Un modèle qui se démocratise considérablement aujourd’hui, bien qu’il existe en réalité depuis l’Antiquité. Il a notamment été développé pendant le Moyen-âge, période au cours de laquelle la rue, véritable scène, était vu comme de réels lieux de créativité, de liberté et de représentations. Héritage de cette philosophie, cet été, divers événements culturels et artistiques vont animer nos espaces urbains par des spectacles, œuvres éphémères et déambulations dans la ville. Du 4 au 23 juillet, Avignon devient une ville-théâtre qui rassemble artistes et festivaliers autour de spectacles contemporains. Une partie off permet à près de 1000 compagnies de proposer gratuitement leurs représentations au public. En Loire-Atlantique, du 6 juillet au 1er septembre, la 8ème édition du Voyage à Nantes dessine un parcours en plusieurs étapes réalisé par des jardiniers, designers, architectes et artistes pour animer et vivifier la ville. La majorité des sites proposés sont ainsi en accès libre. 

Est-ce que la gratuité crée véritablement de l’inclusion et de la cohésion sociale en ville ? Qu’apporte au territoire ce modèle artistique, l’art urbain en général, mais aussi les interactions engendrées?

Un jeu d’acteurs inhabituel

Les festivals de rue et événements en accès libre ont la particularité de rassembler un nouvel écosystème d’acteurs. Qu’ils soient sur le devant de la scène ou sur les gradins, le fait de proposer des représentations gratuites développe une dynamique, une créativité et une fréquentation différentes. 

Les artistes, qui se produisent sur scène dans un premier temps sans rémunération, sont naturellement dans une démarche coopérative par laquelle ils cherchent à attiser la curiosité et la découverte. Même s’ils comptent généralement sur la générosité des spectateurs pour participer à leur frais si la prestation a plu, leur première motivation n’est pas forcément le gain financier, mais plutôt le partage artistique. C’est le cas par exemple pour les compagnies qui animent la partie Off du festival d’Avignon. 

Les spectateurs participent également à cette nouvelle dynamique. En effet, l’accès libre permet le rassemblement (et la rencontre!) de toute la population, des plus jeunes aux plus âgées, des familles nombreuses aux visiteurs en solo, ainsi que les personnes en situation précaire qui n’ont pas la possibilité financière d’accéder à la même offre artistique et culturelle que d’autres. 

Théâtre burlesque, clowneries et autres représentations ludiques du festival d’Aurillac stimulent ainsi l’intérêt des enfants, et des plus grands, qui apprécient ce registre, tandis que d’autres préféreront admirer les centaines de statues installées sur la place royale pour le Voyage à Nantes. Dans le département du Puy-de-dôme, la ville de Riom présente d’ailleurs chaque année la saison culturelle “Éclats de fête”. Elle invite ainsi toutes les générations à se réunir autour des arts du cirque, de la danse, de la musique et du théâtre. Le festival de rue : nouvelle scène pour susciter une cohésion sociale et intergénérationnelle en ville ?

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Déambulation urbaine en famille Crédit photo ©Robert Ramirez via Unsplash

En plus d’être accessibles financièrement à une majorité de la population, un accent est généralement mis sur l’accessibilité des lieux pour les personnes en situation de handicap. De nombreux parcours sont aménagés de telle sorte que chaque personne puisse s’y rendre et apprécier la déambulation urbaine. Le voyage de Nantes et le festival d’Avignon contiennent une mention spéciale sur leur site internet pour les visites et spectacles adaptés aux besoins spécifiques de surdité, mal-voyance et mobilité réduite. 

Sur scène aussi, l’égalité et la cohésion se manifestent. Depuis maintenant quelques années, le festival d’Avignon accueille des artistes en situation de handicap. En 2016, “Ludwig un roi sur la lune” réunissait plusieurs comédiens handicapés de la troupe Catalyse et rencontrait un franc succès auprès des spectateurs, tout comme “Le Grand théâtre d’Oklahama,” en 2018. Une première étape vers l’inclusion de tous qui reste à s’affirmer davantage. 

Cette manière d’appréhender l’art a un réel impact sur la ville. Elle crée une atmosphère ambiante nouvelle et éphémère, mais aussi des interactions sociales avec les artistes et entre spectateurs, qui transforment l’espace public et revitalisent la vie de quartier.

L’art qui réinvente la ville 

L’émergence de l’art urbain et du principe d’accès libre redessinent la ville et reflètent les nouvelles envies des urbains. Moins de convention et plus de surprises ! Un modèle artistique original et accessible à tous se développe et prend source dans ce besoin de changement par rapport aux événements proposés d’ordinaire : le street art. Des graffitis qui habillent un train aux fresques urbaines qui recouvrent un bâtiment, le street art se démocratise et apparaît aujourd’hui dans de nombreux coins de rue. Plus qu’une intention de sortir la peinture du musée pour la mettre dans la rue, à proximité des riverains, le street art peut devenir une réelle revendication politique et sociale quant à l’accessibilité de l’art. C’est par exemple l’initiative de l’artiste Banksy, réputé dans ce milieu, qui participe à chambouler le marché en proposant des œuvres à bas prix, et en mettant à disposition de tous des peintures urbaines engagées dans les villes du monde entier. 

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Quand un mur devient une scène à ciel ouvert : fresque militante en hommage à l’artiste Jean-Michel Basquiat – Crédit Photo ©Charisse Kenion via Unsplash

Cette nouvelle demande du public, de développer de nouveaux lieux et formes d’expression artistique, se reflète par l’émergence d’événements originaux, et notamment par la multiplication de représentations urbaines. Dans les grandes villes comme dans les territoires plus isolés, de la fête de la lumière à Lyon au festival RenaissanceS de Bar-le-Duc, ces moments culturels et artistiques se diversifient et s’intensifient. 

À travers cette multiplication des supports, des arts et des expressions, mais aussi de la cohésion territoriale qu’ils entraînent, c’est aussi tout un patrimoine qui est valorisé. Le festival d’Avignon propose par exemple des scènes de théâtre dans la Cour d’honneur du Palais des papes, monument historique français classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Ou encore les Rendez-vous Place Stanislas, à Nancy, qui mettent en lumière les 5 façades de l’emblématique place, du 15 juin au 15 septembre, au cours d’un voyage sonore et visuel, chargé de poésie et d’histoire. 

L’accès libre de ces manifestations ont par conséquent deux ambitions bien distinctes pour les villes : gagner en attractivité pour attirer des nouvelles personnes sur son territoire, et permettre aux habitants de se réapproprier leur espace urbain grâce à l’exploration de nouveaux quartiers, espaces publics ou bâtiments. Une découverte pour les visiteurs passagers, et une redécouverte pour les habitants ! 

D’ailleurs, cette idée de “découverte” passe notamment par la surprise, et c’est ce qui est propre aux festivals de rue. Par la démarche de se rendre au musée, ou dans une salle de spectacle, nous pouvons bien entendu être surpris, mais nous avons tout de même une petite idée de ce qui nous attend. Lors d’une déambulation urbaine, la surprise est à chaque coin de rue, et elle est d’autant plus grande justement quand nous connaissons le territoire en question, complètement remodelé le temps d’un événement. 

Le renouveau réside également dans le spectacle lui-même. La rue devient un décor naturel dans lequel les artistes sont en interaction directe avec les passants. C’est d’ailleurs l’une des ambitions de Jean Blaise, directeur artistique du Voyage à Nantes, qui explique qu’aucun thème n’est imposé aux artistes, et de cette manière “on perturbe la ville, c’est aussi notre rôle”. 

Le Off et le In, une complémentarité ?

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Quand la scène s’invite dans la rue : une compagnie du Off faisant la promotion de leur spectacle dans les rues d’Avignon – Crédit photo ©FramaKa via Wikipédia

Qu’apporte le Off au In, et inversement ? Le fait de proposer des prestations gratuites, et d’autres payantes, permet de diversifier l’offre et le public. Dans beaucoup de prestations et déambulations urbaines, le Off est un moyen intéressant de partir à la découverte de nouveaux territoires et quartiers, y compris pour les habitants qui ne connaissent pas forcément tous les recoins de leur ville. Mais qu’est-ce que cela implique ? Que certaines propositions artistiques sont jugées moins qualitatives et basculent donc en Off ? Et si c’est le cas, que les spectacles jugés plus qualitatifs sont réservés à une certaine catégorie de la population ? Et par conséquent, l’inclusion sociale trouve-t-elle finalement ses limites dans le fonctionnement même de ce genre de manifestations artistiques et culturelles ?

À échelle locale, on peut donc se demander ce qu’induit en ville la liaison entre les spectacles payants et l’accès libre. Est-ce-que ce sont les déambulations urbaines et œuvres accessibles à tous qui valorisent le territoire et qui apportent la notoriété à l’événement, ou est-ce l’inverse ? Ce modèle illustre donc bien les problématiques économiques et sociales au cœur de l’inclusion pour tous.

Photo de couverture : Les arts du cirque en accès libre – Crédit ©kim hyounn via Unsplash