Les zones urbaines, épicentre de la pandémie
Forte densité de population et intensité des flux de mobilités ont fait des villes des portes d’entrée privilégiées pour le virus. Même si les zones rurales sont aussi très affectées, la crise de la Covid-19 a révélé les villes dans leur extrême vulnérabilité. Les atouts d’hier sont alors devenus des failles dont profite le virus pour se répandre. Comme le rapportait l’ONU en juin 2020, 95% des cas de Covid sont signalés en milieu urbain. Un chiffre choc qui interroge les conditions de vie des urbains dont le cadre ne garantit pas en période de pandémie d’assurer leur santé. Mais alors, face à ce phénomène inédit, comment les villes sont-elles remodelées par la dynamique de l’épidémie ?
Des villes transformées par les flux de mobilité ?
C’est évidemment au niveau de la mobilité que les effets de la crise sanitaire sur les villes sont à la fois les plus visibles et les plus profondément ancrés. Ces bouleversements sont complexes et impactent à la fois positivement et négativement l’espace urbain. D’abord, la pandémie a évidemment entériné une « démobilité » globale, touchant l’ensemble des déplacements comme le relève l’étude collective “Covid-19 et mobilités en Île-de-France publiée en janvier 2021. Une large majorité de franciliens réalisent moins de déplacements, que ce soient les déplacements domicile-travail, les déplacements professionnels, les déplacements de la vie quotidienne ou les déplacements pour les loisirs, ces derniers étant les plus affectés. Le phénomène ne se limite bien sûr pas à l’Ile-de-France et touche tout le territoire national.
Ensuite, les conséquences sur les différentes mobilités ont été très différentes. Le constat négatif est celui d’une baisse de l’usage des transports en communs et une hausse du recours au véhicule privatif. Et ces dynamiques qui mettent en péril l’équilibre urbain sont observées partout. À Madrid, par exemple, une enquête du service mobilité de la ville montre que pendant « l’état d’alarme », l’ensemble des déplacements quotidiens s’est effondré de 35% par rapport à la normale, le transport public enregistrant la plus grande perte avec une chute de 11 points qui se traduit par une hausse du recours aux véhicules privés et au vélo (respectivement 7 et 4 points). Souvent bondés en journée et désertés en période de couvre-feu, les transports en commun n’apparaissent pas aux yeux de leurs usagers comme des espaces de sécurité en pleine crise sanitaire.
La bonne nouvelle, c’est que les mobilités actives ont aussi fortement progressé dans toutes les villes. Un effet positif qu’il convient toutefois de nuancer d’un point de vue de la santé, puisque de l’autre côté le confinement est à l’origine d’une réduction significative de l’activité physique, entraînant une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires.
Le bouleversement majeur impulsé par cette crise sanitaire et qui redessine en profondeur les flux dans la ville, est bien évidemment l’usage du vélo. En France, la capitale bat tous les records. D’après l’association Vélo & Territoires, la fréquentation cyclable à la sortie du premier confinement y était en hausse de 65%. Comme le relate le Guardian, la crise sanitaire a débouché sur la création d’infrastructures cyclables à un rythme stupéfiant dans les grandes villes européennes comme Paris, Londres, Lisbonne, Milan et Barcelone. Des coronapistes qui se sont, dans de nombreux cas, pérennisées, améliorent considérablement la mobilité des cyclistes.
Rue de Valenciennes – Crédit photo ©Vitaliy_ph / Getty Images
Des villes plus saines et durables ?
Un autre aspect positif mis en exergue par la crise sanitaire est le fait que les citadins ont pu mesurer au quotidien les bienfaits d’une ville plus durable.. Outre la pollution sonore, l’impact a été énorme sur la qualité de l’air, qui a amélioré considérablement le cadre de vie des citadins, rendant par là même la ville plus attractive. Les mesures mises en œuvre pour freiner le virus, et en particulier le confinement mondial de la population, ont en effet entraîné une énorme diminution du trafic routier et de l’activité industrielle, réduisant ainsi la pollution mortelle, notamment les gaz à effet de serre et les particules fines. Or pour rappel, l’Organisation Mondiale pour la Santé chiffre à 7 millions le nombre de morts prématurées dues à la pollution de l’air chaque année.
La pollution de l’air est un problème très sérieux dans de nombreuses métropoles et les pôles industrialisés, en particulier dans des pays en voie de développement comme l’Inde, ou la Chine. Dans une étude parue dans Nature en juillet 2020, les chercheurs montrent qu’en Chine, pays qui a mis en place les mesures sanitaires les plus drastiques, le confinement des villes a entraîné une amélioration considérable de la qualité de l’air, avec une franche réduction du niveau des émissions de la majorité des polluants. Bien que temporaires, la crise sanitaire offre à l’environnement un peu de répit, lui permettant de “cicatriser” de l’exploitation continue résultant de l’activité humaine. Pour les auteurs de cette étude, les effets du confinement sur la qualité de l’air sont différenciés : ils sont plus importants dans les villes plus froides, plus riches et plus industrialisées. Et les politiques environnementales pourraient obtenir des résultats similaires d’après les auteurs, pour un coût économique bien moindre, le confinement n’étant bien entendu pas une solution viable pour résoudre les problèmes environnementaux.
À court terme, les effets positifs sont avérés. Le problème est qu’aussitôt que les mesures deviennent moins restrictives, l’activité humaine et la circulation automobile reprennent, et les niveaux des pollutions réaugmentent. Il serait donc naïf de penser que le prolongement naturel de la ville en pandémie sera la ville durable. La ville durable ne peut naître que de l’élan collectif en sa faveur. Espérons donc que l’épisode catastrophique que nous vivons accélère le processus.
Des villes plus diffuses ?
La crise sanitaire révèle aussi un changement profond dans le modèle résidentiel. Le mouvement observé est celui d’une migration d’une forme de logement collectif dans les grands centres urbains vers le logement individuel en périphérie. Une tendance de fond dont la pérennisation dépendra surtout du temps que durera la pandémie, mais également du maintien des nouvelles dynamiques de télétravail. La transformation des modes de travail, avec une tendance au télétravail a ouvert à une large majorité de salariés, de cadres en particulier, de nouvelles perspectives en termes d’habitat et de situation géographique.
En mai 2020, au lendemain du déconfinement, 54 % des Franciliens se disaient prêts à quitter la capitale dès que possible, contre 38 % avant la pandémie, selon un sondage réalisé par la plate-forme Paris je te quitte. Parmi les 866 personnes interrogées, 59 % souhaitaient « un environnement moins stressant, plus proche de la nature » et 57 % « une vie plus simple, en phase avec leurs valeurs ».
S’il ne faut pas surestimer l’idée d’un exode urbain résultant de la crise sanitaire, les études comme celles-ci sont unanimes et les témoignages abondent dans le sens que c’est le rêve d’une écrasante majorité de français de pouvoir profiter des bienfaits que procure la vie hors des grandes métropoles. Cependant, le passage à l’acte n’est pas forcément évident pour l’ensemble des ménages, et ils sont peu encore a avoir quitté les métropoles pour des plus petites villes. La fin de la crise sanitaire pourrait cependant conforter les ménages à déménager, et l’on pourrait assister à des bouleversements dans les équilibres territoriaux, une décentralisation de l’habitat est donc à suivre de près.
Sommes-nous en train d’assister à une revanche bénéfique des territoires ? Nombreux sont ceux qui se réjouissent d’un potentiel rééquilibrage territorial qui verrait le transfert d’une partie de la population de l’Ile-de-France, territoire surpeuplé, asphyxié, hyperconcentré, vers les petites villes et les villes moyennes. À l’instar du journaliste Olivier Razemon, qui dans un ouvrage qui vient de paraître intitulé “Les parisiens” : une obsession française, plaide pour une déconcentration des activités permettant de redynamiser des villes dévitalisées qui en ont bien besoin.
Vers la ville post-covid ?
La pandémie de Covid-19 est une opportunité pour interroger le cadre urbain afin de construire des villes plus durables et inclusives. Comme des organismes vivants, les villes s’adaptent aux changements provoqués par la pandémie. Elles sont déjà en train de changer parce que les habitants ont transformé leur façon de vivre et de travailler. La ville, tout comme ses habitants, ont vécu pendant une année des moments d’isolement et des moments d’effervescences intenses. Entre deux confinements, les villes sont devenues le support d’un nouveau rapport à la proximité, et ont produit un mouvement de solidarité sans précédent. Les limitations de l’accès à l’espace public ont provoqué d’autres sociabilités, favorisant par exemple les rencontres et l’entraide entre les voisins.C’est au sein des villes que les solutions aux défis socio-économiques et sanitaires sont à trouver. Pour pouvoir créer des villes post-covid selon nos souhaits et nos usages, il nous faut tirer tous les enseignements de cette crise. Le confinement a accéléré des tendances qui existaient déjà et mis à jour aussi de nouveaux phénomènes conjoncturels. En particulier, elle a mis encore plus en difficulté les personnes pauvres, marginalisées et vulnérables, comme le prouve cette étude scientifique parue en septembre 2020. Le rôle des institutions et des citoyens au sein de ce système complexe est déterminant. L’émergence d’un nouveau modèle de ville dépendra des décisions qu’ils prennent. Alors que le “Monde d’après” peine à se mettre en place, sachons nous questionner sur cette année de crise pour faire des villes des espaces durables pour demain.
Photo de couverture ©pavlovakhrushev