Ce printemps, le retour des beaux jours est une invitation à renouer avec la culture. Le progressif déconfinement culturel, la récente création d’un Pass Culture pour les jeunes français et la relance des premiers festivals urbains par les collectivités les plus optimistes créent une occasion unique d’aller à la rencontre de vos artistes favoris. Un renouveau de la culture donc, fort attendu par nombre de français – artistes, intermittents et spectateurs -, qui devrait se dérouler dans des conditions exceptionnelles cette année. En effet, les règles sanitaires contraignent une reprise en fanfare et se sont les événements réduits et en plein air qui sont pour le moment maintenus. À ce titre, Lumières de la ville vous propose cette semaine un focus sur un monument culturel emblématique, sanctuaire historique des arts et lieu privilégié des spectacles en plein air d’hier et d’aujourd’hui : les théâtres antiques. 

Les vestiges emblématiques d’une culture gallo-romaine durable

La France compte aujourd’hui 41 théâtres romains antiques connus sur son territoire. Vestiges sommaires, ruines touristiques ou sites historiques dans un rare état de conservation, ces morceaux d’histoire sont l’héritage durable de la civilisation gallo-romaine et les symboles d’un hommage rayonnant portée aux arts et à la culture. 

Inspiré du théâtre grec, le théâtre romain antique fait son apparition en Italie au milieu du Ier siècle avant J-C. Les techniques de construction romaines innovantes telles que l’invention des premiers bétons et l’emploi des voûtes rayonnantes permettent l’érection de murs hauts qui exonèrent les architectes romains de s’appuyer sur une colline comme le faisaient jusqu’ici les grecs. Les premières constructions, le théâtre Pompée et le théâtre Marcellus à Rome, servent de modèles architecturaux : le théâtre romain est un monument fermé sur lui-même, dans lequel l’étagement de gradins en demi-cercle rejoint un mur de scène luxueusement décoré.

Le théâtre est un divertissement important dans la société romaine. Les citoyens, les pérégrins (hommes non citoyens), les femmes, les enfants, les affranchis et les esclaves ont tous le droit de s’y rendre gratuitement au moins deux fois par an. Le théâtre est le lieu privilégié des interactions sociales, toujours hiérarchisées, comme en témoigne l’organisation castée des gradins, où les relations sociales sont exposées et mises en scène. Si le civisme ou la religion ne sont pas, comme chez les grecs, des thématiques omniprésentes, le théâtre romain est considéré comme salutaire pour l’émotion qu’il procure et l’apprentissage du bon latin qu’il diffuse. 

Pour ces vertus, des théâtres sont progressivement construits dans toutes les villes romaines et l’amphithéâtre, théâtre circulaire permettant d’accueillir davantage de public et d’organiser d’autres types de représentation (pantomimes, cirque, combats) sera inventé quelques années plus tard par des architectes romains. L’édification des théâtres s’accélère au Ier siècle sous l’impulsion de l’empereur Auguste, féru des arts et mécène historique, qui ordonne la construction de monuments culturels symboliques dans toutes les colonies romaines. La romanisation de la Gaule va ainsi entraîner une modification de l’aménagement du territoire. Les villes gauloises vont être modifiées selon les codes d’architecture romaine : plan orthogonal de circulation, création de forums et multiplication des théâtres et amphithéâtres en cœur de villes.

Le théâtre apparaît ainsi comme un moyen privilégié de l’acculturation des peuples gaulois, autant par la présence architecturale de monuments emblématiques dans les villes gallo-romaines, que par les pièces, toujours interprétées en latin, et les coutumes culturelles et sociales romaines auxquelles les gaulois adhèrent progressivement. Le théâtre antique romain admet ainsi une influence durable jusqu’à aujourd’hui où l’architecture antique et les arts dramatiques gallo-romains fondateurs structurent encore largement les villes et les arts français. 

Un patrimoine culturel antique à préserver, restaurer ou reconstruire ?

En tant qu’héritage matériel d’une civilisation ancienne reconnue constitutive de l’identité et de la mémoire collective des peuples, les théâtres antiques sont aujourd’hui protégés au titre des monuments historiques. Tout comme d’autres constructions présentant un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique, ils sont reconnus comme faisant partie du patrimoine culturel national. Un patrimoine historique source de connaissances et de beauté que les architectes des bâtiments de France et les collectivités se doivent de préserver pour les générations futures. 

Une telle mission n’est pas cependant aisée à relever dans la pratique, considérant les états variés de conservation des bâtiments millénaires. Une question fait ainsi débat : comment garantir la pérennité de ces édifices ? La réponse semble multiple, car selon les sites archéologiques et les monuments la démarche patrimoniale n’est pas la même entre préservation, restauration et reconstruction. En témoignent trois démarches de protection pour trois théâtres gallo-romains français. 

Situé dans le parc archéologique de la Fourvière, le théâtre gallo-romain de Lyon fait l’objet de mesures de préservation. Si plusieurs murs sont partiellement visibles depuis plusieurs siècles, la scène du théâtre n’a été découverte qu’en 1933 parmi d’autres vestiges antiques et le mur de scène en 2003. D’ailleurs, le parc archéologique est encore aujourd’hui objet de fouilles en plusieurs endroits et c’est pourquoi une démarche de restauration ou de reconstruction serait désuète. La préservation du théâtre antique de Lyon passe ainsi par l’inaccessibilité de certaines zones sensibles mais surtout par une démarche active de partage de la culture gallo-romaine et de création d’une science participative. À ce titre, des ateliers de sensibilisation à l’archéologie, des expositions culturelles et des cours pratiques sont organisés par le dynamique service archéologique de la ville de Lyon.

Théâtres antiques - Théâtre Lyon

Théâtre antique de Lyon – Photo Mike Benna/Unsplash

Le théâtre antique d’Arles a, quant à lui, fait l’objet d’une campagne de restauration. C’est le baron Chartrouse, maire de la ville en 1823, qui décide le premier d’entreprendre des fouilles près des ruines antiques visibles dans le centre d’Arles. Jusqu’à aujourd’hui, les commissions archéologiques continuellement convoquées sont allées de découvertes chanceuses en découvertes heureuses au point que c’est tout un quartier moderne de la ville d’Arles qui a finalement été démoli pour exposer les ruines antiques. Au fur et à mesure des fouilles, les arlésiens ont pris conscience de la présence d’ une cité endormie qui résidait sous leurs pieds. Ceux-ci ont été mis à contribution pour consolider les colonnes dès 1840 et restaurer les gradins avec les pierres d’origine en 1900. De 2005 à 2009, c’est finalement une grande campagne de restauration dans le cadre du Plan Patrimoine Antique qui permet de faire du théâtre gallo-romain un haut lieu du tourisme arlésien.

Théâtres antiques - Théâtre Arles

Théatre gallo-romain d’Arles ©Leonid Andronov/Canva

Le théâtre d’Orange enfin, théâtre antique le mieux conservé d’Europe et monument inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, a fait l’objet d’une reconstruction contemporaine. En effet, à l’origine les romains avaient construit une charpente de bois et un toit pour abriter la scène et protéger les décors du mur. La toiture ayant complètement brûlé au IVème siècle, c’est lorsqu’il a été question de réinvestir le théâtre au XXème siècle, que les recherches scientifiques et archéologiques poussées ont démontré que les pierres supérieures ne pourraient plus supporter un toit de scène équivalent. Pour protéger la façade antique des agressions climatiques, il a donc été décidé d’orienter la reconstruction vers une architecture moderne plutôt que de tenter une reconstitution approximative et risquée de la charpente. 

C’est aujourd’hui une couverture contemporaine en verre et en acier qui trône fièrement au sommet du mur de scène. Pour ne pas risquer d’abîmer les pierres anciennes, le nouveau toit repose sur une gigantesque poutre transversale de 61 mètres de long. L’architecte en chef des monuments historiques chargé de la reconstruction, Didier Repellin, s’est ainsi assuré que la nouvelle toiture oblique protège la structure gallo-romaine, intègre les équipements scéniques contemporains pour les spectacles et préserve l’acoustique du théâtre. Une reconstruction contemporaine achevée en 2006 qui garantit aujourd’hui la protection du mur de scène en permettant de nouveaux usages. 

Théâtres antiques - Théâtre Orange

Théatre antique d’Orange ©Juergen Schonnop/Canva

Faire vivre les théâtres antiques !

Aujourd’hui, les théâtres antiques sont réinvestis par les français autour de nouveaux usages. Car si la question se pose de la protection des ruines, les conservateurs et les collectivités s’accordent sur un point essentiel : contre la désincarnation de ces monuments fédérateurs, il faut faire vivre les théâtres antiques ! Et quoi de mieux pour faire retrouver un peu de leur éclat d’antan aux ruines que les arts et la culture, dans leur version moderne.

Le tourisme fait d’abord la part belle aux ruines antiques. En effet, tout comme Rome ou Athènes, les cités gallo-romaines attirent chaque année par milliers les touristes locaux et étrangers, avides de découvrir l’architecture et la culture antique. Des communes comme Orange, Avignon ou Nîmes cultivent d’ailleurs des coutumes gallo-romaines et un esthétisme antique dans l’ensemble de la ville. Les parcs archéologiques sont assortis de musées valorisant les arts visuels tels que la sculpture et l’architecture mais aussi la culture orale des mythes et légendes celtes et romains. Les Augustales, à Orange, sont une réussite en matière de célébration des contes traditionnels. La reconstitution historique s’invite également dans le cadre de festivals antiques : la Fête romaine, est maintenue en septembre, toujours à Orange. Les touristes peuvent ainsi effectuer un voyage dans l’espace mais aussi un peu dans le temps, de quoi ravir petits et grands.

Ensuite, les théâtres antiques sont réinvestis par les comédiens. De nouvelles planches étoffent les scènes et les soirées d’été sont des occasions rêvées pour rejouer les comédies de Plaute ou Térence, dramaturges latins, mais aussi des tragédies grecques ou des pièces plus contemporaines. Le décor antique, l’acoustique millénaire et la nature environnante donnent à tous les drames une profondeur qui éveille les sens et semble traverser les siècles. Le succès des pièces en plein air dès le début du XXème siècle et la poursuite de la conception multiculturelle des jeux romains (ludi), encouragent désormais toute la famille du spectacle vivant à investir le théâtre antique. 

Durant la saison estivale, les scènes extérieures accueillent ainsi une succession d’événements et festivals de théâtre mais aussi de mime, de cirque, de danse et de musique. À ce titre, les Nuits de Fourvière à Lyon font leur retour en juin dans le cadre du festival multiculturel, créé en 1946, qui fait la part belle aux arts de la scène. Parmi les plus célèbres festivals de musique se déroulant dans des théâtres antiques, et bien souvent dans l’ensemble des anciennes cités gallo-romaines, vous pouvez également aller voir cet été, les chorégies d’Orange, les Suds à Arles ou Jazz à Vienne. Des cycles de concerts impressionnants dans des décors magnifiques qui ont déjà accueilli les plus grands artistes antiques et contemporains. 

Enfin, l’innovation dans le domaine des arts appelle la modernisation des théâtres antiques et les arts médiatiques, eux aussi, s’invitent dans les parcs archéologiques. Exposition photographique, arts numériques et cycle de projections cinématographiques seront au rendez-vous cet été. Il est vrai que les gradins antiques font de merveilleux cinéma à ciel ouvert. Rendez-vous à Arles en juillet pour les rencontres internationales de la photographie, puis en août pour le festival du film Peplum. Une invitation supplémentaire à découvrir les anciennes cités gallo-romaines cet été. 

Ainsi, les manifestations estivales réintroduisent les arts anciens et modernes dans les théâtres antiques. La culture antique fascine et fédère les amateurs d’histoire et de culture, et ceux-ci rendent par leur présence sa gloire d’antan aux théâtres antiques. Il semblerait donc finalement que les théâtres gallo-romains demeurent des sanctuaires impérissables de la culture et des arts mais plus uniquement de la scène. Par la conservation et le réinvestissement des sites archéologiques, c’est l’histoire, les mythes, l’architecture, les chants, les danses, les images et les films d’hier et d’aujourd’hui qui inondent les scènes et participent à la création et la diffusion d’une culture en perpétuelle construction.

Photo de couverture « Les chorégies dans le Théatre antique d’Orange » ©Culturespaces-Les chorégies/Wikipédia