Des canuts lyonnais travaillant la soie, aux brodeuses bretonnes, aux maisons de hautes coutures parisiennes, la France possède depuis longtemps une tradition des métiers du textile. Ce sont ces métiers régionaux qui, plus est, ont pendant de longues années porté à l’international,  la fameuse renommée française dans ce milieu. Et c’est d’ailleurs au tailleur français Barthélemy Thimonnier, que l’on doit en 1830 l’invention de la machine à coudre, qui a permis d’accélérer l’essor de l’industrie du textile. Cette industrie a façonné au fil des siècles nos paysages français, et notamment ruraux. La région des Vosges comptait, par exemple en 1860, 110 usines, employant plus de 15 000 ouvriers qui travaillaient la laine, le chanvre et le lin en vue de confectionner des draps et des toiles utilisées pour la conception de linge de table et autres vêtements. 

D’autres régions, comme les Hauts-de-France, ou encore le bassin lyonnais ont pendant des siècles étaient des hauts lieux de confection des textiles. L’architecture des villes a d’ailleurs été directement influencée par ces lieux de production. La ville de Lyon en est un bon exemple : les traboules, ces petites ruelles typiques, servaient autrefois à amener des rouleaux de soie jusqu’aux maisons des canuts, qui elles-mêmes possédaient une architecture singulière. Permettant l’installation des métiers à tisser, ces maisons possèdent au rez de chaussées une hauteur sous-plafond de 4 mètres. Elles en sont restées aujourd’hui un symbole de la ville. 

Pourtant, l’industrie du textile s’est peu à peu éteinte au cours du siècle dernier en france. Pour cause, la délocalisation des usines de production dans un premier temps vers l’Europe de l’Est permettant la réduction des coûts de mains d’oeuvres. Le début du XXIème siècle sonne, quant à lui, le quasi arrêt de la production textile en France, avec une forte délocalisation des entreprises vers les pays d’Asie du Sud Est. 

Cette industrie sinistrée a, de ce fait, causé la perte de dynamisme de certaines villes, comme Calais ou encore Epinal, qui ont vu s’éteindre en quelques décennies un des piliers de leur économie locale. Mais contre toute attente, la tendance semble se renverser ces dernières années. En effet,un regain d’intérêt semble s’opérer pour cette industrie. La preuve,les usines sont, petit à petit, réinvesties comme à Romilly-sur-Seine dans l’Aube, où le Coq sportif est venu réinvestir son usine historique.

Mais à quoi cela est-il dû ? Et quels sont les effets sur les villes et les territoires ? Décryptons ensemble quelques éléments de réponses.

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Quand le Made in France a la cote 

La survie des rares usines textiles en France ces dernières années est principalement due à leur spécialisation : le savoir-faire français reste  valorisé dans la création de textile technique (vêtements de sports, hypothermiques, imperméables…). La France est d’ailleurs actuellement le 2ème producteur européen de ce type de textile. 

Pour autant, cette spécialisation, qui a permis le maintien de l’industrie sur le territoire, tend peu à peu à s’estomper face au retour de la production textile plus classique, fortement influencé par la valorisation du made in France ces dernières années. En effet, sous l’impulsion d’une prise de conscience écologique globale, la production locale est de plus en plus valorisée. Vient s’ajouter à cela, le ras le bol de la mauvaise qualité des produits fabriqués à l’étranger, qui sous prétexte de faire des économies, sont fabriqués à partir de matière première bas de gamme, s’abimant rapidement. 

Une logique qui a permis la naissance, en une décennie seulement, de nombreuses marques de mode qui, sur l’ensemble de la chaîne de fabrication de leurs produits, en assurent l’intégralité des postes, de la création jusqu’à la production de leurs gammes. L’histoire de la start up Jean 1083, qui en 2014 s’est lancée dans l’ambitieux projet de produire des Jeans en France, est révélatrice de cette tendance. Un pari risqué pour lequel, l’équipe fondatrice a dû miser sur des usines de productions mal au point financièrement. Mais quelques années après le bilan est positif : avec plus de 150 emplois créés, et un site de production ouvert à Roman-Sur-Isère, les ateliers de Jean 1083 s’installeront en 2020 dans une ancienne usine réhabilitée de la ville pour développer une collection de baskets.. 

Pour renforcer le renouveau de l’industrie textile en France, plusieurs labels ont vu le jour. Créé en 2008, Terre de textile est un organisme indépendant qui valorise les produits dont les ¾ de la production (de la fabrication du tissu à la confection) sont réalisés en France en circuit court, et de qualité remarquable. Ce label s’est peu à peu implanté dans les différents territoires de tradition textile que sont les Vosges, l’Alsace, le Nord, l’Auvergne Rhône-Alpes et la Champagne Ardenne. La valorisation locale de cette filière permet peu à peu la réouverture de lieux de production dans des petites villes sinistrées, avec la création d’emplois, et l’apport de dynamisme dans ces régions. 

L’écologie vecteur du renouveau du textile français ?

Il faut savoir que l’industrie du textile est l’une des industries les plus polluantes du monde : avec 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre émis par an, soit 10% des émissions totales. C’est également une industrie très consommatrice d’eau : des champs de production de coton, à la teinture, on estime que pour produire un t-shirt, il faut environ 2500 litres d’eau. Avec les productions délocalisées, on estime qu’un jean peut parcourir 1,5 fois le tour de la terre avant d’être vendu. Vient s’ajouter à cela le phénomène Fast fashion. Les marques de prêts à porter poussent leurs consommateurs à toujours plus acheter, avec des collections qui changent fréquemment. Une industrie qui a donc besoin de repenser ses logiques productives pour atteindre une exigence environnementale plus que urgente. C’est d’ailleurs dans ce contexte de prise de conscience que la Suède, en juillet dernier, annulait la Fashion week à Oslo dans le but de dénoncer la pollution émise par cette industrie. 

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C’est bien ce renouveau écologique qui semble entraîner le retour de l’industrie textile sur le territoire français. Certaines régions et villes en ont d’ailleurs fait leur marque de fabrique. Dans les Hauts de France, à Roubaix par exemple, on se revendique capitale de la Green Fashion. Un retour du textile dans cette ville, qui forte des  traditions industrielles, tente aujourd’hui de pivoter vers une mode durable : plusieurs ateliers se sont d’ailleurs spécialisés dans le recyclage de textiles, offrant alors à des tissus usagers une seconde vie. 

Un retour à la production éthique et écologique qui semble favoriser l’implantation de lieux de production dans les petites et moyennes villes. En effet, les procédés utilisés dans ce type de démarche sont peu polluants, et respectueux de l’environnement. Même si les dernières catastrophes industrielles, comme l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, posent la question de la légitimité de la place de la production industrielle en ville, avec les risques sanitaires qui l’accompagnent, le retour d’une industrie verte dans les anciens lieux de production en ville est bien au contraire une bonne nouvelle pour ces dernières. Dans un premier temps, la réactivitation des traditions industrielles et notamment dans le secteur du textile, permet de redynamiser des petites villes qui ont fortement souffert de son départ. Dans un secteur qui recrute de plus en plus chaque année, l’emploi dans ces villes y est donc favorisé, provoquant alors l’arrivée de nouveaux ménages dans des territoires qui ont plutôt tendance à en perdre. Cet intérêt pour la mode durable par l’industrie du textile français a également pour conséquence de stimuler l’innovation et de créer des synergies locales entre les acteurs de chaque territoire, avec notamment la mise en place de circuits courts, le tout au service de l’écologie. 

L’industrie du luxe, 1er investisseur des territoires ?

Contrairement au reste du secteur, l’industrie du luxe textile et maroquinerie ne semble que très peu avoir souffert du phénomène de délocalisation. Les produits issus du luxe doivent être d’une qualité élevée, qui nécessite souvent souvent, une confection  manuelle, avec des savoirs-faires qui sont restés sur le territoire français. Les grands noms de la haute-couture français ont d’ailleurs depuis toujours valorisé le savoir-faire des leurs employés, et investi dans des petites villes et régions en y implantant des lieux de production. C’est le cas d’Hermès, maroquinier de luxe français, ou encore Vuitton, qui ont tous deux choisi de valoriser leur esprit artisanal, et d’investir dans le territoire français. Au début 2019, la maison Hermès comptait 42 lieux de manufactures répartis des territoires plutôt ruraux en France, avec environ 5 200 artisans, recrutés localement. 

Ces entreprises misent d’ailleurs sur l’empowerment pour investir le territoire et aider à la revitalisation de petites et moyennes. La maison Hermès, lorsqu’elle installe un nouveau lieu de production, propose des formations pour les personnes désirant travailler au sein des ateliers. Elle a d’ailleurs ouvert en région parisienne, à Pantin, la cité des métiers d’Hermès, regroupant l’ensemble des professions, des métiers de production au métiers de bureau. Ces entreprises, par leur choix de valoriser des territoires par l’ouverture d’ateliers provoquent un double effet : le premier est de dynamiser ses villes, par l’emploi et l’attractivité, le deuxième est de préserver le savoir-faire des leurs artisans par une importante tradition de formation. 

Enfin, en plus de l’impact positif que ces entreprises amènent au territoire, elles investissent également dans le monde de la culture : de la fondation Cartier dans le 14ème arrondissement de Paris, à la fondation Louis Vuitton dans le bois de Boulogne, ces maisons participent également au rayonnement culturel des villes.

Le renouveau de l’industrie du textile en France apporte avec lui de bonnes nouvelles : revitalisation de petites et moyennes villes, l’innovation collective au service d’une mode plus durable, la transmission de savoirs-faire traditionnels ancestraux… Il est également au cœur d’une nouvelle tendance : celle du tourisme industriel. En 2018, le guide du Routard éditait une version promouvant l’ensemble des industries français, tous secteurs confondus, qu’il est possible de visiter. Avec plus de 15 millions de visiteurs sur l’année 2018, l’exploration des lieux de production attirent de nombreux curieux : l’esthétisme industriel revient donc sur devant de la scène, avec l’ouverture et la requalification de nombreuses friches, et avec un regain d’intérêt pour le made in France. Une bonne nouvelle pour ces territoires industrialisés, souvent délaissés des touristes, qui pourrait miser sur ce développement de l’intérêt pour le tourisme industriel !

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