Pendant que les équipes sanitaires et médicales font leur possible, héroïquement, pour sauver nos vies, celles de nos proches, de nos voisins, nous sommes témoins d’une situation totalement inédite pour tous. Les êtres humains partagent un danger, une problématique commune, la crise majeure de la rapide contagion et de la difficulté de guérison – pour l’instant – du coronavirus.
Ce danger a entraîné une série de phénomènes et de situations toutes autant inédites que compliquées à gérer et digérer… Dans certains pays…Etat d’urgence…dans d’autres…couvre-feux. Pour stopper la contagion…arrêt des vols et déplacements aériens, circulations terrestres et maritimes réduites…Commerces, entreprises, associations, services fermés….Quarantaine mondiale…. Les êtres humains sont confinés « chez eux »….et en un moment, nos villes et nos vies se sont alors transformées.
Sur médiatisée pour son caractère totalement inédit, global, et préoccupant, en plus de celui de la santé publique, la crise que représente cette maladie infectieuse questionne aussi de nombreux sujets.
Elle interroge sur les économies d’aujourd’hui et de demain, sur les commerces qui ont du fermer, les entreprises dont les travailleurs ne peuvent pas travailler à distance, les personnes qui se sont retrouvées sans emplois brusquement sans préavis. Elle révèle un regard sur la ville radicalement différent, dans toutes ces villes du monde concernées, il y a soudainement quelque chose de commun : elles sont désertes. On s’y aventure seulement pour y chercher « l’essentiel ».
Elle questionne alors sur qui peut et/ou doit définir – et comment définir- ce qui est essentiel et pour qui ? Arrêter de travailler, faire du « télétravail », s’alimenter de commerces de proximité, ne plus se déplacer… toutes ces modalités qui révèlent de nouveau les mille et une identités sociales présentes dans nos villes. Un travailleur qui vit de son commerce dans la banlieue de Quito, un ouvrier à Barcelone, une ingénieure à Athènes, une mère de famille célibataire à Paris qui ne peut ni faire de télétravail ni s’arrêter de travailler, qui peut/doit faire quoi et comment, qui a besoin de quoi au fond. Elle soulève alors de nouveau les inégalités et les complexités liées aux conditions de travail, socio-spatiales, des lieux de vie, des logements. Rester chez soi, vu la contagion rapide c’est nécessaire, et les habitants face aux difficultés, aux appels des équipes médicales et face à une situation compliquée à gérer politiquement, respectent solidairement. Mais quel chez soi, dans quel logement, dans un 12 mètre carré avec services partagés, chez soi avec 4 enfants en bas âge dans un studio, chez soi si l’on vit seul, âgé et considéré « personne vulnérable », chez soi dans un foyer, chez soi dans un centre d’hébergement. Cette crise reflète alors de nouveau malgré elle la question délicate des inégalités, l’indispensable de la « proximité », de la solidarité, du partage.
Elle discute aussi la gestion politique et économique des problèmes socio environnementaux, globaux aussi, préoccupants aussi, pas inédits par contre, des impacts écologiques et changements climatiques, ceux causés ou aggravés par les êtres-humains, et dont les avancées étaient souvent si compliquées et longues et lentes à mettre en place, et la difficulté de l’être humain urbain de se créer son éco-système, de le respecter et le valoriser, ainsi que celui des autres êtres vivants. Elle interroge de nouveau l’étalement urbain, les déplacements, les industries polluantes, l’utilisation de la voiture, l’accessibilité des transports etc…
La crise et le temps suspendu nous font réfléchir à ces questions.
Quels sont nos « essentiels », nos « indispensables », en tant qu’urbain, en tant qu’être humain ? Indispensable pour qui, comment ?
A quoi et à qui sert l’économie, à qui doit-elle servir ?
Qu’est ce qui fait de nous humain ?
Cette crise multidimensionnelle, au-delà de son caractère immédiat d’urgence, interroge finalement ce que l’on avait définit dans les années 80- 90 et mis en pratique ces dernières décennies ou essayé de mettre en pratique : le concept de « développement durable » et ses trois piliers : le social (auquel est ajouté le culturel, le socioculturel), l’environnement et l’économie. Et leurs essentielles et inévitables interdépendances et interrelations.
Le – passionnant – « Développement à échelle humaine » des sociologues, philosophes et économistes chiliens (Max Neef, Elizalde, al al. , 1986, première édition, rééditée en 1993, Max-Neef, 2010 Max-Neef, Elizalde et al.) est plus que jamais d’actualité et la célèbre matrice de (re)définition des « nécessités » plus que jamais pertinente. Selon une organisation des besoins, ils y proposent notamment d’y reconsidérer « nos aspirations et priorités », en y élaborant une classification croisée de « nécessités » et des « besoins ». Elle se focalise entre autres sur les besoins fondamentaux psychologiques et croisent le collectif à l’individuel, d’intensité différente, ils ont à voir tantôt avec chacun, personnellement, en relation avec le groupe social ou avec l’environnement. Ils réfléchissent sur comment certaines nécessités ont été et sont mises en place, culturellement et historiquement, et interrogent ce qui est défini – ou doit être défini et comment. Le point de départ sont des catégories existentielles de l’être humain : être, avoir, faire, interagir et les besoins de : subsistance, protection, affection, compréhension, participation, loisir, création, identité, liberté. Y en découle un tableau croisé à remplir selon ces catégories (par exemple : famille, santé physique et mentale, nourriture, logement, partage, le fait de prendre soin d’autrui, de s’instruire, de méditer, l’imagination, les lieux d’appartenance, l’égalité de droits, la reconnaissance, l’estime de soi etc. etc. etc.).
Comment définissons-nous à travers l’inconscient collectif nos aspirations et nécessités en tant qu’humains en société ?
Il y a des besoins qui sont constants, et certains qui pourraient alors être revus dans un cas d’urgence ou de crise par exemple. Ces besoins, nécessités, aspirations pourraient être au fond le point de départ du projet de ville.
Une ville, comme levier de solidarité, de partage, de bienveillance, encore plus, et plus que jamais. Une ville qui exprime et révèle plus fort ces milles identités en offrant l’opportunité d’en construire d’autres, socialement et spatialement plus justes. Une ville où se développent encore plus de réseaux formels et informels d’entre-aide, de prêts, de soutien. Une ville qui retrouve son « sens de la communauté », de confiance et d’attention entre ses habitants au vu des conditions plus ou moins difficiles de chacun. Une ville accessible et culturelle pour tous avec la gratuité de diffusion de programmes culturels et artistiques. Une ville qui inspire à s’exprimer, à exprimer ses ressentis, ses besoins. Une ville où l’on respire. Une ville qui propose de se réinventer société, en y redéfinissant ses priorités.
Des villes équilibrées, solidaires, inclusives, valorisantes, valorisées, des villes circulaires, de micro échelles, où chacun a la possibilité de s’y reconnaître et d’y trouver sa véritable place.
Une ville qui choisit de laisser, son surmenage, sa surcharge, sa pollution, sa sur consommation, une ville qui choisit d’y garder la solidarité, l’entre-aide, la proximité, la protection des plus fragiles, le respect de tout être et de leurs écosystèmes respectifs.
Une ville qui assume et reflète l’interdépendance de l’être-humain – comme tout autre être vivant – avec son environnement.
Les crises sont aussi les opportunités de réflexions, de réinventions et de reconstructions. En mettant en avant notre capacité de solidarité et de soutien, comme nous l’observons actuellement, elles permettent de s’adapter, de s’interroger, de rebondir et elles offrent des possibilités de changement.
En mars 2020, on peut avoir alors ensemble un autre regard sur nos villes. Le regard d’une ville qu’on a choisi solidaire, un regard constructif et porteur d’espoir.
Marianne Wehbe
Sustainable Development – Participatory Urban Planning – Social Inclusion