Le 15 avril dernier, les parisiens et le monde entier découvraient avec stupeur les flammes qui ravageaient la Cathédrale Notre Dame de Paris. Après plus de 15h de lutte contre les feux, le lever du soleil laissait découvrir un triste spectacle : celui d’une cathédrale ayant perdu sa charpente en bois du XIIème ainsi que son impressionnante flèche construite par l’architecte Viollet-Le-Duc en 1859.
Au lendemain de la tragédie, le président de la République prend la parole en assurant que la Cathédrale serait reconstruite en moins de 5 années. Mais une question a longtemps perduré : comment sera-t-elle reconstruite ? Verra-t-on un jour une flèche contemporaine trôner au dessus de Notre-Dame ?
Après plus d’un an de suspens, laissant place à de nombreux débats, la décision est prise. La charpente et la flèche de Notre Dame de Paris seront reconstruites à l’identique en respectant les matériaux d’origine. Une décision qui n’est pas au goût de tous, mais qui se retrouve finalement assez révélatrice du lien qu’entretient la France avec son patrimoine bâti.
La ville, une succession d’architectures au fil des siècles
Depuis son apparition jusqu’à maintenant, la ville s’est construite sur elle-même. En traversant les siècles, elle a également traversé les styles architecturaux. Aujourd’hui, c’est cette superposition des siècles, des méthodes, de matériaux qui façonnent aujourd’hui nos paysages urbains. Un doux mélange qui s’est construit suite à des catastrophes (incendie…), des décisions politiques (percées Haussmanniennes), qui ont permis à la ville de se réinventer, de s’améliorer en optant pour des solutions innovantes.
Les grands monuments architecturaux qui ornent nos villes n’échappent pas à cette logique : ils sont la résultante d’une couche successive d’interventions d’architectes, d’artisans qui sont venus les imaginer, les réparer, les consolider, les améliorer. La Cathédrale Notre Dame de Paris est elle aussi l’oeuvre de plusieurs hommes, de plusieurs siècles : sa construction, initiée par l’évêque Maurice de Sully en 1163, dure plus de deux siècles. Largement dégradée par la Révolution française, c’est l’architecte Viollet-le-Duc qui est chargé de sa restauration : de 1844 à 1864, ce sont de nombreuses transformations qui ont lieu, dont la construction d’une flèche moderne qui vient siéger sur le toit de la cathédrale, ainsi que des rosaces qui en font aujourd’hui sa célébrité. Aujourd’hui, c’est ces multiples transformations et l’audace de certain qui font la beauté du monument. Alors, un an après l’incendie, la décision de reconstruire l’édifice à l’identique pose question : Viollet-le-Duc avait lui choisi d’apporter de la modernité avec la construction de la flèche pour construire un nouveau patrimoine. Sommes-nous en train de faire un pas en arrière ?
Photographie de la flèche juste après son installation en 1860. via Wikimédia
Vers un patrimoine pastiche ?
Reconstruire à l’identique. Ce sera donc le maître mot qui guidera les prochaines années de chantier. Pourtant cette décision fait polémique, et pour cause, reconstruire à l’identique pose la question du souvenir de la catastrophe. Pour certain, cette décision revient à effacer l’incendie alors que ce dernier est un événement important de son histoire.
La reconstruction à l’identique pose également la question de quel patrimoine laissons-nous : ici, ce sont les mêmes matériaux, les mêmes techniques constructives qui vont être mis en œuvre, mais plusieurs siècles après. La question du plomb, utilisé dans la toiture, fait également débat : aujourd’hui le plomb est reconnu comme un matériau de construction nocif, pourtant il sera reemployé dans la nouvelle toiture de la cathédrale. Une lettre ouverte a d’ailleurs été adressé au Président de la République par l’association des familles victimes du saturnisme (publiée sur Médiapart) pour demander au renoncement de l’usage du plomb dans la future toiture de Notre-Dame.
La décision d’une reconstruction à l’identique en étonne certain, elle s’ancre dans un rapport au patrimoine très singulier que nous avons en France. Contrairement à nos voisins européens, le patrimoine architectural français est très protégé, voir quasiment mis sous cloche. Les réglementations françaises restreignent les interventions architecturales contemporaines sur des éléments patrimoniaux. Mais alors, si dans la reconstruction reste extrêmement fidèle au style architecturale de la cathédrale mais également aux techniques et matériaux d’époque de la construction, ne revient-elle pas créer un patrimoine pastiche, ignorant les évolutions architecturales de notre époque ?
Et si le contemporain sublimait le patrimoine ?
Quelle place laisse-t-on aux architectes contemporains dans la constitution d’un patrimoine commun moderne ? C’est l’une des questions qu’a soulevée le choix d’une reconstruction à l’identique de la cathédrale Notre Dame de Paris. Même si, en France, nous avons quelques exemples d’interventions architecturales contemporaines, comme la pyramide du Louvres de l’architecte Ieoh Ming Pei inaugurée en 1989, l’architecture contemporaine n’est que très peu utilisée pour mettre en valeur le patrimoine histoire.
Mais si nous regardons ce qui se passe en dehors de nos frontières, nous nous rendons compte qu’il existe de nombreux projets où les styles architecturaux sont mixés. Les techniques et matériaux contemporains sont alors utilisés pour sublimer ceux des siècles passés.
À Madrid, les architectes Herzog et de Meuron sont venus habiller la Caixaforum d’un chapeau contemporain ©️Nemo sur wikipédia
À l’heure où nous ne construisons plus de cathédrale, la reconstruction de celle de Notre Dame aurait pu permettre aux architectes contemporains de venir poser une pierre à un édifice qui s’est construit et modifié au cours des siècles, mais elle aurait surtout permis de montrer que les architectes sont capables de venir créer un patrimoine pour demain, et de faire de notre époque une période de création architecturale de qualité.
Photo de couverture ©Cécile Pallares Brzezinski via Wikipédia