En 2019, le nombre d’étudiants a progressé de 2,1% en France, l’équivalent de 56 000 inscriptions supplémentaires : ce sont en tout 2,7 millions d’étudiants qui résident désormais en France. En parallèle de ce phénomène démographique, les études ne cessent de rallonger. Plus indépendants, loin de leurs familles, la plupart des étudiants doivent trouver un nouveau logement proche de leurs centres d’études, dont la grande majorité est urbaine. Pour un public souvent touché par une plus grande précarité financière que le reste de la population, la question du logement est donc au cœur de leurs préoccupations.
Des modèles traditionnels bien ancrés
Julien Faure, dans L’habitat étudiant contemporain, habiter petit, habiter bien, évoque les deux alternatives traditionnelles de l’habitat étudiant : habiter en ville ou habiter en campus. Un modèle dual dont l’ancrage historique est indéniable.
L’ancêtre de l’UNEF, l’association générale des étudiants, crée les premières résidences pour étudiants dans les années 1920. Avec la massification de l’enseignement supérieur et l’accès aux études supérieures, la demande de logements étudiants se multiplie : entre 1920 et 2020, le nombre d’étudiants passe de 49 000 à 2,7 millions. Une forte augmentation qui nécessite la massification du logement étudiant. Après la Seconde Guerre mondiale, les premiers campus étudiants naissent ainsi en France. Le premier campus étudiant français, nommé “campus 1” de l’université Caen Normandie, sort de terre dans les années 50.
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Fondés sur un modèle “à l’américaine”, les campus étudiants sont de vastes ensembles comportant espaces verts, logements, et bâtiments dédiés à l’éducation. Ils accueillent le plus souvent des écoles ou des universités. Pour de nombreuses raisons, ces campus sont installés à l’extérieur des villes. Une première raison, spatiale est assez évidente : dans les franges périurbaines, les campus peuvent s’étendre sur des hectares et accueillir un plus grand nombre d’étudiants dans un cadre agréable. La “masse grise” est ainsi concentrée à proximité des centres d’études et de recherche. Une deuxième raison, peut être plus politique, est d’isoler les populations étudiantes loin des centres-villes, afin d’éviter la répétition des manifestations étudiantes et des grèves de mai 1968, des événements solidement ancrés dans le cadre urbain.
En 1955, la fondation du CROUS (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) permet d’accélérer la création de résidences universitaires. Publiques, elles apportent notamment une attention plus poussée aux étudiants précaires, qui peuvent bénéficier de logements à moindre prix. En 2016, le CROUS propose 170 000 logements étudiants en France.
Dans les années 1980, les modèles des résidences étudiantes sont bien ancrés et le sujet de la condition étudiante apparaît sur le devant de la scène. L’OVE, l’observatoire de la vie étudiante, créé en 1989, publie désormais un rapport sur les conditions de vie des étudiants tous les 3 ans. Les rapports font notamment état du logement étudiant. Deux grandes catégories d’étudiants et d’habitats se distinguent. D’un côté, les étudiants urbains, logeant dans des locations, des colocations, des résidences universitaires intra-muros ou encore des logements Crous, de l’autre côté, les universitaires “de campus”, habitants dans des résidences universitaires sur place, en dehors de la ville-centre.
Des recherches menées par l’OVE, plusieurs autres constats s’imposent. Première remarque : les modes d’habitat étudiants évoluent peu dans le temps. L’enquête triennale sur les conditions de vie des étudiants en France (CdV), menée par l’OVE, dévoile qu’entre 2016 et 2013, les modes de logement étudiants avaient connu peu de changements, la majorité des étudiants habitant soit en location (colocation, location seule ou en couple), soit chez leurs parents (environ 30%), soit dans des résidences étudiantes (CROUS, campus…). Les chiffres devraient bientôt être actualisés par les résultats de l’enquête 2020. Autre constat : les modes d’habitat étudiant dépendent de la taille de la ville dans laquelle s’implantent les étudiants. Par exemple, en région parisienne, dans les communes de moins de 100 000 habitants, 50% des étudiants logent chez leurs parents. En revanche, dans les grandes villes et à Paris, seulement 23% des étudiants vivent chez leurs parents.
En un siècle, les effectifs étudiants ont été multipliés par 50 ! Les villes peinent à loger cette masse étudiante : manque d’espace, logements insalubres ou inadaptés, augmentation des prix de l’immobilier… Par conséquent, les étudiants peinent parfois à se loger décemment en ville.
Difficultés d’accès au logement en ville pour les étudiants
Les modèles traditionnels de logement étudiant posent toutefois des problèmes spatiaux, sociaux et économiques. L’immobilier, saturé et onéreux, ne permet pas d’accueillir tous les étudiants qui le souhaiteraient.
La crise du logement en France a touché de nombreux étudiants au même titre que d’autres habitants de la ville. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette pénurie progressive de logements étudiants : l’allongement de la durée des études, la multiplication des centres universitaires, le boom démographique étudiant dès les années 1980, les programmes d’échanges internationaux… D’autres problématiques, plus récentes, s’ajoutent également à ces premières : la densification des villes et la pénurie de logements dans les centres-villes dynamiques, la gentrification des quartiers étudiants historiques, qui s’accompagne souvent par une flambée des prix immobiliers. Un exemple frappant de ce phénomène est le quartier latin à Paris, qui abrite un grand nombre d’universités, où le prix au mètre carré culmine à 14 000 euros en 2019. De là découlent de grandes fractures sociales et économiques.
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L’année dernière, l’immolation par le feu d’un étudiant en situation de grande précarité, devant le CROUS de Lyon, avait mobilisé les foules autour de la question de précarité étudiante. D’après le rapport de l’OVE en 2016, 5,4% des étudiants seraient en situation de grande précarité. Des situations de détresse en partie causées par la flambée des prix de l’immobilier. Le logement est effectivement le premier poste de dépenses des étudiants. D’après une étude de l’UNEF, syndicat étudiant, 53% du budget mensuel étudiant serait réservé à ces fins, pour une moyenne de 460 euros par mois. Ce qui pose des difficultés à une partie de la population étudiante pour joindre les deux bouts en fin de mois. Pour Feres Belghith, directeur de l’OVE, la précarité étudiante touche davantage les 22-25 ans, qui « ne bénéficient plus autant des protections familiales et pas encore de celles du monde professionnel ».
Les modèles traditionnels d’habitat étudiant s’accompagnent également de fractures spatiales. Certains quartiers étudiants, conçus dans les années d’après-guerre selon le concept de zonage urbain, sont souvent relégués en frange des villes, où ils fonctionnent comme des systèmes fermés et autocentrés. Un modèle qui crée de grandes fractures spatiales dans la ville. On pourrait d’ailleurs comparer ces quartiers avec les centres d’affaires, souvent critiqués pour leur manque de mixité sociale et d’usages. Un grand défi serait donc de réintégrer les universités dans les villes.
Cette question trouve sa résonance dans un double mouvement, contradictoire. D’une part, la relocalisation en centre-ville de grandes écoles et universités, qui peut être liée à l’idée de renouer les liens entre les étudiants et les habitants des villes. Par exemple, Science Po Paris prévoit l’élargissement de ses locaux à plusieurs bâtiments au cœur de Paris, à l’horizon 2022. A Lyon, l’école de commerce emlyon prévoit elle aussi de relocaliser son campus d’Ecully à Gerland, plus proche du centre-ville. D’autre part, l’on observe la création de nouveaux campus à l’américaine, isolés de la ville, comme peuvent l’être les campus étudiants du plateau de Saclay. S’ils ne participent pas à la mixité des villes, ces campus permettent toutefois de créer de véritables pôles de compétitivité à l’échelle nationale ou internationale et parfois aussi d’éviter des cohabitations conflictuelles, liées à des modes de vie différents, notamment du point de vue des nuisances sonores.
Alors, quels modèles privilégier à l’avenir? Comment rendre la ville attractive pour les étudiants sans scinder les espaces urbains ?
Des nouveaux modèles innovants
Créer les conditions favorables d’accueil de populations plus jeunes est désormais un élément d’attractivité d’une ville. Chaque année, des classements sont dévoilés, révélant les meilleures villes étudiantes de France : une compétition parfois serrée. Cinq principaux critères sont pris en compte : l’attractivité, la formation, la vie étudiante, le cadre de vie et l’emploi. Parmi eux, le logement et le budget obtiennent une place importante. En France, ce sont Toulouse, Lyon et Rennes qui remportent le podium, reconnues pour les bonnes conditions de vie qu’elles assurent aux étudiants.
Un des principaux enjeux de la ville étudiante du futur est effectivement de proposer un cadre de vie agréable et adéquat pour les jeunes. La question du logement et de son accessibilité constitue un élément central dans ce sujet. Le défi est de proposer des logements adaptés à la vie étudiante et à la grande diversité d’étudiants. Un deuxième défi est ensuite de parvenir à insérer ces logements dans l’espace urbain sans créer de fractures socio-spatiales. Inclusion des diverses générations, mixité des espaces urbains pourraient donc bien s’ajouter aux enjeux de la ville de demain.
De nouveaux modèles d’habitat ont ainsi été conçus en France et à l’étranger pour répondre à cette problématique. Des solutions peuvent être trouvées dans le logement intergénérationnel, qui permet de mettre en contact les populations étudiantes avec des personnes âgées. Les colocations intergénérationnelles sont plus souvent appelées “habitat kangourou”, car particulièrement développées en Australie. Le principe est simple : afin de lutter contre la solitude, les seniors disposant de logements trop grands pour eux accueillent des étudiants pour un loyer modique, en échange de quelques services. Un moyen de renforcer la solidarité intergénérationnelle et de proposer des logements à moindre coût pour les étudiants. En France, de nombreuses associations et entreprises se mobilisent afin de répandre ce système de colocations intergénérationnelles, comme Colette, une plateforme qui met en contact étudiants et personnes âgées en un clic.
De nombreux architectes travaillent d’ailleurs à penser les logements étudiants de demain. Réhabiliter les résidences étudiantes historiques sans les détruire constitue le cœur de leur travail. Dans le logement étudiant, regards critiques et visions d’avenir, Christian Quéffelec, architecte et ingénieur, explique : “En 2005, la direction du CNOUS considérait que sur l’ensemble des 150 000 chambres traditionnelles en sa possession, 70 000 méritaient d’être réhabilitées, car trop vétustes ou hors des standards actuels de confort.” Un exemple de transformation d’anciennes résidences étudiantes se situe dans la ville allemande de Wuppertal. Les logements étudiants, construits en 1977 ont été rénovés en 2000 par Hochschul-Sozialwerk Wuppertal, afin de regrouper les anciennes chambres en appartements deux pièces, de créer des salles communes partagées, de rénover les espaces verts et les zones de rencontre. La transformation des anciennes résidences d’étudiants, caractérisées par la petite taille des chambres et parfois par un manque d’infrastructures sanitaires (douches…), est une alternative moins coûteuse et plus durable à la construction de bâtiments neufs. Une piste à explorer dans les prochaines années.
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D’autres alternatives existent dans la construction de bâtiments neufs. Au Danemark, un bâtiment conçu pour abriter des populations étudiantes et pour répondre aux modes de vie étudiants a vu le jour en 2015. Le bâtiment compte 360 chambres réparties sur 7 étages. Il a été conçu selon le modèle chinois des résidences hakka tulou : des résidences fortifiées de formes circulaires, dont les premières traces datent de la dynastie Ming. Dans ces bâtiments circulaires, les peuples de hakka vivaient en communauté. Au rez de chaussée se trouvaient les cuisines et les salles à manger, à l’étage les réserves de grains, puis les logements familiaux. Le Tietgenkollegiet, bâtiment danois conçu par Lundgaard & Tranberg dans la ville de Ørestad, s’organise de la même manière que ces bâtiments chinois. Les équipements communs (cuisine, salons…) sont partagés par tous les résidents et la vie de communauté se déroule au centre de la cour. Chaque étudiant possède toutefois son logement et sa chambre personnelle (de 26 à 33m2) dans les étages de la résidence. Un modèle d’habitat étudiant à la fois participatif et innovant.
Assurer l’accès au logement pour tous, inventer l’habitat étudiant de demain constitue un enjeu majeur des décennies à venir. Il s’agit de s’adapter à la grande diversité des étudiants, aussi bien par leur origine sociale, leurs ressources économiques, leurs modes de vie différents. La concertation sur ce sujet peut être une solution intéressante : les étudiants ont encore un rôle important à jouer en ville. De plus en plus d’étudiants s’engagent d’ailleurs pour leurs villes, au sein d’associations, des conseils municipaux ou de conseils urbains de la vie étudiante…
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