importance de la proximité et a démontré la valeur d’un mode de vie plus sobre. Personnellement, j’ai opéré certains changements et j’ai constaté leurs bienfaits significatifs. Dans ce nouvel imaginaire, la notion de sobriété s’avère enrichissante plutôt que restrictive.

Comment dialoguez-vous avec le public sur cette radicalité du changement ?

Florian Dupont : “Lorsque nous abordons les sujets calmement, le grand public comprend ces enjeux. Par exemple, quand nous expliquons qu’il est nécessaire de réduire notre empreinte par cinq, les gens saisissent l’importance de cette marche. Cependant, nous ne sommes pas suffisamment mobilisés sur ce front, car notre attention est dispersée par de nombreux autres sujets. Les initiatives d’urbanisme transitoire et de concertation ont tendance à pencher vers l’aspect ludique, alors qu’elles pourraient servir de plateforme à de vastes débats publics.

Prenons l’exemple de l’Île de Nantes, où nous envisageons de travailler sur l’impact carbone des ménages et de mesurer leur empreinte. Dans le cadre de cette stratégie climatique, nous cherchons à créer un dialogue avec le public dans le contexte de projets urbains, expliquant les données chiffrées tout en travaillant sur la dimension psychologique et l’accompagnement au changement. Nous plantons les graines pour de nouveaux modes de vie et de consommation.

Crédit photo ©Jibi44 via Wikimedia

Souvent, les gens pensent que le mode de vie que nous promouvons – moins de voitures, consommer bio, etc. – est difficile à adopter pour eux, et encore plus pour les autres. Les aménageurs estiment que les promoteurs ne sont pas prêts à adopter ces changements et vice versa. Mais lorsque nous partons des données, tout le monde parvient à la même conclusion et commence à se préparer à ces changements. Rassurons-nous sur le fait que les acteurs finissent forcément par converger.

Une autre notion clé est l’équilibre entre la radicalité des changements nécessaires et la bienveillance envers soi-même et les autres. Puisque nous devons tous évoluer et que cela prend du temps, il est crucial de faire preuve de grande indulgence. On ne devient pas végétarien du jour au lendemain, par exemple. Et cette indulgence s’étend également aux personnes en fin de carrière à qui on pourrait dire que leur travail passé a été néfaste. Pour apaiser les tensions et nous permettre de se focaliser sur l’avenir, nous devrions déclarer une sorte d’amnistie générale.

Y a-t-il tout de même une prise de conscience et un changement de pratique notable chez les professionnels de la ville ?

Florian Dupont : “Oui, tout le monde change ses pratiques; mais pas au point de toujours voir l’urbanisme comme agent de transformation sociale. L’aménagement est une opportunité de transformation vers une société durable, un accélérateur de transitions. Au-delà du bilan carbone des opérations, il faut décarboner l’écosystème territorial. C’est cette posture nouvelle que nous avons introduite dans la feuille de route de décarbonation de l’aménagement pour laquelle Zefco était AMO du ministère.

Nous opérons toujours selon une logique de protection ou de préservation, ce qui est paradoxal lorsque l’environnement que nous cherchons à préserver a été définitivement perdu à la fin du XXe siècle : le climat a changé, les espèces ont disparu… La question contemporaine, c’est « quel environnement nous souhaitons créer ? ».

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Il peut être difficile pour certaines personnes, notamment les politiques qui défendent un projet, d’accepter ce discours. Des termes comme « démobilité » paraissent trop radicaux. Mon rôle en tant qu’expert est de fournir les informations techniques ; ce que les gens décident d’en faire relève de leur responsabilité, mais il est impératif de ne plus ignorer la vérité.

L’accusation selon laquelle nous adopterions une vision « très parisienne ou métropolitaine » des choses est un malentendu. Il ne s’agit pas d’imposer le mode de vie des villes denses, mais de ne plus dépendre de la voiture, qui est un modèle dangereux. Dans un contexte d’hypermobilité, des villes petites ou moyennes ont eu du mal à tirer leur épingle du jeu, mais c’est justement dans le resserrement des bassins de vie qu’il y a de nouvelles opportunités à saisir.

Photo de couverture ©Simon Guesdon