La ville est devenue un lieu de consommation plus que de production.

Lorsque le consommateur n’eut plus nécessairement à être chasseur à l’aube pour devenir carnassier le midi, et que concomitamment les premières cités apparurent, une caractéristique fondamentale qui ne s’en dissociera jamais commença à justement distinguer la ville ; celle d’un lieu d’exercice économique au sein duquel la productivité fait office de pierre-angulaire.

Dès les premières notes jouées, la musicalité urbaine dissonant moins avec la servitude qu’avec la liberté, a fait de ses jeunes ses blanches et de ses vieux ses noires. 

En ville, la jeunesse humaine dispose d’une primauté provenant de son inégalable faculté à générer de l’activité, en faisant battre son cœur ou en en faisant chavirer d’autres. 

Aussi, l’on dira ordinairement du jeune citadin qu’il vit en ville, et du vieil urbain, qu’il y reste, ou qu’il en part.

L’aîné, par nature plus fragile que dans ses jeunes années, devient dans le hourvari urbain une bête peu prisée, improductive, voire dérangeante ; un être rejetant les symboles et les conséquences du mouvement qui, inévitablement, est l’apanage de la ville.

Jusqu’ici, la ville était conçue pour, en journée, suer calmement dans une étoffe repassée du matin et souillée le soir même par l’odeur des cigarettes dont la fumée parvient parfois, adoptant le masque de l’altérité, à laisser croire qu’elle est plus saine que l’air ambiant. 

La ville est excitante, à s’en fatiguer – par habitude, on s’y use, mais n’y vieillit pas !

L’adolescence du troisième âge. 

Les temps ont changé, et l’on peut irréfutablement constater qu’aujourd’hui, il existe un âge  –  précédent sinon la sénilité, mais tout au moins survenant juste avant ce que Schopenhauer qualifiait comme étant l’âge sénile, c’est-à-dire ce qui est perçu comme représentant le dernier quart de la vie – qui est comparable à ce que l’adolescence est entre l’enfance et la vie de jeune adulte.

L’adolescence est une phase de développement qui, d’un point de vue social, apparut seulement au milieu du siècle passé, lorsque à l’âge de la majorité, il convint d’être libre comme un adulte et de jouer comme un enfant.

A l’heure actuelle, à l’âge de la retraite, la société autorise de se divertir comme un adolescent le ferait ; la morale collective ne condamne plus que la soixantaine puisse accompagner des histoires d’amour désillusionnées, des divertissements futiles ou des nuits blanchies pour boire du mauvais vin.

Aussi, j’invite un académicien friand de sociologie et de néologismes à proposer de définir étymologiquement cette période de la vie qui représente un tremplin vers la vieillesse, mais qui est encore parée du découragement par le revêtement brillant de la jeunesse.

Comme l’on ne passe plus de l’enfance à l’âge adulte, l’on ne quitte plus celui-ci pour atteindre immédiatement la vieillesse ; le 21e siècle, apparaissant avec l’éclosion du schéma familial perdurant précédemment, ainsi qu’avec la révolution numérique, fait connaître une nouvelle étape de la vie ; l’adolescence du troisième âge.

Avec ce regain d’exaltation animant les jeunes retraités, disparaît l’indifférence jusqu’ici éprouvée par les aînés à l’égard de la cité. 

C’est ici la première raison du changement d’affectation de la ville, dont on perçoit qu’une partie de l’économie, reposant précédemment sur des préceptes sentencieux, se métamorphose en une industrie ludique.

Leur nouvelle frivolité contribue à motiver les moins jeunes d’entre nous à élire domicile en ville même une fois leurs années d’activité professionnelle révolues.

Il est intéressant de noter au passage que les exodes se sont récemment inversés, et que désormais, si lorsque les rides se creusent les Français n’aspirent plus comme précédemment à fuir la ville, à présent, ce sont les jeunes qui, majoritairement peu convaincus par ce que leur offre le salariat, peu enjoués par les récompenses de nombreuses années d’études et moins admiratifs de l’entreprenariat que dans le passé, s’exilent vers la ruralité.

Le télétravail – avec ses visioconférences et ses tâches de plus en plus imprécises –, la mise en avant glorifiée des startups ainsi que toutes les autres légendes socio-politiques se répandant aujourd’hui participent à cet exil urbain séduisant les jeunes générations.

La ville n’est donc plus seulement le point de convergence où se rencontrent patrons et salariés, mais devient principalement un lieu de divertissement.

La ville moderne est prioritairement l’espace privilégié du consumérisme – plus que de la productivité comme ce fut le cas hier – et les retraités sont aujourd’hui autrement consommateurs, par conséquent, ce sont eux qui deviennent les protagonistes de la cité.