À l’heure du confinement, il peut paraître absurde de parer l’espace public de mille feux… Pour le peu de personnes qui pourront en profiter. Et en même temps, des études ont prouvé que la luminothérapie pourrait permettre de lutter contre la “déprime” hivernale. Les décorations de Noël ne sont-elles pas, en ces temps moroses, des sources de réjouissances ? 

Les décorations de Noël, annonces d’un temps de répit dans la morosité hivernale 

On a beau les critiquer pour leur excessive consommation ou leur aspect “too much”, les décorations de Noël forment une partie du paysage urbain hivernal. Et il faut dire qu’elles apportent souvent un peu de réconfort dans le calme et le froid de l’hiver. Avec leur côté enchanteur et féerique, les décorations de Noël permettent de nous redonner le sourire ! Il faut dire qu’elles rappellent immédiatement les fêtes de fin d’année, souvent associées à des réjouissances et à une certaine forme de magie.

Sans dire que les décorations de Noël sont le seul moyen de réenchanter nos villes, l’on peut affirmer qu’elles y participent fortement au cours de la saison hivernale. Attrayantes et chaleureuses, elles permettent entre autres de dynamiser des centres-villes, qui attirent par leurs lumières passants, badauds et clients. Au point que certaines villes se distinguent désormais par leurs décorations hivernales. C’est le cas de Strasbourg ou encore de Colmar, dont les illuminations, les marchés de Noël et autres animations ont fait la réputation de la ville. Créé en 1570, le marché de Strasbourg est un des plus anciens marchés d’Europe. Aujourd’hui, 300 chalets s’installent temporairement chaque année, et près de 2 millions de touristes se bousculent pour venir le visiter. Si bien sûr, il sera repoussé cette année du fait de la crise sanitaire, ce n’est que partie remise. Et les maisons locales continuent, quant à elles, de se parer de leurs plus beaux atours… 

Avec ses journées plus courtes et ses soirées sombres, l’hiver nous rappelle souvent à quel point le soleil peut nous manquer ! On parle même parfois de « dépression saisonnière”, qui serait intimement liée au raccourcissement de la durée du jour. Pour lutter contre les coups de mous au creux de l’hiver, certaines mairies développent ainsi la luminothérapie… par le biais des illuminations de Noël ! Si l’idée semble un peu anodine ainsi, il a été prouvé scientifiquement par une équipe de chercheurs canadiens que la lumière aide à lutter contre la dépression. Il s’agit en fait de remédier au besoin du corps en lumière l’hiver en exposant les citadins à des sources lumineuses, dont l’aspect réconfortant et chaleureux rappelle les rayons du soleil. 

Ainsi, à Montréal, où la nuit tombe en ce moment vers 16h20, la mairie a mis en place tout un panel de décorations dans l’espace public afin de lutter contre le coup de blues hivernal… Mais également cette année la lassitude de la crise sanitaire. Les commerces locaux pourront ainsi bénéficier d’une aide allant jusqu’à 80% des dépenses. Une façon d’assurer que l’espace public soit un peu magique cette année, et d’autre part, d’aider les commerçants dont l’activité a été rudement touchée cette année. Car il faut rappeler que Noël est aussi une fête commerciale, et les petits commerces vivent bien souvent des achats faits pendant cette période.. 

Marché de Noël

Le marché de Noël de Strasbourg – Photo Alexis Brandner via Unsplash

Si l’on aime tant les lumières et décorations de Noël, c’est qu’elles sont associées à une temporalité en particulier : chaque année, elles annoncent des fêtes comme Noël et la nouvelle année. En quelque sorte, les lumières hivernales seraient donc un reflet d’une forme d’hyper-saisonnalité de nos villes. L’hyper-saisonnalité, c’est une tendance à souligner, amplifier les caractéristiques de chaque saison pour en faire un évènement à caractère festif et unique. Par exemple, Noël est souvent réduit aux caractéristiques saisonnières de la neige et des lumières douces, l’été au soleil et à la plage. Des pratiques et coutumes sans doute liées à l’aspect traditionnel de la période de Noël, mais aussi à une volonté de créer des occasions de célébrer… et vendre ! Pas de doute, si les décorations et illuminations de Noël sont mises en place si tôt dans nos villes – parfois presque deux mois avant-, c’est qu’il faut également marquer les esprits citadins, en ouvrant de plus en plus tôt le bal des cadeaux et autres achats de Noël… On retombe alors dans un même paradoxe : est-ce vraiment raisonnable d’illuminer nos villes, de dépenser tant d’énergie pour notre bon plaisir ? 

Réenchanter nos villes, mais à quel prix ? 

Depuis plusieurs années déjà, on parle d’une catastrophe écologique… Qui, pour certains, s’assimilent également à du gâchis économique. Lors des fêtes de Noël, certaines villes se parent en effet de kilomètres entiers de guirlandes. Pour donner une échelle de grandeur, à Caen (100 000 habitants), 15 km de guirlandes ont été installées. Dans des petites communes, cette taille se limite souvent à 5km. Des chiffres, qui, on peut le deviner, sont bien plus importants dans les métropoles urbaines…. et dont la consommation en électricité va de pair avec la longueur des guirlandes et la durée des illuminations dans la journée. Selon l’Ademe, la consommation en électricité pour alimenter les guirlandes de Noël dans les villes, pourrait atteindre 10% de la consommation énergétique annuelle mobilisée pour l’éclairage public. Encore selon l’Ademe, 1⁄4 de la consommation électrique liée aux illuminations de Noël serait réalisée pour illuminer l’espace public, les trois quarts restants étant consommés à ces fins par des ménages. Ce qui représenterait au total chaque année en France 1.300MW, l’équivalent de puissance d’une centrale nucléaire française. 

D’un point de vue budgétaire, la décoration de Noël représente également un budget conséquent. Par exemple, à Liège (200 000 habitants), en Belgique, les décorations coûtent cette année une somme proche de 200 000 euros. À Paris, l’ensemble des décorations coûte à la ville et aux commerçants plus de  3 millions d’euros par an au total, dont 900 000 euros sont supportés par la mairie de Paris. Des sommes conséquentes que certains maires refusent de déployer à ces fins. Le maire de la ville de Aiseau-Presles, une petite ville de 11 000 habitants en Belgique, témoigne ainsi :  » Depuis 2008, on est obligés légalement d’installer des lumières de Noël économiques. Ici, nous avions depuis des années de l’éclairage à incandescence pour les fêtes. Mais il ne nous est plus permis de l’installer, normes écologiques obligent. Il est trop énergivore. Il faudrait donc réinvestir 80 000 euros en 4 ans pour racheter du matériel led neuf et qualitatif. Moi, ces 80 000 euros, je préfère les injecter dans des projets pour la population, les jeunes, les seniors, plutôt que dans des luminaires. D’autant que mon but est également d’avoir un budget en équilibre. Donc fini les décorations de Noël installées par la commune « . Un exemple qui commence à se faire plus commun dans de nombreuses villes : ce sont même parfois les citoyens qui réclament de ne plus installer ces illuminations, à moins que les horaires d’illumination soient contrôlés. Fini les éclairages de jour et lors des heures les moins fréquentées la nuit. D’ailleurs, on a vu cette année que le débat sur les décorations de Noël avait gagné d’autres sujets que celui des illuminations, comme le débat sur les sapins de Noël qui a secoué Bordeaux cette année.  

Noël

Sapin de la Rockefeller Plaza à New-York, Photo Wesley Tingey via Unsplash

Enfin, on parle parfois aussi d’uniformisation des paysages urbains. À l’approche de la fin d’année, les rues de nos villes semblent en effet toutes se parer des mêmes atours, aux quatre coins de la France… Serait-ce là aussi un signe des limites que peuvent avoir les décorations de Noël en ville : une forme d’uniformisation du territoire ? 

Quoi qu’il en soit, le “réenchantement” de nos villes par les décorations de Noël a un coût, écologique et financier, qu’il est nécessaire de prendre en compte. Il se pourrait toutefois que cette année, année bien particulière, les décorations de Noël soient moins nombreuses : la plupart des commerçants, durement touchés par la crise sanitaire et condamnés à rester fermés jusqu’au premier décembre minimum, n’ont pas forcément le budget à allouer à ces fins… Et le public manque !  Peut-être pourrions nous voir ici une occasion de trouver un entre deux dans nos villes : sans éradiquer les lumières de Noël qui apportent un peu de joie et de magie dans l’espace urbain à l’approche de la fin d’année, nous pourrions penser à de nouvelles solutions plus écologiques, et parfois très simples- pour limiter l’impact environnemental et économique qu’elles représentent ! 

L’éclairage et la décoration de Noël de nos villes peuvent-ils être raisonnables ? 

De nombreuses villes se sont déjà engagées pour rationaliser les éclairages publics de Noël. Dans les mairies vertes, le sujet prête à la réflexion chaque année, un débat qui gagne également d’autres mairies, à la fois pour des questions écologiques et économiques. Avenue Montaigne à Paris, une avenue accueillant de nombreux magasins de luxe et connue pour la beauté de ses décorations,  les dépenses en décorations de Noël sont passées de 65 000 euros par an il y a quatre ans à 15 000 euros. Des économies financières qui se traduisent également en économies d’énergie, même si “elles sont plus difficiles à chiffrer”. EDF s’est en effet engagé à fournir de l’électricité verte, c’est-à-dire de l’électricité issue d’énergies renouvelables, par opposition aux combustibles fossiles. Avec l’énergie verte, d’autres alternatives écologiques permettent en effet de continuer d’éclairer les rues et les places publiques, tout en limitant l’impact environnemental. 

Dans certains pays comme la Belgique, les illuminations de Noël doivent désormais se faire avec des lampes LED. Des éclairages qui coûtent encore aujourd’hui 20% plus cher que des ampoules classiques, mais qui ont une consommation électrique 10 fois moins élevée qu’en temps normal. Ce qui représente, finalement, de grosses économies. Par exemple, la ville de Troyes est passée au 100% LED. Elle a réussi à diminuer son budget de 10 000 euros par an à 3500 euros ! De même les Champs Elysées auraient divisé leur consommation en électricité par 20 entre 2006 et aujourd’hui ! D’autres solutions semblent se profiler pour un Noël plus écologique dans nos villes. À Grenoble, la mairie travaille déjà depuis quelques années sur la question. Elle a ainsi décidé de contrôler les sources d’énergie qui fournissent les installations lumineuses. Les illuminations sont programmées pour ne fonctionner qu’à certaines heures de la nuit : les heures de pointe. Lorsque l’ensemble de la ville est endormie, elles s’éteignent donc. Plusieurs villes ont adopté ce schéma là, par exemple sur l’immense avenue des Champs Elysées à Paris, les décorations de Noël s’éteignent après 22H. 

Pendant le confinement, certaines mairies et habitants ont évoqué la possibilité de ne pas mettre en place les illuminations de Noël, du fait du peu de public qui pourrait les admirer. C’est notamment le cas de la ville de Caen, dans laquelle plusieurs habitants et le journal Ouest France ont suggéré de débattre à ce sujet. Si la situation un peu particulière de cette année pourrait changer un peu la donne, ou du moins retarder l’installation des décorations lumineuses, on remarque encore un grand attachement des populations aux décorations de Noël, pour qui elles représentent la promesse de moments de réjouissances et de ré-enchantement dans les temps difficiles que nous traversons. 

Noël

Photo Marco Bicca via Unsplash

Alors plutôt que de supprimer définitivement les décorations de Noël, les lumières ou encore les marchés de Noël durant les prochaines années, nous pourrions penser à des manières écologiques de réinventer nos décorations de Noël. Marchés d’artisanat, filières locales, autoproduction d’énergie, matériel réutilisable d’année en année ou biodégradables… De multiples alternatives semblent pouvoir s’envisager !

Photo de couverture Jamie Davies via Unsplash