Françis Kéré, architecte était invité du LHForum. Ce sur quoi il planche, c’est la ville de demain, espace de recomposition s’il en est de l’économie positive. Une ville construite et s’appuyant sur les savoir-faire et ressources locales, tout en intégrant la pointe des technologies en matière d’énergie. C’est pour lui le défi à relever. Rebecca Armstrong nous offre en exclusivité cet entretien sur le vif*.

F-Kéré

« Les pays souffrent parce que nous avons passé le temps à copier une structure européenne, ou bien à reproduire une mauvaise copie et on nage dans des villes qui sont gigantesques et les autorités peinent à trouver des solutions, à donner à ces populations les infrastructures dont elles ont besoin, telles que l’eau, les routes, l’énergie »

*Retranscription écrite d’un entretien radio

Francis Kéré bonjour, Vous êtes intervenus aujourd’hui à cette occasion du LH Forum au Havre. Vous avez parlé de la ville de demain, et vous vous êtes appuyé notamment sur des expériences au Burkina Faso de développement de projet avec les communautés locales. Pour vous, la ville de demain est une échelle planétaire. Est ce que vous pensez que les politiques, aujourd’hui, développent les méthodologies qui vont faire que cette ville de demain, qu’elle soit écologique ou intégrante des citoyens, devienne réalité ?

Je crois que la ville de demain, c’est déjà là. Il faudra qu’on s’engage. Mais je ne suis pas sur que dans le rythme où les politiques se passent, on ait la capacité de vraiment créer la ville durable la ville de demain, tout simplement parce que les politiques pensent au cycle électoral. On est élu, et on a peur de prendre des décisions impopulaires, alors que pour reformer une structure, il faut la réinventer et donc prendre des décisions qui peuvent être impopulaires. C’est pourquoi au vu de la période des élections qui fait marche les politiciens, je ne crois qu’il y ait vraiment des efforts qui soient fait en direction de la fondation d’une telle ville.

Est ce que justement, la société civile dans ses différentes composantes va avoir la capacité, seule en dehors de l’action des politiques, de faire évoluer la ville ?

Oui, certainement, car ce sont les électeurs qui décident de qui va être responsable et prendre les décision pour une direction à choisir. Il faut qu’ils apprennent à utiliser leur voix pour pousser cette ville de demain, et à s’engager dans la formation de cette ville.

On a parlé au LH Forum, des enjeux de changements climatiques. Le continent africain est largement concerné, car comme le disait Manuel Valls, c’est un continent d’avenir, avec du développement conséquent, et une population grandissante. C’est d’ailleurs également un continent traversé par des enjeux d’accès à la ressource en eau, de chaleur. Est ce qu’en Afrique, et plus spécifiquement au Burkina Faso, vous sentez une prise en compte de ces enjeux mondiaux, et des solutions nouvelles qui émergent ?

Oui, on sent qu’on est concerné. Mais cela ne signifie pas pour autant que les choses bougent. Jusque là dans la plupart des pays africains, le taux d’analphabétisme est très élevé alors que l’éducation est la base de toute évolution. L’ Afrique est bien sur l’avenir, mais il faudra d’abord donner au continent la base nécessaire et solide, dont il a besoin pour aller de l’avant et ainsi tacle tous ces problèmes comme l’assainissement et l’approvisionnement en eau. Tant qu’on n’aura pas ces fondements solides, on ne pourra pas bouger. Les pays africains souffrent parce qu’on a passé notre temps à copier les structures des sociétés européennes et même à reproduire une mauvaise copie. On nage dans des villes qui grandissent, des villes gigantesques, et les autorités peinent à trouver les solutions et donner à la population les infrastructures dont elle a besoin, telles que l’eau, les routes ou encore l’alimentation en énergie.

Vous qui êtes architecte, est ce que les architectes sur le continent africain s’organisent, débattent, pour avoir, peut être un rôle de lobby, auprès des gouvernements, pour dire qu’il faut s’appuyer sur les ressources et les savoir-faire locaux, pour construire la ville, et non plus dupliquer ce modèle occidental ?

De plus en plus, les architectes sont convaincus de leur rôle. C’est encore peu, mais ils sont conscients de leur rôle et de ce qu’ils peuvent faire, de leur contribution pour l’avenir.
C’est toujours difficile dans des états où le rôle de l’architecte n’est pas aussi développé. L’accès à l’information manque. C’est dommage que leur rôle se réduise trop souvent à la reproduction de mauvaises copies. Sur le long terme, je crois qu’avec les institutions locales telles que l’ordre des architectes, et l’ordre des architectes de haut niveau de l’Afrique, il devient plus évident qu’une mobilisation est nécessaire pour porter une voix contre les politiques, pour les pousser à changer ou bien pour les forcer d’équiper les pays avec les infrastructures nécessaires pour avancer.

L’année prochaine se tiendra à Paris, la COP21, un grand rendez-vous international, est ce que vous avez envie que ces enjeux autour de la ville soient au coeur des débats et que les états s’engagent sur des positions pour réfléchir à la manière dont on accompagne cette ville de demain ?

Oui, la ville de demain est une nécessité. Je ne crois pas que le problème soit uniquement le fait que l’Afrique étouffe dans des villes difficiles à gérer. Le monde entier est concerné par la ville de demain, on ne peut pas l’éviter. On souhaiterait donc que la ville de demain soit au coeur de ces prochains débats parce que si la ville ne fonctionne pas, alors rien ne fonctionne dans le monde.

Rebecca Armstrong accompagne l’élaboration de stratégies de développement durable et a fondé www.seedbomb.net, réseau des « BiodiverCités ». Blogueuse et animatrice radio, elle porte son regard sur le monde en transformation.

Son blog: http://rebeccarmstrong.net