Patrick Braouezec est le Président de la Plaine Commune, une structure intercommunale intégrée à la métropole du Grand Paris. Nous avons rencontré Patrick Braouezec à la suite d’une conférence sur “La place des habitants dans l’implantation d’équipements sportifs dans le cadre d’événements internationaux” au cours de laquelle il est intervenu. Une thématique qui le concerne tout particulièrement avec la candidature de Paris pour l’organisation des JO ! Si la France est retenue, le territoire de la Plaine Commune accueillera notamment les villages Olympiques. Quelle vision de la ville pour le Président de la Plaine Commune ?
Selon vous, comment peut-on garantir un accès égalitaire à la ville ? Comment se construit le droit à la ville ?
La construction d’une ville pour tous passe par une maîtrise publique du foncier qui puisse intégrer les populations à la ville et les écarter de certains difficultés, assurant ainsi un vrai droit à la ville aux plus précaires. Sans une volonté publique très fortes, c’est le marché qui dicte la loi. Et le marché, naturellement exclu, parce qu’il n’a que faire des gens.
Il faut donc que la puissance publique d’aujourd’hui permette le développement de logements sociaux, et très sociaux, dans les grandes centralités. Cela signifie aussi qu’il y ait des équipements publics qui accompagnent ces constructions de logement. On doit retrouver à proximité de ces zones d’habitat de l’emploi, du travail. Ce sont ces valeurs que nous développons au sein de notre projet de Village Olympique en cherchant à faire un vrai quartier de ville. Il faut qu’on y retrouve des fonctions humaines. Pour moi la garantie du droit à la ville, c’est cela.
Quel droit à la ville offre le territoire de la Plaine Commune ?
Le territoire de la Plaine Commune est en mutation et l’amélioration du cadre de vie est en progression. Mais nous veillons à ce que nous ne soyons pas dans une substitution d’une population par une autre. Nous ne voulons pas subir le même sort que Paris, où par le jeu du foncier et le coût de l’immobilier, les populations les plus en difficulté ont été obligées de partir. Aujourd’hui, ce sont même les populations moyennes qui se voient contraintes de quitter Paris.
Nous avons donc conscience qu’une spéculation foncière et immobilière pourrait découler de cette requalification du territoire, notamment autour des gares du Grand Paris Express que nous accueillerons. En 2025, la gare Saint Denis-Pleyel sera l’équivalent de Châtelet- les Halles en termes de connexions puisqu’on aura les lignes de métro 13, 14, 15, 16 et 17 et les lignes D et H du RER ! Ce territoire va développer une très forte attractivité et il faut que nous ayons une maîtrise publique du foncier pour permettre la construction de logements sociaux et très sociaux qui permettent à des gens modestes d’être dans l’histoire de ce territoire, dans l’histoire du développement de leur territoire.
Nous continuons donc à travailler pour faire en sorte que cette requalification du territoire bénéficie aux gens qui y habitent. Cela ne veut pas dire qu’on n’accepte pas les nouveaux arrivants, puisque des villes comme Saint Denis ou Aubervilliers ont augmenté leur population de manière considérable ces dernières années. Mais cela signifie que les gens qui sont déjà là et qui veulent y rester puissent le faire.
Je dirais que c’est l’enjeu principal aujourd’hui dans notre territoire, comme dans toutes les grandes métropoles. Ce n’est pas pour rien si dans Habitat III on a beaucoup insisté là-dessus. Vous savez aujourd’hui on peut dire qu’il y a deux modèles de métropoles qui peuvent se construire. Il y a le modèle le plus fréquent, je dirais même pratiquement le modèle généralisé : le modèle exclusif. C’est-à-dire qu’on pratique l’exclusion des populations les plus modestes vers un périphérique qui est de plus en plus lointain. Et puis il y a un autre modèle, qui est le modèle inclusif. Il vise l’inclusion sociale. Il vise le vivre ensemble et non pas la ségrégation et l’exclusion des populations les plus en difficulté. Pour moi c’est l’enjeu principal : la construction de métropoles inclusives.
Pensez-vous que la puissance publique puisse être assez forte pour permettre cela et faire passer le marché derrière la concertation et la volonté des habitants ?
C’est ce qu’on essaie de faire sur un territoire comme le nôtre. Il y a également beaucoup d’autres territoires qui agissent en ce sens.
Une ville comme Barcelone par exemple est partie à la reconquête de sa maîtrise publique, notamment en suspendant le processus de Smart City lors du changement de majorité politique. Ce phénomène, accompagné du développement important de l’économie touristique a contribué à déposséder les habitants et les pouvoirs publics de leur ville. Une privatisation partielle de la ville s’était amorcée. Comme pour Venise, le développement de Barcelone était à destination des touristes et non plus des habitants. Aujourd’hui, Paris n’en est pas loin avec le phénomène Airbnb qui amène finalement des gens à louer leur appartement cinq ou six jours par mois et se faire plus d’argent que s’ils le louaient à un demandeur de logement.
Sans maitrise publique, on se retrouve dans des aberrations de ce type. C’est une question qui se pose à l’échelon international. Il y a des villes qui cherchent effectivement des réponses et je ne désespère pas ! Effectivement je suis peut-être utopiste, mais il vaut mieux l’être ! Je ne désespère pas qu’un jour le marché prendra conscience ! Je pense qu’aujourd’hui il faut sauver le capitalisme contre lui-même. Le capitalisme est devenu un capitalisme financier. Il faudrait le ramener à un capitalisme industriel, au bon sens du terme, en remettant l’homme au cœur du processus. Sinon, il ira à sa perte. La puissance publique doit donner un certain cadre d’orientation pour le permettre.
Que pensez-vous de la Smart City ?
Je ne sais pas ce que c’est ! Non je ne connais pas de villes intelligentes ! Je connais des gens intelligents dans les villes, qui peuvent la rendre intelligente mais je ne connais pas la ville intelligente. Je me méfie beaucoup de ce terme parce que derrière cela, il peut y avoir une privatisation toute ou partielle de la ville, il peut y avoir négation des hommes et des femmes. C’est-à-dire qu’on est dans la technologie, pour la technologie, sans connaître les conséquences que cette technologie peut amener y compris dans les modes de vie et dans les transformations de modes de vie.
Par contre, je sais qu’on ne reviendra pas en arrière. Je sais qu’il va bien falloir aller en ce sens et c’est le travail qu’on mène avec Bernard Stiegler, sur les questions de mutation du monde du travail : automatisation, robotisation. Quelles conséquences cela va avoir ? Quels emplois vont être détruits par cette robotisation ? Quels emplois peut-on créer ou substituer à ces pertes de travail pour bon nombre de gens ?
Que faisons-nous, demain, des caissiers de supermarchés qui seront remplacés par des machines ? On ne peut pas les laisser sur le carreau ! On cherche à les accompagner pour qu’elles retrouvent un travail, et un travail qui s’appuie sur des savoirs-faire et des compétences. Il faut peut-être arrêter de parler d’emploi et parler de travail, de compétences et de savoirs-faire. La ville de demain, pour moi, c’est aussi ça !
Je pense vraiment qu’on est à un carrefour. A Mexico j’ai participé à une rencontre de la commission Inclusion Sociale Démocratie Participative de Cité Gouvernements Locaux Unis. Il y avait 2.000 personnes dans la salle, dont 1.800 habitants qui étaient là pour un certain nombre de choses, mais qui ne croyaient plus en la politique parce que pour eux la politique c’est de toute manière perverti par l’argent. On y arrive aussi en France et c’est terrible ! C’est terrible parce que il y a des responsables de ça.
En observant cette réalité, ne remettez-vous pas votre statut politique en cause ?
Non ! C’est à nous de faire la démonstration que nous ne sommes pas comme les autres. J’ai été très étonné par le prix du costume de François Fillon, moi je pourrais m’en payer au moins trente avec le prix d’un ! Je pourrais refaire toute ma garde-robe et même plus ! C’est à nous effectivement d’être vertueux et de faire la démonstration que tout le monde politique n’est pas comme ça et que la corruption est la panacée de quelques uns seulement ! Mais c’est vrai qu’il est compliqué de réhabiliter aujourd’hui le monde politique. Il y a des gens qui ont peut-être intérêt à ça : moins il y aura de puissance publique et plus ils seront libres de faire ce qu’ils veulent au niveau du marché. On s’interroge beaucoup moins sur certains milieux d’affaires, comme sur les médias. C’est pour ça que des médias comme Lumières de la Ville c’est important ! Parce que ça fait partie des revues qui au moins réfléchissent.
Si vous deviez résumer l’image que vous vous faites de la ville de demain ?
Il y a un adjectif qui me vient d’emblée, c’est humaine ! Une ville qui tient compte de ce que sont l’homme et la femme et leurs besoins.
Je pense que c’est une ville qui doit être culturelle au sens fort du terme et c’est une ville qui tient compte aussi des enjeux climatiques et environnementaux. La sobriété est quelque chose d’important. Nous, à Plaine Commune, au cours de notre premier mandat, nous parlions du “plus communautaire”: qu’est-ce que l’agglomération va apporter de plus aux villes ? Pendant le deuxième mandat, nous nous sommes dit, est-ce qu’il nous faut du “plus”? On va plutôt faire du “mieux communautaire”. Depuis 2014, on s’est dit, finalement, et si on visait le “bien” ? Le “bien-savoir”, le “bien-être”, le “bien-vivre”, le “bien-penser” et puis la sobriété !
On pense au travail autour de l’économie sociale et solidaire, les circuits-courts, autant d’expériences qui sont bien plus que des expériences ! Elles nous ont amenés à penser que la ville doit être pensée à partir des expériences des gens et de leurs compétences.
Je pense que la question de l’humain doit être au centre et de l’urbain dans toutes ses fonctions, et notamment pour ces questions culturelles qui sont pour moi déterminantes : comment on remet la culture au centre de l’activité humaine.