En France, on compte environ mille communes de moins de 20 000 habitants. Nommées “petites villes” par opposition aux villes moyennes et aux métropoles, elles semblent aujourd’hui à la recherche d’un nouveau modèle viable, aussi bien économiquement, socialement qu’écologiquement.

Un maillage dense de petites villes en France 

Le territoire français présente un maillage étroit de petites et moyennes villes,  réparties sur l’ensemble du territoire. Anciennes places marchandes, ces lieux urbains ont joué un rôle majeur dans la vie commerciale et sociale des territoires alentours. Ce sont aussi elles qui permettent à la France d’afficher une relative densité sur l’ensemble de ses territoires : près d’un millier de petites villes sillonnent le pays. Un chiffre parfois complexe à évaluer. 

Différencier la petite de la moyenne ville s’avère en effet difficile : la délimitation démographique pose certaines limites. D’une région, d’un département à l’autre, la notion de petite ou moyenne ville dépend de la densité globale du territoire et du tissu urbain dans lequel elle est située. Pour Lajugie (1974), la population des petites villes «doit être appréciée en fonction de la densité du tissu urbain régional et particulièrement, en fonction de l’étendue de l’espace desservi».  En France par exemple, on considère qu’une ville est “petite” si sa population est comprise entre 5 000 et 20 000 habitants, à la différence du Québec, où le seuil inférieur se trouve davantage aux alentours de 2 500 : en effet, la densité du tissu urbain québécois est moins importante que celle du tissu urbain français. 

Comprendre ce qu’est une “petite ville” ne peut donc entièrement reposer sur le chiffrage de la population. D’autres critères tels que l’identité ou encore le rôle fonctionnel des villes peuvent se montrer décisifs, comme le démontre Barrère en 1980 : « La définition réelle des petites villes (et des villes moyennes) passe nécessairement par la conjonction de plusieurs critères géographiques : le poids démographique, mais aussi la fonction de centre local rayonnant sur un petit pays, et la morphologie urbaine, fort bien ressentie à travers les caractères de l’habitat, la concentration des commerces, un début d’animation citadine »

Il semble donc nécessaire de s’intéresser au rayonnement de la ville sur son territoire, de par ses équipements, les emplois qu’elle génère mais aussi ses relations avec les autres villes de sa région ou des régions voisines. Par exemple, pour une petite ville, on parlera plutôt de rayonnement local que régional, davantage réservé aux villes moyennes et aux métropoles. 

La petite ville sera ainsi considérée comme une de ville-centre plutôt qu’un chef-lieu. En effet, étant souvent éloignées des métropoles, les petites villes souffrent aujourd’hui de la polarisation des services administratifs dans des villes plus conséquentes, ainsi que de la généralisation de la dévitalisation des centres-villes et de la désindustrialisation des territoires. Pourtant, elles ont un rôle clé à jouer à l’échelle de “la petite région”, à l’instar du rôle commercial et industriel qu’elles ont longtemps joué au travers de leurs marchés locaux ou de leurs usines industrielles.

©️ Anna Kaminova  sur Unsplash

Les défis de la petite ville 

Le seuil de 20 000 habitants pour évoquer la “petite ville” n’est pas anodin. Pour Lajugie, il correspond à une limite moyenne de population en dessous de laquelle les services, les commerces, les emplois proposés au sein de la ville ne suffisent pas à “relayer la métropole régionale”. En somme, la limite de 20 000 habitants est un « seuil important à partir duquel une agglomération possède en général tous les éléments constituants qui font d’elle une ville, par opposition à ce que l’on pourrait appeler un gros bourg ou une petite ville» (Gohier, 1973). La petite ville semble “par définition” se caractériser par son manque d’infrastructures, son manque de services, son rôle limité à l’échelle locale. Des difficultés qui ne s’avèrent pas toujours vérifiées, mais qui touchent toutefois une grande partie de ces territoires urbains. 

Un enjeu majeur dans ces petites villes est la dévitalisation des centres-villes. Une étude menée en 2017 montre que la vacance du parc locatif commercial atteint 9,5% dans les centres urbains des petites et moyennes villes. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter et qui représente désormais 12%. Fermetures de magasins, faillites, qui sont parfois liées à l’ouverture de grands centres commerciaux dans les plus grandes villes alentours sont des exemples des difficultés rencontrées en centre-ville. Avec l’arrivée de la société de consommation et la production industrielle massive, l’artisanat local propre aux petites villes a régressé, provoquant des pertes d’emplois à l’échelle de la petite région.  
Du point de vue industriel également, le manque de diversité des entreprises et la tendance à la mono-industrie accélèrent les processus de dépendance à d’autres territoires pour ceux qui ne parviennent pas à s’adapter. La petite ville est très associée à la mono-industrie. Elle représente un lieu privilégié de l’implantation industrielle de par la nature de sa main-d’œuvre. Et étant donné sa faible taille, il lui est difficile de diversifier ses secteurs d’emplois.” (Robert Desmarais). La mono-industrie pose également d’autres problèmes pour l’emploi : en cas de difficultés économiques des entreprises, par exemple des fermetures d’usines, c’est le bassin d’emploi local qui est touché très profondément.

Les anciennes tanneries Peltereau-Tenesson de Château-Renault (Indre-et-Loire) fermées en 1972 © Daniel Jolivet sur Wikimédia

Les petites villes ont longtemps fait reposer leurs modèles sur les services administratifs et l’économie tertiaire. La recentralisation des services administratifs dans les villes moyennes et les métropoles, a ainsi participé à essoufler certaines communes de moins de 20 000 habitants. Robert Desmarais précise que ce constat pessimiste a été compensé par l’arrivée d’autres services administratifs au sein des petites villes : ces derniers “ont gagné les petites villes” et sont par exemple “l’éducation, la santé, les affaires sociales”. Pour Desmarais, la petite ville “fonctionnelle”, dont le rayonnement est régional, peut ainsi s’appuyer sur son secteur tertiaire afin de compenser les risques de la mono-activité industrielle (spécialisation). 

Les différentes difficultés économiques, le “manque” d’attractivité commerciale des petites villes, voire même leur isolement territorial, se traduit parfois par des soldes démographiques faibles. Les populations urbaines, attirées par les grandes métropoles et l’accessibilité immédiate aux biens et services, ont tendance à s’installer davantage dans les grandes villes. Un “réflexe” qui n’est toutefois pas uniforme puisqu’on observe que les petites villes du Sud de la France gagnent des habitants. Fortes d’une identité et d’un cadre de vie agréable, les petites villes y gagnent des points. Un phénomène amplifié par l’accélération du télétravail et le confinement. 

Un souffle nouveau pour les petites villes 

Après l’expérience du confinement et la multiplication des mesures de télétravail, les petites villes ont retrouvé leur attrait auprès du grand public. Avec une bonne connexion internet, des lignes de train ou une autoroute à proximité, elles pourraient bien devenir des “silicons prairies” : le nouvel eldorado des travailleurs. Les petites villes de milieu rural proposent en effet un cadre de vie agréable et compatible avec les nouveaux modes de travail. Le désir de la petite ville pourrait donc s’avérer être un rejet des excès de la métropole et la recherche d’un équilibre, afin par exemple de renouer le lien social, refaire commun, pouvoir accéder à une maison individuelle et à un jardin. 

Ces petites villes bénéficient également d’une forte identité, souvent associée à un patrimoine, une histoire. Le tourisme s’impose parfois comme une véritable locomotive économique pour celles-ci. Par exemple, la ville de Cluny, réputée pour sa célèbre abbaye médiévale, a accueilli près de 140 000 touristes en 2019. Lors du colloque “Revitalisons nos petites villes” organisé en 2018 par l’ANABF, le patrimoine a été de nombreuses fois présenté comme un investissement de long terme à même de transformer positivement ces espaces urbains. Anciennes halles désaffectées qui deviennent des médiathèques, ruines d’auberge métamorphosées en restaurant étoilé… Voici quelques exemples de projets menés dans des communes de petite taille, qui rencontrent un franc succès et se présentent comme de véritables curiosités locales !