Les français, peuple de nageurs !
Troisième activité sportive la plus pratiquée par les français (après la marche et la course à pied), la natation est une véritable passion française. En effet, c’est plus d’un quart de la population des plus de 15 ans qui nage chaque année dans les 4 135 piscines et 6412 bassins communaux français. Championne d’Europe, la France compte un bassin public pour 10 000 habitants et une piscine privée pour 27 habitants. Ainsi, les habitants du littoral n’ont pas le monopole de la baignade, loin de là. Les citadins sont de plus en plus nombreux à apprécier les jeux d’eau et les villes l’ont bien compris, cultivant toutes sortes d’installations aquatiques. Le déconfinement des piscines le 9 juin et l’arrivée des premières chaleurs marquent l’occasion de vous montrer qu’il n’est pas forcément nécessaire d’aller jusque sur la côte pour faire le grand plongeon. C’est toute une déclinaison d’activités mouillées qui s’offrent déjà à vous en ville. De quoi ravir les 83 % de français qui savent nager mais aussi rafraîchir les barboteurs moins à l’aise. Entre usages et “mésusages”, découvrez les potentialités de la ville aquatique !
Les piscines, architecture emblématique du XXème siècle
La France n’a pas toujours été aussi bien dotée en piscines qu’aujourd’hui. Jusqu’aux années 1920, elle était même la mauvaise élève des activités aquatiques en Europe. D’ailleurs, au début du siècle dernier, si le monde entier célèbre les dieux marins que sont les nageurs internationaux victorieux des Jeux olympiques (JO), les athlètes français admettent de piètres résultats dans les compétitions. La trop courte liste des piscines françaises est pointée du doigt : alors qu’en 1923, l’Allemagne compte 1362 bassins, l’Angleterre 806, la Belgique 31, la France ne compte que 21 piscines sur l’ensemble de son territoire. Un tableau représentatif de l’état des pratiques nationales à l’époque : la majorité des français ne savent pas nager.
La perspective des JO de Paris de 1924 marque un tournant, la France doit rattraper son retard en matière de médaille sur les épreuves de natation mais aussi en matière de construction de piscines publiques. Plusieurs chantiers sont lancés, dont le village olympique phare, et la tendance s’améliore jusqu’à la seconde guerre mondiale. Puis, 1968 marque le renouveau des chantiers. Là encore, ce sont les mauvais résultats français aux JO de Mexico qui guident l’ambition des architectes. Une opération sans précédent est lancée en 1969 avec un nom explicite “les 1000 piscines”. La même année deux faits divers terrifiants marquent les esprits : 19 enfants en vacances dans un centre aéré se noient dans la Loire, puis quelques semaines plus tard, un bateau de promenade prend l’eau dans le Lac Léman emportant 24 personnes dont 14 petites filles. Apprendre à nager aux enfants dès le plus jeune âge devient un objectif politique majeur et la natation sera une discipline sportive enseignée à l’école ! Le projet des 1000 piscines s’en trouve renforcé, 700 nouvelles piscines sont construites entre 1969 et 1972.
Architecture aquatique emblématique des années 1970, la piscine Tournesol à vu nombre de soixante-huitards faire le grand plongeon. En réponse à l’appel à projet de l’Etat, c’est l’architecte Bernard Schoeller qui propose ce modèle révolutionnaire de piscine couverte. Économique, modulable et semi-ouvrable, la piscine Tournesol est portée en symbole des politiques d’aménagement des années 1970. 184 piscines du genre sont implantées dans 60 départements entre 1972 et 1984, participant largement à l’apprentissage des plus jeunes, notamment dans les quartiers populaires, et à la démocratisation de la natation en France.
La piscine Tournesol de Fosses, Val-d’Oise. ©P.poschadel/Wikipédia
Les nouvelles tendances aquatiques : des bassins ludiques, privatifs et écologiques ?
Si 70 % des piscines publiques ont ainsi été construites avant 1995, les piscines nouvelle génération témoignent du renouveau des usages aquatiques contemporains. Lumineuses, colorées, ludiques, les centres aquatiques multifonctionnels ne proposent plus uniquement des lignes de nage. Toboggans, rivières extérieures, jets, bains bouillonnants, spas, fitness… Les hautes verrières cultivent une déclinaison d’activités de la piscine jouable à la piscine relaxante, en passant par la balnéothérapie, les bébés nageurs ou l’aquabike. L’architecture des espaces aquatiques s’en ressent d’ailleurs, les architectes s’amusent avec les volumes et les matériaux. La piscine flottante Joséphine Baker, amarrée sur les quais de Seine à Paris ou les bains dock, tout en blanc et bleu, construits par l’architecte Jean Nouvel au Havre, en témoignent.
©Dinkum/Wikipédia
De nouvelles préoccupations environnementales et sociales viennent également repenser l’aménagement des piscines. Certaines abandonnent le chlore. À ce titre, les piscines publiques naturelles arrivent progressivement en France. Tandis que d’autres cherchent l’inclusivité, notamment des genres, en créant des douches communes mixtes.
Les préoccupations écologiques se retrouvent également dans le marché des piscines privées dont la production est en hausse exponentielle depuis le début du siècle. En effet, avec plus de 2,5 millions de piscines privée en 2017, dont ⅓ dans le sud-est français, les français sont les leaders de l’aménagement de bassin en arrière cour. La fermeture des piscines publiques et les confinements successifs ont renforcé la tendance. Jamais autant de demandes de permis d’aménagement de bassin n’ont été déposées qu’à l’été 2020, les fabricants de piscines privées sont occupés pour les trois prochaines années.
Merveille d’installation technique, les piscines artificielles favorisent ainsi la démocratisation de la natation et garantissent un accès à l’eau sécurisé pour les citadins. Mais à l’heure où les questions de gestion de l’eau et de durabilité énergétique sont prégnantes dans le débat public, les piscines, même “plus écologiques » ne font pas l’unanimité. Qui plus est sachant que la majorité des villes dispose déjà d’espaces aquatiques naturels.
Faire trempette dans le fleuve : un droit à la ville aquatique !
Avant le développement exponentiel des piscines, les baignades étaient moins formelles. Les jours de fortes chaleurs, les habitants plongeaient dans la rivière, l’étang ou le fleuve le plus proche. Cette pratique spontanée rend nostalgique nombre de nageurs contemporains. En effet, aujourd’hui les baignades sauvages sont largement interdites, en particulier en zone urbaine en raison du trafic naval et de la mauvaise qualité de l’eau ( il est d’ailleurs illégal de se baigner dans la Seine depuis 1923). Une interdiction bravée par de plus en plus de citadins, amateurs de baignades sauvages, qualifiées en milieu urbain dense de “baignades urbaines”.
Ainsi, quelques amoureux des bains extérieurs solitaires, ou groupes de nageurs français, comme le Laboratoire des baignades urbaines expérimentales, pratiquent la baignade en eau libre dans les fleuves urbains et promeuvent le renouveau d’une activité délaissée en France depuis plus d’un siècle. Plus qu’une pratique personnelle, pour beaucoup de pratiquants réguliers, faire le grand plongeon dans la ville, c’est également revendiquer un autre usage des cours d’eau urbains et dénoncer une vision de l’espace publique aquatique obsolète.
Alors que les fleuves sont des biens communs et des éléments centraux constitutifs de l’espace public – le renouvellement urbain toujours plus proche de l’eau et l’essor exponentiel du tourisme balnéaire en témoignent – les baigneurs citadins dénoncent un accès discriminatoire à l’eau. Nager dans les cours d’eau en ville constitue, dès lors, un acte de lutte citoyenne pour une liberté de baignade dans l’espace public, pour des cours d’eau urbains propres et pour des berges accessibles, inclusives et plus respectueuses de l’écosystème aquatique.
Pour dénoncer les effets de stérilisation et de discrimination des espaces publics aquatiques, le Laboratoire des baignades urbaines fait notamment l’éloge des pratiques de nos voisins européens. En Allemagne ou en Suisse par exemple, la baignade est autorisée sur l’ensemble du territoire, “aux risques et périls des nageurs”, souvent mieux informés sur la temporalité des crues, la qualité des eaux ou les premiers secours, et donc, par la même, plus concernés par les questions de sécurité et d’écologie aquatique. Promouvoir la légalisation des baignades urbaines en France apparaît ainsi comme un plaisir rafraîchissant autant qu’un enjeu d’éducation et de requalification de l’espace public vers ce qu’on pourrait appeler : le droit à la ville aquatique.
Cet été, tous à la pataugeoire !
Si les villes françaises sont encore réticentes à autoriser les baignades urbaines, l’arrivée des beaux jours est tout de même l’occasion d’être plus permissifs mais aussi créatifs concernant les usages urbains aquatiques. À ce titre, de plus en plus de villes aménagent et sécurisent des espaces de baignades durant l’été. La mairie de Paris propose par exemple depuis 2017 une aire de baignade de juillet à août dans le bassin de la Villette : une occasion exceptionnelle pour les citadins de pouvoir piquer une tête dans Paris. D’autres fabriquent des espaces aquatiques dédiés aux enfants. De juin à septembre, la métropole de Nantes ouvre 19 pataugeoires dans les parcs et jardins de la ville, de quoi amuser et rafraîchir les plus jeunes jusqu’à 12 ans.
Cependant, ce n’est moins la baignade que la lutte contre les chaleurs estivales ou caniculaires que cherchent à mettre en place les villes dans leur espace public : si l’usage de la pataugeoire dans les rues est toléré exceptionnellement l’été, la baignade demeure du domaine de la piscine municipale avec ticket d’entrée. La controverse sur le dit mésusage du miroir d’eau de Bordeaux devenu pédiluve, pour le bonheur des uns rafraîchis témoigne que fontaines, bassins et autres zones en eau urbaine sont encore loin de devenir des espaces de baignade légitimes et légales.
Miroir d’eau de Bordeaux – Photo Ryan Ancill/Unsplash
Pourtant, ce n’est plus un secret, les villes se réchauffent et les urbanistes cherchent de nouveaux moyens de la rendre fraîche. L’eau, évidemment, apparaît comme la solution privilégiée et davantage de berges sont piétonnisées. De là à faire le grand plongeon, il n’y a qu’un pas. Alors si cet été la chaleur devient insoutenable, que les jauges sanitaires ne vous permettent pas d’accéder à la piscine municipale, écoutez le conseil des baigneurs urbains : suivez l’impulsion du moment, et immergez vous dans le prochain pédiluve venu. En ce qui concerne les étendues d’eau plus importantes, renseignez-vous au préalable et soyez prudents. L’espace public s’en trouvera assurément plus aquatique.
Crédits photo de couverture ©Scopio/Canva