Après plusieurs portraits d’artistes masculins, j’avais envie de donner la parole à une femme. Parce que dans le streetart, il y a plein d’artistes féminines de grand talent (auxquelles je rendrai hommage dans de prochains portraits).
Celle dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui s’appelle Béa Pyl. Sa particularité est de coller des morceaux de puzzle tout en haut des murs. Peut-être en avez-vous déjà croisé si vous savez vous promener le nez en l’air, et non la tête baissée et le pas pressé. D’où son nom d’artiste… PYL comme Puzzle Your Life ( ne cherchez aucun lien éventuel avec Emma Peel… que les moins de 20 ans ne doivent pas connaître…). Je l’ai choisie comme première artiste féminine de streetart parce que c’est une jeune femme que j’apprécie beaucoup. J’ai eu plusieurs fois la chance de la rencontrer et j’ai été charmée par sa bienveillance et sa douceur mêlées à beaucoup d’énergie et que l’on retrouve dans ses oeuvres.
Depuis toujours, Béa Pyl aime se promener dans la ville pour y trouver ses « trésors » cachés, la prendre en photos sous différents angles, relever LE détail que l’on ne voit pas toujours. Le streetart fait partie de ces petits détails. La plupart des gens ne voient pas les œuvres bien souvent, leur regard étant accaparé par d’énormes panneaux publicitaires. Alors, pour elle, déposer une œuvre dans la rue, c’est venir « mettre des couleurs, des sourires, au cœur de la grisaille », ce qui est un véritable moteur pour elle. La rue est libre et passer par elle est le moyen le plus simple de parler au plus grand nombre.
Béa Pyl ne cherche pas à faire des expos ou à se mettre en concurrence avec des artistes. Elle dit d’elle-même « qu’elle n’a fait aucune école d’art et n’est certainement pas une experte en dessins, pochoirs… Tout ce qu’elle veut, c’est s’exprimer à sa façon et justement, le streetart permet cette liberté car il ne se plie à aucune contrainte de rendement, de profit ou autre objectif financier. » Dans la rue, l’artiste crée pour créer, rien d’autre. Pas de format ou de cadre dans lequel se limiter, pas de commande qui empêcherait l’imagination de voyager en toute liberté. Exposer dans la rue c’est le pouvoir d’être vu par tous, des « connaisseurs » comme des néophytes, des « jeunes » comme des « vieux » ( de 0 à … ans), et même parfois par ceux qu’elle appelle « le camp ennemi en bleu… ».
Elle est venue à l’art urbain de façon très naturelle. Elle a commencé par admirer les œuvres des autres. Puis, à force de voir d’autres s’exprimer, elle s’est rendue compte qu’elle aussi avait des « choses à dire ». Le format du puzzle s’est imposé très rapidement, comme une évidence. Plus qu’un support d’expression, il est une véritable philosophie. La vie est un énorme puzzle et chacun fabrique son propre puzzle avec les pièces qui lui sont propres.
Avec les mots de Béa Pyl, ce sera beaucoup plus clair : « J’envisage la vie comme un puzzle … Des morceaux de rires, de rêves, d’amitiés, d’envie, d’amour, d’énergie … Les morceaux plus sombres aussi, en font partie. Au fur et à mesure que l’on avance, le puzzle qu’est notre vie, se met en place : au fil des rencontres, des épreuves, des expériences, il y a toujours un nouveau morceau à coller. Et il arrive parfois qu’à force de collectionner certains morceaux gris, on n’arrive plus à voir ceux qui sont plein de couleurs…
Les morceaux que j’imagine représentent les morceaux colorés, comme un rappel, un cadeau, un encouragement : n’oublions pas de profiter, de rêver, de vivre, d’aimer ! Prenons ici ou là, une fleur, un sourire, un oiseau, une note de musique ! Soyons curieux, libres, nous mêmes ! »
« Travailler dans la rue » (je souris en écrivant cela car lorsque je lui ai posé cette question je n’ai pas du tout vu le double sens de ma question…) est pour elle un vrai plaisir. Quand elle colle elle rencontre des gens, parle avec eux pour leur expliquer ce qu’elle fait. Elle leur raconte l’histoire de ses puzzles sans chercher à justifier le geste (il ne faudrait pas oublier que le streetart n’est pas autorisé..). Lorsqu’elle colle la nuit elle croise également ceux qu’elle appelle les « oiseaux de nuit » qui observent, parfois de loin sans oser s’approcher, parfois de plus près pour poser quelques questions et même proposer leur aide. Et puis il y a les autres « colleurs » : entre eux ils échangent des astuces et des anecdotes. Un lien se crée.
Parmi ses réponses à mes questions il y en a une que j’ai vraiment aimée alors je ne vais pas la réécrire. Je vous la livre telle quelle en guise de conclusion à ce portrait d’une jeune femme que j’apprécie beaucoup et qui a beaucoup de talent : « Je compare souvent le street art à la jungle des animaux : je préfère observer de beaux spécimens dans leur milieu naturel, plutôt qu’en exposition, privés de leur liberté. Les œuvres qui colorent les rues racontent une histoire, vont souvent de paire avec le lieu dans lequel elles sont. »
Et maintenant place à quelques morceaux de puzzle… Et vous pouvez en voir encore plus sur Urbacolors.