Le musée “un classique”, une espèce en voie de disparition ?

Des plus insolites, comme le Musée de la chaussure à Roman-Sur-Isère, ou celui de la frite à Bruges, aux plus connus avec ceux de renommée internationale comme le Louvre à Paris ou Le Metropolitan Museum de New York, les 50 000 musées du monde sont pleins de surprises.

Le principe de musée, c’est à dire de regroupement d’oeuvres d’art dans un espace ouvert au public, s’est majoritairement développé durant la Renaissance, notamment en Italie, avec l’apparition d’un intérêt croissant pour l’Antiquité. Pendant près de 300 ans, ce sont peu à peu de nombreux lieux qui vont ouvrir, comme le British museum à Londres, la Galerie des offices à Florence ou encore le Palais du Luxembourg à Paris, pour accueillir de grandes collections privées ouvertes au public.

En parallèle de l’installation de grands musées nationaux, les cabinets de curiosités se développent également. On y affiche les objets et drôleries ramenés de voyages de découverte avec une approche différente, davantage tournée vers la science, les curiosités de la nature et du monde. A la fin du XIXème, où l’on connaît un fort attrait pour l’ethnographie, les cabinets de curiosité retrouvent alors une seconde jeunesse et un fort attrait de la part des visiteurs.

Quant aux collections artistiques, elles sont pendant très longtemps exposées dans des grands édifices historiques. Suite aux deux guerres mondiales, avec les nombreux monuments détruits et les politiques de développement de la culture dans une optique d’accessibilité à tous, la deuxième moitié du XXème siècle connaît cependant la construction d’un grand nombre de musées modernes.

A l’instar du Centre Georges Pompidou à Paris ou du Guggenheim de New-York, ces musées tout neuf, qui ont aussi la particularité d’avoir été construits pour cette fonction, sont porteurs d’architectures contemporaines singulières qui en font des oeuvres à part entière. Leurs formes contemporaines permettent d’accueillir des collections modernes aux volumes variés et une scénographie travaillée.

La fin du XXème siècle et le début du XXIème siècle apparaît comme une nouvelle ère pour les musées. Suite à la construction du Guggenheim de Bilbao (Espagne) en 1997, on attribue au musée un nouveau rôle : celui d’une architecture symbole, porteuse d’un renouveau pour la ville. L’effet “Bilbao” s’empare peu à peu de nombreuses villes. De grands musées aux architectures contemporaines, comme le Louvre Lens, le musée Confluence à Lyon, le Mucem à Marseille, ouvrent peu à peu leur porte, et deviennent de véritables éléments de marketing territorial qui amorcent une nouvelle image pour les quartiers ou même les villes où ils s’implantent.

Le MUCEM à Marseille, de l’architecte Rudy Ricciotti – ©Andrey Khrobostov / Getty Images

Plus récemment, les pays des Emirats entrent dans la course à la prouesse architecturale à travers la conception de musées d’ampleur : le Louvre Abu-Dhabi, imaginé par Jean Nouvel, qui a ouvert ses portes en 2017, en est bien la preuve. Chaque grande mégalopole du monde se doit d’avoir son musée aux proportions et techniques de conception impressionnantes. D’ailleurs, face à cette quête de musées spectaculaires, la ville de New-York n’est pas à la traîne : elle vient en effet d’inaugurer son nouveau musée, le Shed, 18 000 m2 d’espaces d’exposition, dont la structure roulante peut évoluer pour doubler cette surface.

Cette transformation architecturale pousse les musées plus “classiques” à se réinventer. Les liens créés à l’international entre les différents musées permettent aujourd’hui de faire circuler les oeuvres et de proposer des expositions temporaires de plus en plus riches et variées. Le succès de l’exposition “Toutankhamon, le trésor du pharaon” actuellement à la Villette à Paris illustre bien ce phénomène. La collaboration entre les musées semble être aujourd’hui un élément indispensable à l’attraction de nouveaux visiteurs.

Quand le musée s’invite dans l’espace urbain

L’évolution des pratiques artistiques, et notamment depuis le siècle dernier, a également obligé les musées à repenser leurs espaces d’exposition et leurs liens à l’espace urbain. Les musées tendent ainsi à être de plus en plus ouverts sur la ville, elle même porteuse d’un nouveau type d’art, celui de la rue, moins institutionnalisé et davantage temporaire.

L’architecture du Centre Georges Pompidou est révélatrice de ces nouveaux liens entre art et ville. Le parvis urbain du musée est à lui même une zone d’exposition et d’expression artistiques pour les performeurs urbains : on y trouve des oeuvres qui s’inscrivent parfaitement de le paysage urbain parisien. On inverse peu à peu la logique de l’homme qui vient à l’art vers celle de l’art qui vient à l’homme.

Coup de tête de Adel Abdessemed sur le parvis du Centre Pompidou en 2012, ©Guilhem Vellut via Flickr

Le développement du street-art, à partir des années 70, illustre également le glissement d’une conception d’un art “sacré” contenu dans des édifices historiques vers un art plus “populaire” dans lequel la rue devient le support par excellence. On cherche ainsi à adapter la structure muséale à ce nouveau type d’art. Par exemple à Berlin, l’Urban Nation, musée dédié aux arts urbains, a su faire de son architecture le nouveau support de ses oeuvres, que cela soit à l’intérieur ou l’extérieur. Mais le plus souvent, ce sont des visites organisées dans les rues des villes qui sont le plus privilégiées, car quoi de mieux que d’observer une oeuvre dans son contexte ?

La ville de Nantes, depuis 2012, propose chaque été un événement particulièrement réussi “Le voyage à Nantes”. En décloisonnant la vision classique de visite au musée, la ville cherche à promouvoir la culture au plus grand nombre. Ce sont, en tout une soixantaine d’oeuvres et d’événements qui sont répartis dans l’ensemble de la ville. Pour visiter cette exposition géante, rien de plus simple, il suffit de suivre la ligne verte peinte au sol qui permet de relier l’ensemble des oeuvres et de découvrir par la même occasion la ville. Une balade ludique et culturelle qui offre un nouveau regard sur l’espace urbain et qui attire chaque année de nombreux curieux.

« Éloge du pas de coté » par Philippe Ramette lors du  «Voyage à Nantes», France – ©Lumières de la ville

Mais Nantes n’est pas le seul exemple de ville qui devient le temps d’un moment un musée à ciel ouvert. Les différentes biennales (design, architecture, ou danse) qui rythment nos villes, proposent également d’investir l’espace urbain de manière ponctuelle. Celle de Venise en est l’exemple le plus flagrant : des centaines d’oeuvres viennent investir la cité des Doges tous les deux ans depuis 1893 ! À chaque édition, la biennale est l’occasion de mettre à l’honneur l’ensemble des arts venus de tous les pays. Pour sa dernière édition (en 2017), ce sont près de 120 artistes, 86 pays participants et 23 événements spéciaux qui ont animé la ville pour 5 mois et faisant ainsi de Venise un véritable musée à ciel ouvert.

«Support» de Antony Quinn lors de la Biennale de Venise en 2017 – ©Andy WALKER via Pexels

Le numérique, au service des musées ?

L’évolution de la société oblige bien souvent les musées à également réfléchir à de nouvelles manières de fonctionner. Le développement du numérique et sa démocratisation a grandement bouleversé le monde de l’art. Pourquoi payer l’entrée d’un musée lorsque l’on peut observer l’oeuvre sur son téléphone gratuitement depuis son canapé ?

Pour lutter contre la désertification de leurs expositions par le grand public, certains d’entre-eux proposent alors de nouvelles expériences immersives pour découvrir d’une nouvelle manière les oeuvres. Inspiré par Les Carrières de Lumières aux Baux de Provence, L’Atelier des Lumières, dans le 11ème arrondissement de Paris, transforme les codes de l’exposition classique : dans la halle d’une ancienne fonderie du XIXème siècle, il est possible de découvrir des expositions numériques immersives monumentales. Ce sont en tout 140 vidéoprojecteurs et un travail sonore qui projettent sur 3 330 m2 de surfaces, en partant du sol jusqu’au plafond, et bien évidemment sur les murs aux dimensions impressionnantes. Il est désormais possible de plonger au coeur des oeuvres de Van Gogh ou encore Gustav Klimt, et ainsi de se laisser envahir par l’Art grâce à nos cinq sens.

La Projection Gustave Klimt à l’Atelier des Lumières à Paris – ©Caroline Léna Becker via Wikipédia 

Le développement d’application smartphone a également permis de faciliter l’accès de ces lieux de culture à une plus large partie de la population. Des applications d’audio-description pour les personnes malvoyantes, ou encore d’explications précises des oeuvres pour des expositions, elles sont au service de musées plus inclusifs.

Pourtant, parfois l’utilisation des smartphones devient problématique. De nombreux musées dénoncent le fléau du selfie devant les oeuvres. A l’instar des rues et des espaces publics qui deviennent avant tout des fonds de décor pour une photo instagramable, les musées connaissent de plus en plus les dérives de ce phénomène.

Une pratique qui devient même dangereuse dans ces espaces contraints, où les visiteurs à la recherche de l’angle parfait photographique négligent bien souvent les oeuvres, allant même jusqu’à les faire tomber, comme cela a pu être le cas à Lisbonne où la prise d’un selfie a engendré la chute d’une statue du XIIème siècle, la pulvérisant en petits morceaux. Est-il fini le temps où l’on restait des heures devant une oeuvre à la contempler ? Il semblerait que les pratiques évoluent vers une fast-consommation de l’art pour avant tout leur mise en valeur sur les réseaux sociaux.

Certains musées ont cependant vite saisi l’intérêt du phénomène, et constituent désormais des collections temporaires avec des oeuvres spécialement conçues pour les photos selfies, avec un esthétisme qui permettra une fois publiées sur les réseaux sociaux d’attirer toujours plus de visiteurs en quête de la photo parfaite.

«Swimming Pool» de l’artiste argentin Leandro Erlich au musée de Kanazawa au Japon, une œuvre  fréquemment photographiée sur Instagram ©Crispin Semmens via Flickr

Et même plus étonnant, Los Angeles a inauguré, il y a un an environ, un musée dédié aux selfies. De quoi remplir son compte instagram !

Une chose est sûre, on quitte le modèle du musée classique pour aller vers des musées de plus en plus interactifs et vivants. Tout comme la société le fait sans cesse, les musées s’adaptent eux aussi pour laisser au placard leur image ringarde et proposer de nombreuses expériences insolites. Ils ne tendent plus à être solitaires dans le tissu urbain, mais à réellement s’ouvrir sur la ville et ses habitants. De bonne augure pour que l’accès à la culture soit permis à tous. Attention cependant à ne pas oublier les oeuvres dans tout ce foisonnement d’idées !

Crédits photo de couverture ©Andrey Khrobostov / Getty Images