Centre Art Architecture Paysage Patrimoine, 4 disciplines différentes bien que transversales et étroitement liées à la fabrique urbaine. Grandement inspiré par l’identité et les dynamiques qui structurent les Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau, un projet historique et pionnier dans l’expérimentation urbaine et architecturale, le CAAPP fait maintenant rayonner ces thématiques sur le territoire francilien. Quelle est son histoire ?
“Il serait difficile de résumer l’aventure CAAPP à quelques dates et événements clés car elle représente l’aboutissement, et surtout le croisement, de plusieurs histoires. Né dans une pluralité de contextes politique, géographique, mais aussi législatif, le projet révèle tout d’abord une ambition pédagogique commune, celle des 6 écoles nationales supérieures d’architecture franciliennes de bénéficier d’un lieu d’expérimentation similaire à celui des Grands Ateliers. Aujourd’hui il s’agit du seul site en France au sein duquel il est possible d’accueillir des promotions entières d’étudiants, en architecture comme d’autres disciplines en aménagement, pour réaliser des workshops particulièrement diversifiés et des sessions d’envergure à l’échelle 1.
Cependant depuis quelques années, il est devenu difficile d’amener les ENSA franciliennes aux Grands Ateliers malgré les opportunités qu’offrent les modules pédagogiques. Par ailleurs, l’éloignement de Paris et le succès du lieu ne facilitent pas le développement d’expérimentations dans le temps long. C’est ainsi qu’est née l’envie et le besoin de déployer un outil équivalent en Île de France, pensé conjointement avec les enseignants des ENSA franciliennes, les équipes des Grands Ateliers, ainsi que de Bellastock, une structure partageant cette appétence pour l’apprentissage par le faire, au prisme des enjeux contemporains et professionnels de la fabrique architecturale et urbaine.
Notre intention a également été d’associer l’art, sous toutes ses formes, à nos réflexions. Les compétences des artistes, artisans et designers étant intrinsèquement liées à celles des architectes, urbanistes et paysagistes, et toutes aussi essentielles à la fabrique de nos villes, il nous paraissait important de l’intégrer à la dénomination-même du projet. Et ceci, pour appuyer le fait que nos territoires se pensent, se construisent et se transforment avec un écosystème riche et varié d’acteurs, et que la signalétique ou le mobilier urbain, comme le bâtiment ou la voirie, sont des éléments qui structurent et animent nos cadres de vie”. (lire Le 1% artistique en ville, ça donne quoi ?)
Vous abordez, entre autres, le contexte législatif dans lequel le CAAPP est né. Quel est-il ?
“Ce que portent Les Grands Ateliers, et à présent le CAAPP, c’est avant tout une nouvelle manière d’enseigner, soutenue par des professeurs investis et soucieux de contribuer à l’évolution de nos méthodes d’enseignement et de nos outils pédagogiques.
Les Ensap (Écoles nationales supérieures d’architecture et de paysage) dépendent du ministère de la culture, qui apporte aussi des documents cadres d’évaluation et/ou support à la manière de penser l’enseignement et la recherche en architecture. Des documents comme le « Rapport sur l’état de l’enseignement supérieur et de la recherche Culture 2018« , ou la brochure « enseignement supérieur Culture, 2019-2020 » mettent par exemple l’accent, parmi de nombreux sujets, sur la transversalité entre les disciplines portées par le ministère de la culture, l’ouverture à la profession et l’apprentissage par le prototypage échelle 1 en valorisant, entre autres, les Grands Ateliers et leur apport dans le déploiement des pédagogies par le faire.
Associée au fait que les étudiants sont bien souvent confrontés à des périodes de “charrette” pendant lesquelles leurs options, notamment d’expérimentation ou d’ateliers maquettes, sont délaissées, cela a naturellement fait émerger le besoin de créer un lieu dédié pour tester, préfigurer, fabriquer.
Le contexte législatif est aussi celui de la loi LCAP (LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine), qui a apporté des évolutions dans la valorisation du patrimoine bâti et paysager, en se préoccupant aussi du patrimoine contemporain, avec la transformation du label Patrimoine du XXeen label Architecture Contemporaine Remarquable, qui a fait atterrir le CAAPP à Évry-Courcouronnes.”
Cette nouvelle législation traitait donc d’un sujet prégnant, et pourtant souvent absent des études urbaines, celui de la valorisation patrimoniale. Qui est, par ailleurs, particulièrement maîtrisé au sein de l’ENSA Paris-Belleville puisqu’il s’agit, avec l’école de Chaillot, des deux seules formations en France qui transmettent un diplôme de spécialisation et d’approfondissement en architecture et patrimoine, ainsi que le DSA “Architecture de terre” enseigné à Grenoble.
“Effectivement, dans les nombreux sujets que cette loi LCAP aborde, il y a une volonté du ministère de la Culture de mener une politique de valorisation de l’architecture contemporaine. Le nouveau label Architecture contemporaine remarquable apporte aujourd’hui une certaine reconnaissance patrimoniale à des bâtiments ou ensembles de moins de 100 ans, sans nécessairement passer par une inscription ou un classement au titre de monuments historiques.
Ce travail de labellisation permet de protéger notre patrimoine architectural, paysager, parfois artistique, mais aussi de déployer de nouveaux outils de gestion. Le label ne signifie pas seulement que la construction ou la transformation urbaine sera contrainte, il participe pleinement à la redynamisation de nos villes, et de fait, de nos cadres de vie. De manière générale, tout comme l’art et la culture, le patrimoine est une composante indissociable des réflexions sur l’aménagement, du diagnostic au projet. Il fait partie intégrante de nos lieux de vie, symbole de leur histoire et de leur évolution”.
Dans la même temporalité, le ministère de la Culture s’est intéressé à la mise en valeur des villes nouvelles, ces communes singulières mises en place au milieu des années 60 pour favoriser le développement de systèmes métropolitains multipolaires. Évry-Courcouronnes bénéficie d’ailleurs d’un statut spécifique puisqu’elle réunit, depuis leur fusion en 2019, la ville nouvelle d’Évry et la commune de Courcouronnes. Cette spécificité mêlant plusieurs histoires, morphologies urbaines et richesse patrimoniales, est-ce directement lié à votre choix d’implantation géographique ?
“Les raisons sont multiples, mais l’un des éléments déclencheurs a été la création et la signature d’une chaire partenariale d’enseignement et de recherche tripartite entre l’ENSA de Paris-Belleville, le ministère de la Culture et le centre des monuments nationaux. Nommée PEPS (Patrimoine, Expérimentation, ProjetS), elle a notamment été sous la direction scientifique de Jean-Paul Midant**, docteur en histoire, spécialisé dans l’étude de l’art décoratif et de l’architecture aux XIXe et XXe siècles, également directeur du DSA Architecture et Patrimoine de l’ENSAPB. L’ambition principale de cette chaire était d’engager, avec les services de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) Ile-de-France, un travail d’inventaire, de diagnostic et de valorisation du patrimoine bâti et paysager des villes nouvelles de la région parisienne.
Et le premier territoire que nous sommes partis étudier était celui d’Évry-Courcouronnes. À l’aube des 50 ans de la ville nouvelle d’Évry, nous étions en charge du recensement des bâtiments et ensembles pouvant prétendre au nouvel outil qu’incarnait le label Architecture contemporaine remarquable. Enseignants, chercheurs, doctorants et étudiants ont ainsi rejoint un vaste réseau d’acteurs comprenant, entre autres, la DRAC, les élus et agents de la municipalité et partageant une ambition commune, celle de caractériser ce qui fait que l’identité architecturale des villes nouvelles est vraiment remarquable.
En parallèle de cette étude universitaire, nous avons noué des liens avec les équipes municipales, notamment avec Jacques Longuet, professeur d’histoire spécialisé dans l’histoire de l’Essonne et chargé du service patrimoine de la mairie, qui se questionnaient sur le devenir d’un site du vieux bourg au sein duquel subsistait un ancien château. Très rapidement, nous avons une intuition : nous emparer du sujet pour concevoir Lire la suite