Au fil du temps, les hommes se sont agglomérés dans les villes, qui accueillent aujourd’hui près de la moitié de la population mondiale. Villes champignons et villes dortoirs ont émergé afin de répondre à la demande croissante et accélérée de logements. L’homme, parqué dans ce paysage utilitaire, a déployé de multiples stratégies de libération, visant à assouplir la carapace rigide qui l’enfermait. Brisant la monotonie des gestes imposée par une économie urbaine, des formes de soulèvement furent inventées par les citadins. La libération des corps dans la ville en constitue une des formes d’expression. L’apparition de pratiques sportives, typiquement urbaines, supplante les limites spatiales imposées par la ville.
Expérimenter le terrain urbain
Le mouvement situationniste, datant des années 50, perçoit la ville comme l’espace de production de la société du spectacle mais aussi comme un terrain de lutte et d’expérimentation. La ville est le lieu d’une réinvention radicale de la vie quotidienne, un terrain d’expérimentation corporelle qui inspira largement l’œuvre de la chorégraphe avant-gardiste Anna Halprin et de son mari paysagiste concepteur. Dans leur ouvrage « RSVPCycles », ils élaborent l’inventaire des matériaux mis à disposition par la ville, et prônent l’expérience de la situation. Pour briser le dogme et la doxa de la discipline, il faut, selon les Halprin, que les mouvements du corps expérimentent une sensorialité renouvelée par l’environnement et par des évènements qui la rendent perceptible. Le sol apparaît ici comme condition nécessaire pour danser mais aussi pour construire, c’est à dire, pour élaborer. Ils établissent ensemble un système de notation, proche de la partition musicale, pour représenter schématiquement les mouvements des corps à travers le temps et l’espace. Ces cartes serviront de base à l’élaboration d’une chorégraphie pour l’un et à celle du dessin de projet spatial pour l’autre. Les particularités architecturales d’un des projets de Lawrence Halprin, le Lovejoy Fountain Park, en ont fait aujourd’hui un lieu mythique d’une des expressions corporelles les plus à la mode, le skateboard.
Processus de détournement des objets, introduction du plaisir dans l’urbanité, symbole d’un mouvement contestataire, procédé d’expérimentation… l’expression des corps dans le paysage urbain brave souvent les interdits ou trouve une alternative à la pénurie de distractions. Le Parkour, l’Art Du Déplacement ou le Free-Running, découverts par le grand public au travers du groupe Yamakasi, considèrent la ville comme une paroi dont les moindres aspérités sont saisissables. Plus question de limite, de barrière, de frontière ni de murs que le corps ne puisse franchir ici. Plus qu’un sport, cette chorégraphie exprime une utopie : celle de supplanter l’enclavement généré par les cités. Bien souvent ces trépidations urbaines sont l’apanage des plus précaires, pour qui l’abonnement à une salle de sport ou l’inscription dans un club n’est pas accessible. Cette inégalité d’accès à un service offert par la ville a poussé ces jeunes à réinventer leur milieu afin d’en tirer le meilleur parti.
Le mobilier urbain, support du Street Workout
Originaire du milieu carcéral, le Street Workout repose sur le simple poids du corps comme facteur de développement musculaire. En s’exportant hors des murs des prisons, cette pratique s’est basée sur l’utilisation du mobilier urbain comme support de pompes ou de tractions. Du parcours de santé à l’aire de jeux pour enfants en passant par les bancs, les poteaux, les panneaux, les murs et autres « accessoires » du décor urbain… tout est prétexte à l’exercice physique.
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