Quand les séries TV jouent avec le stéréotype

Bien sûr, quand on parle de série télé française et de ville, on ne peut pas ne pas évoquer le cas “Plus belle la vie”. Lancée en 2004, la série s’est faite une place sur les petits écrans et a rapidement reçu un grand succès de la part des spectateurs. Même si, on vous l’admet, nous n’avons pas vu beaucoup d’épisodes, son impact sur l’imaginaire collectif quant à la ville phocéenne paraît intéressant à évoquer et analyser. Car oui, Marseille est bien un personnage central autour duquel toutes les intrigues de la série gravitent.

Studios de la Fiche de la Belle de Mai © Maxppp – MaxPPP / France Bleu

Nourris de quelques clichés tenaces, les plus de 3350 épisodes ont construit au fil du temps une image de la ville et souligné certains traits de Marseille : une ville authentique, charmante et chaleureuse, dont l’accent des habitants nous rappellent le chant estival des cigales. On pourrait croire que le quartier du Mistral existe… et pourtant, il s’agit d’un décor de cinéma, d’un lieu imaginaire reconstitué dans les studios de la Belle de Mai à partir de l’ambiance du quartier historique de la ville, appelé le Panier. Nous avons donc ici une image truquée de la ville car même si elle se base sur des éléments de son identité, nous avons affaire à un décor, qui ne montre en fait qu’une partie de la réalité de Marseille.

La ville décor : s’appuyer sur les atmosphères pour créer un univers

En parlant de décor, les villes peuvent être utilisées pour créer des atmosphères et nourrir des univers, notamment fictif ou d’époque. Bien sûr, on peut évoquer l’exemple du phénomène Game of Thrones, qui utilise différentes réalités de villes pour en faire des décors de héroic-fantasy. La ville sera alors complètement transformée en post-production pour qu’on en oublie l’origine et en faire ainsi une des cités des neuf-royaumes.


Essaouira avant, Essaouira après

Mais sans partir à l’étranger, dans l’univers audiovisuel français, les villes ne sont pas en reste, notamment dans les séries historiques où sont sélectionnés quelques rues bien précises pour faire le décor des rues d’antan. C’est le cas par exemple pour la série télé Nicolas Le Floch, tournée principalement dans le Vieux-Mans, alors même que l’action est censée être à Paris. Il s’agit bien sûr de puiser dans l’atmosphère de ces rues authentiques pour recréer l’atmosphère des villes d’alors, dans ce cas du XVIIème siècle.


Tournage du téléfilm Nicolas Le Floch, rue des Chanoines, dans le vieux Mans.
Crédits Photos: Jérôme Lourdais / Ouest France

La ville n’est alors pas représentée comme un tout, il s’agit davantage d’un décor. Les réalisateurs y sélectionnent ce qu’ils souhaitent montrer, souvent d’ailleurs pour construire des ambiances, une atmosphère propre à l’intrigue, qu’elle soit historique ou fantastique.

La série, révélatrice de certains lieux urbains

Le petit écran peut à travers ses fictions mettre en évidence des lieux urbains bien précis. C’est le cas par exemple dans la récente série Maman a tort dont l’action se passe au Havre. Au fil des épisodes, on découvre différents lieux de la ville, des Docks au fameux Volcan, passant par l’église Saint-Joseph au coeur de l’intrigue. L’esthétique est graphique et léchée, elle met en valeur cette ville majoritairement de béton, souvent jugée moche, par une recherche de décor, de points de vue et de colorimétrie intéressante.


Screenshot de l’opening de la série Maman a tort ©France2

Bien sûr, on doit en partie ce travail préalable à l’auteur, Michel Bussi, d’origine Normande, qui avait déjà dans ses romans mis en scène ces lieux de la ville pour créer un décor réaliste à son intrigue. La ville est ici révélée comme objet cinématographique et ses lieux sont romancés. On s’en imprègne par les plans langoureux qui permettent des pauses dans le récit et qui nous dévoilent le Havre à travers différents points de vue.

On peut aussi parler d’Engrenages qui met également en scène certains lieu pour installer une atmosphère en faisant découvrir les interstices de la ville, des endroits peu “glamour”. L’approche se veut aussi être réaliste mais les choix ne sont pas toujours neutres. En effet, ils peuvent véhiculer une image tout aussi construite qui met en scène ces espaces, mais qui a le mérite de révéler leur existence et de défaire l’image souvent enjolivée de certaines villes dans les productions audiovisuelles.



Sur le tournage de la série de Canal+, « Engrenages » au bord du canal de l’Ourcq à Pantin
SON ET LUMIÈRE/CANAL+/CAROLINE DUBOIS

Avec les plans d’ensemble, la ville comme un tout

Au contraire de cette démarche, qui met en scène des endroits particuliers de la ville, beaucoup de séries utilisent des plans de transition qui montrent la ville comme un tout. Combien de films s’ouvrent par exemple avec une vue de la skyline de New-York, pour bien faire comprendre au spectateur dans quelle ville on se trouve ? Ces plans servent à replacer dans son contexte une action qui se passe essentiellement en intérieur ou dans un lieux publics peut reconnaissable.. Prendre de la hauteur permet ainsi de montrer la ville dans son ensemble, sans s’approcher des détails qui la rendent vivante. On a alors une vision urbaine presque hors sol, qui donne à voir la ville comme une masse uniforme. Ces plans sont en général plutôt impersonnels, sans véritable âme.


Screenshot de la série Dix pour cent, épisode 3 saison 1 ©France2

Dans d’autres cas, ils peuvent être beaucoup plus intéressants, comme par exemple le rooftop de la série Dix pour cent, où les personnages se rendent plusieurs fois pour certaines scènes, qui montre les toits de Paris et son ciel gris. La ville est cette fois-ci embrassée dans son ensemble, mais en étant à la fois plus proche d’elle, plus intime avec l’ambiance que souhaite mettre en avant la scène tournée.

Ainsi, on le voit, le traitement des villes peut être très varié d’une oeuvre télévisuelle à l’autre. A vouloir être trop réaliste, ou bien trop dans le cliché comme par exemple dans Plus Belle la Vie, on s’écarte finalement de ce qui fait réellement la ville. Biais peut être inévitable car les oeuvres ne sont en rien des documentaires, mais bien des fictions qui s’approprient à leur manière les environnements urbains qu’elles mettent en scène.

Et pourtant, on pourrait reprocher à celles-ci de ne pas assez se nourrir de la ville, de ses décors, de ses lieux si particuliers, de sa richesse architecturale et culturelle. Car on en voit finalement assez peu les contours. En même temps, il est facile de constater à quel point filmer en ville est complexe. La raison ? Beaucoup de contraintes, comme la météo, les autorisations de tournages, le déplacement de matériel, la privatisation de rues, le coût, la liste est longue. C’est ainsi que beaucoup de réalisateurs décident d’aller plutôt filmer à la campagne ou en studio.

Alors comment faciliter les tournages ? Quelles solutions mettre en place pour permettre aux réalisateurs de davantage s’imprégner des villes ? Un champ des possibles bien vaste qu’on espère voir naître pour que nos villes puissent être mieux représentées dans les fictions audiovisuelles de demain.