→ Les problèmes d’assainissement en Guadeloupe mais aussi la crise de l’eau à Mayotte, marquée par de fréquentes coupures d’eau potable dues à une sécheresse importante et un manque criant d’infrastructures et d’investissements, soulèvent des questions cruciales sur la gestion de l’eau en milieu insulaire. Pouvez-vous nous expliquer comment est-il possible qu’une crise de l’eau sur un territoire tropical, comme celui de Mayotte, puisse exister ?

Mayotte est effectivement une île au climat tropical, recevant trois fois plus de précipitations que Paris, il peut donc sembler surprenant que cette île soit actuellement approvisionnée en eau, entre autres par des bouteilles transportées par bateau. L’une des raisons est que cette forte pluviométrie est concentrée sur une seule période de trois mois, suivie de neuf mois de quasi-sécheresse. L’enjeu est ainsi de parvenir à conserver une réserve d’eau afin d’assurer une gestion de l’eau équilibré et une répartition adéquate de l’eau pour l’ensemble de la population où qu’elle soit située sur l’île.

Aujourd’hui cet équilibre n’est pas assuré. Pour l’expliquer brièvement : l’île de Mayotte est naturellement dotée de nappes souterraines capables de stocker l’eau de pluie, agissant comme une éponge qui retient l’eau. Cependant, cette capacité est compromise par deux phénomènes majeurs. D’une part, l’urbanisation accélérée qui rend les sols imperméables, bloquant l’infiltration de l’eau et favorisant son ruissellement. D’autre part, une agriculture de plus en plus intensive qui mène à la déforestation, particulièrement sur les pentes, ce qui non seulement empêche l’eau de s’infiltrer mais accélère également son écoulement et provoque une érosion plus rapide des sols. Ces deux facteurs limitent le rechargement des aquifères et rendent difficile le maintien des réserves d’eau pendant les mois secs.

Outre ces dégradations quantitatives, ces mutations dans l’occupation des sols ont des impacts en termes qualitatifs : le ruissellement de l’eau de pluie sur les terrains ruraux déboisés, sur les surfaces urbaines encombrées, cause une pollution significative du lagon. Sans arbres ni végétation pour freiner ce flux, les produits chimiques et engrais présents dans les sols agricoles sont emportés et déversés directement vers le lagon, de même pour les plastiques et autres ordures ménagères encombrants les ravines, caniveaux et dépôts divers.

→ En définitive, que ce soit dans un environnement insulaire ou continental, le cycle de l’eau impliquant les nappes phréatiques reste essentiellement similaire. Ainsi, le défi ne réside pas tant dans les changements météorologiques actuels, mais plutôt dans l’artificialisation du territoire, son développement et sa gestion. Quels obstacles se dressent devant les territoires d’outre-mer dans leur gestion de l’eau, et quelles stratégies innovantes ou méthodes pourraient être adoptées pour surmonter ces défis ?

En effet, bien que le changement climatique soit souvent pointé du doigt pour les perturbations dans le cycle de l’eau, les problèmes observés découlent davantage de l’utilisation non régulée et parfois inadaptée du territoire. Contrairement à la métropole, où la diversité des nappes phréatiques assure un approvisionnement constant et stable en eau, comme à Paris qui puise dans des sources éloignées jusqu’à 100 kilomètres, les îles comme Mayotte sont limitées à leurs seules ressources présentes sur leur territoire insulaire. L’utilisation intensive de ces ressources, notamment pour la consommation humaine et l’irrigation, crée un déséquilibre, rendant certaines zones particulièrement vulnérables pendant les saisons sèches.

Pour faire face à ces défis d’approvisionnement en eau, l’île de Mayotte s’est tournée vers les stations de désalinisation. Une solution qui permet d’obtenir de l’eau douce à partir d’une eau saumâtre ou salée via des procédés thermiques visant à évaporer l’eau puis à la condenser, ou via des traitements de filtration membranaire appelés osmose inverse. Ces infrastructures sont aujourd’hui défaillantes à Mayotte. Selon moi, les ressources financières ne sont pas le principal obstacle, nous avons très certainement les fonds suffisants et les investissements nécessaires pour leur entretien. Le problème réside plutôt dans la fragilité de ces techniques, qui requièrent d’une part des eaux d’une qualité que présentent de moins en moins les eaux du lagon, d’autre part des compétences spécifiques trop absentes à Mayotte.

Plus largement, si ces techniques peuvent apporter une réponse ponctuelle, il me paraît que les pouvoirs publics doivent mettre en œuvre parallèlement des mesures plus durables et adaptées au contexte particulier de l’île, et des îles en général. Des mesures s’appuyant sur les capacités naturelles de ces géographies, c’est-à-dire privilégier les solutions dites « fondées sur la nature ». Ainsi, l’adoption de techniques agricoles durables, comme la plantation de haies et l’aménagement de fossés, pourrait optimiser la conservation et la dépollution des eaux de ruissellement. Par ailleurs, la révision des pratiques agricoles pour limiter la consommation d’eau constitue également une option envisageable. En zone urbaine, existent désormais partout dans le monde, des méthodes, des techniques, des matériaux d’infiltration et de filtration de l’eau pluviale, voire des eaux grises, qui pourraient être employées dans les tissus urbanisés de Mayotte. Techniquement, les solutions sont nombreuses, éprouvées et surtout adaptées techniquement, socialement et financièrement.

On voit ainsi que le principal obstacle, particulièrement à Mayotte, est l’insuffisance de planification et surtout d’application des plans urbains. Les zones urbaines naissent pour une grande part d’occupations spontanées, générées par l’arrivée de populations en quête de meilleures conditions de vie, notamment depuis les autres îles des Comores. Sur le volet agricole, sont observés des usages inadaptés et participant à une mauvaise gestion de la ressource en eau. Les pratiques agricoles traditionnelles, comme les brûlis qui consistent à défricher les champs par le feu, se révèlent complexes à changer, surtout si ces changements impliquent l’intervention des autorités. Ces enjeux sont donc multidimensionnels et relèvent à la fois des sphères politiques, sociales et réglementaires. Lire la suite…