La hausse des pics de pollution confirme la tendance générale d’augmentation de la pollution de l’air dans les grandes villes. A Paris, la qualité de l’air a été jugée “mauvaise” le 26 et le 27 février en raison d’une forte concentration en particules fines. Un élément alarmant puisqu’une qualité de l’air dégradée constitue une menace pour la santé des habitants, étant la cause de nombreuses maladies. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en 2012 6,5 millions de décès sont associés à la pollution de l’air dans le monde, et en France, une étude de l’Agence Santé Publique dénonce les particules fines, fautive de 48 000 décès par an, l’équivalent de 9% de la mortalité du pays.
Au vue de la détérioration de la qualité de l’air dans le monde et sachant que les principaux vecteurs de pollution telles que les usines, le trafic routier ou encore la densité sont concentrés dans les grandes villes, peut-on repenser l’organisation urbaine actuelle pour diminuer les émissions polluantes ? Si oui, est-ce la seule solution ? Comment y faire face et quelles mesures adopter ?
La pollution de l’air : une menace invisible et silencieuse plane sur les villes
Des pics de pollution favorisés par les axes de circulation et les conditions météorologiques
Les pics de pollution augmentent un peu partout à plus ou moins grande intensité et fréquence. A titre d’exemple, cette année, le département de Vaucluse a déjà atteint un record de pollution atmosphérique avec cinq jours de pollution aux particules fines. L’année dernière, sur le même territoire, la quantité d’ozone a dépassé le seuil de pollution admis dans l’air à neuf reprises.
Un constat permis grâce à une surveillance constante de la qualité de l’air. Pour mesurer celle-ci, plusieurs polluants ayant différentes sources sont pris en compte et qui se distinguent en deux types. Les polluants primaires, comme les particules et le dioxyde d’azote, viennent principalement des sources de pollution comme le trafic routier, les industries, le chauffage ou encore l’agriculture, et les polluants secondaires, comme l’ozone, qui proviennent de réactions chimiques entre plusieurs gazs entre-eux. Les particules et le dioxyde d’azote peuvent à la fois être des polluants primaires et secondaires, comme le dioxyde d’azote qui provient pour 50% du trafic routier.
Trafic dense à Bangkok, Thailande © @dynamicwang via unsplash
Les causes de la pollution sont multiples mais quelques évènements météorologiques comme le grand froid et les épisodes de forte chaleur expliquent en partie les jours où les émissions sont les plus fortes. Les particules fines, par exemple, apprécient le froid et sont donc plus fréquentes et denses au mois de février. Par ailleurs, les polluants sont principalement issus de la pollution industrielle, automobile et résidentielle. Ils se concentrent souvent près des sources émettrices. Pour le cas parisien par exemple, la pollution vient principalement du transport et du chauffage.
Une pollution qui entraîne des conséquences sanitaires de grande ampleur
La pollution de l’air a un impact particulièrement néfaste pour la santé, et les maladies qui y sont associées sont nombreuses. En effet, la pollution contribue à développer des problèmes de santé variés, plus ou moins bénins. Parmi elles, les AVCs, les maladies cardiaques ou les maladies pulmonaires, incluant l’asthme mais aussi la pneumonie, sont mises en avant dans la campagne de sensibilisation de l’OMS.
Affiches de la campagne de sensibilisation de l’OMS, © OMS
Par ailleurs, plusieurs études mondiales démontrent que plus la pollution est élevée et plus l’impact sur la santé mentale et le bonheur des individus est affecté. En effet, d’après un article sur le World Economic Forum, plusieurs études dont Valuing Air Quality Using the Life Satisfaction Approach par Simon Luechinger démontrent une forte corrélation entre une plus faible exposition à la pollution et un meilleur bien-être mental. Au delà des conditions physiques, la pollution affecterait le moral des personnes en raison d’effets indirects, notamment le brouillard, l’odeur ou même le goût. De nouvelles études neuroscientifiques sont néanmoins à mener afin d’identifier plus exactement les causes qui affecteraient notre cerveau.
Enfin, la pollution constitue une menace de taille pour l’environnement puisqu’elle peut interférer sur la croissance des plantes et donc empêcher leur rôle de purificateur d’air. De plus, elle peut aggraver des évènements climatiques peu désirables comme les pluies acides ou le réchauffement climatique avec l’effet de serre, puisque le dioxyde de carbone emprisonne la chaleur du soleil dans l’atmosphère.
La réorganisation des centres urbains, une solution pour améliorer la qualité de l’air ?
La vie urbaine, autre victime impactée par la pollution atmosphérique
Les effets de la pollution sur la santé vont influer sur le fonctionnement des villes. A Bangkok, par exemple, la ville s’est retrouvée fin janvier 2019 dans le top 5 des villes les plus polluées. Pour faire face à ce fléau, le gouvernement a décidé de fermer des classes dans 400 écoles publiques pendant deux jours.
Nuage de pollution à Shanghai, China © @photoholgic via unsplash
En Inde aussi, la pollution atteint des records qui perturbent le quotidien des citadins. On pense notamment à ces images de smog épais et de personnes devant porter des masques pour sortir. Des conditions qui peuvent impacter notamment la pratique sportive, puisqu’il est grandement recommandé de ne pas faire de sport en cas de pic de pollution. Le placement des stades près des axes routiers faisait d’ailleurs l’objet d’une campagne de Greenpeace lors de la coupe du monde de football.
Des mesures restrictives mises en place pour limiter la pollution
Les pics de pollution qui se sont manifestés en ce début d’année ont activé la mise en place de mesures restrictives concernant la circulation dans certaines villes comme Paris ou Lille. Ce dispositif a été mis en place dans 30 villes françaises, qui ont créé des zones de protection atmosphérique (ZPA) permettant d’interdire la circulation de certains véhicules considérés comme trop polluant lors de pics de pollution.
A terme, les zones à circulations restreintes (ZCR) qui autorise une restriction permanente des véhicules les plus polluants, même s’il n’y a pas de pics de pollution, vont s’étendre à d’autres villes comme Strasbourg avec l’appel à projet « Villes respirables en 5 ans » mis en place par Ségolène Royal. Pour l’instant, seul Paris et Grenoble ont adopté la délimitation.
Les 6 catégories pour les macarons crit’air, ©Grenoble.fr
D’autres villes choisissent un dispositif plus souple comme Rouen qui veut établir une zone à faible émission (ZFE) en 2020 pour limiter la circulation des véhicules de livraison les plus polluants. Ils abandonnent les vignettes et optent pour une autre option, celle d’un système de lecture de plaques minéralogiques. Plus souple, le dispositif pourrait limiter les ambitions alors qu’il existe déjà un arrêté municipal interdisant l’entrée des véhicules de livraison dans l’hyper-centre après 11h.
Des mesures incitatives pour adopter une mobilité propre
Les mesures restrictives sont la plupart du temps couplées par des dispositifs incitatifs et des évènements comme la “Journée sans voitures” qui contribuent à préfigurer à quoi pourrait ressembler Paris sans voitures.
Depuis 2017, des aides financières pour abandonner son véhicule polluant et opter pour une mobilité plus propre sont proposées par la ville de Paris. Les mesures incitatives concernent à la fois la pratique du vélo avec par exemple une aide d’environ 400 euros à l’acquisition d’un vélo à assistance électrique ou de 600 euros pour l’acquisition d’un vélo cargo. L’abandon d’un véhicule personnel donne droit à une prise en charge de l’abonnement annuel velib’ ou Navigo. Pour faciliter l’usage du vélo, les syndics et bailleurs sociaux sont également aidés financièrement pour l’installation d’abris vélo sécurisés et de bornes électriques. La prise en charge est de 50% du prix des travaux des abris vélos (jusqu’à 2 000 euros).
D’autre part, la ville fait face à de grands changements d’organisation de son espace urbain, surtout en matière de mobilité. En effet, pour compléter les incitations des acteurs de la ville à utiliser des mobilités douces, il s’agit aussi de faciliter l’utilisation quotidienne de ces derniers. Pour cela, la ville divise l’espace public pour accueillir des modes de déplacement variés. Ainsi, Paris est en chantier pour aménager de nouvelles pistes cyclables afin de laisser plus de place aux cyclistes. L’espace public se recentre sur le piéton et la place de la voiture se fait moindre grâce au déploiement de zones de rencontre, de zones à trafic limité, la pacification des places, la piétonnisation des Rives de seine ou encore développement des zones “Paris Respire”.
Des politiques radicales pour lutter contre la pollution
Certaines villes dans le monde prennent très au sérieux la pollution de l’air et mettent en place des plans globaux pour la limiter. C’est le cas du Pakistan, pays particulièrement touché par les phénomènes de pollution intense. Le nouveau gouvernement a mis en place des outils de mesures de la qualité de l’air, des amendes pour les fermiers qui brûlent les récoltes, une tradition dans le pays. Il a également réussi à obtenir la fermeture de certaines usines pendant deux mois durant l’hiver dans certains quartiers des villes touchées par la pollution.
En Chine, la prise de conscience des conséquences de la pollution sur la qualité de l’air et la santé des citadins entraîne un sursaut du gouvernement qui s’empare de la question écologique depuis quelques années et développe de nombreux projets d’envergure telle que le plus grand purificateur d’air construit dans la ville de Xian. Cette tour de 100 mètres est capable d’avaler la pollution et de rejeter de l’air de meilleure qualité pour une étendue de 10km². Les jours de pollution critique, la qualité de l’air est ainsi ramenée à une qualité modérée. De nombreuses autres tours purificatrices sont planifiées dans le pays.
Des projets urbains innovants pour combattre la pollution de l’air
La place et le rôle de la nature en ville pour combattre la pollution atmosphérique
L’un des moyens pour combattre la pollution dans les grandes villes est de miser sur la nature. En effet, les plantes piègent les polluants et réfléchissent la chaleur. Dans le cadre du programme de végétalisation de 2014 à 2020, la ville de Paris a retenu 209 projets de verdissement de la capitale, en 2015, suite au lancement de son appel à propositions à la destination des habitants : “Du vert près de chez moi”. Parmi les projets retenus, ce sont plusieurs traitements paysagers tels que des jardinières, des murs végétalisés ou des plantations d’arbres qui participent à verdir la ville.
A l’étranger, de multiples projets de végétalisation du milieu urbain voient également le jour. Grandiose, la fresque murale végétale de Kaohsiung City à Taiwan s’étend sur 2,5 km de long. Elle représente un coucher de soleil sur le mur de l’entreprise qui a lancé le projet Cleanaway Co Ltd. A Montréal, ce sont les ruelles vertes qui sont privilégiées, avec environ 230 ruelles reverdies sur les 400 ruelles existantes, soit l’équivalent de 46 km.
Diverses manières de verdir les villes (rangée d’arbres, mur végétal, végétalisation des sols) via unsplash
La Chine, grande concernée par la pollution de l’air voit de nombreux projets de végétalisations. Deux tours végétales ont poussé à Nanjing parées de 23 espèces d’arbres 2 500 arbustes visant à absorber 25 tonnes de CO2 et produire 60 kilos d’oxygène par jour. A terme, l’architecte, Stefano Boeri, qui n’en est pas à son premier coup d’essai, souhaite créer une ville forêt pour lutter contre la pollution.
L’architecture, le design et les matériaux au secours de la qualité de l’air
Pour compléter la végétalisation des villes, des constructions innovantes sont imaginées à l’aide de matériaux et techniques architecturales qui absorbent la pollution de l’air. Une architecture s’est doté d’une façade nettoyante de 100 mètres conçue par l’agence Elegant Embellishements sur le bâtiment de l’hôpital Torres de Especialidades, au Mexique. Composé de dioxyde de titane, le mur au contact du soleil transforme les oxydes d’azote en nitrate de calcium, eau et un peu de monoxyde de carbone, des substances moins nocives. Pour optimiser la réaction, l’architecture a été conçue en nid d’abeille afin de ralentir la vitesse du vent et mieux répartir les polluants sur la façade. Les architectes ont souhaité assainir l’air autour de l’hôpital avec une capacité de filtration pour 1000 voitures, mais surtout inciter leurs confrères à produire des architectures anti-pollution.
Les matériaux ont un rôle fondamental dans la réduction de la pollution. Certains sont même dépolluant comme le béton Eco-granit auquel a été incorporé du dioxyde de titane qui permet de transformer des polluants en poudre blanche inoffensive. Testé à Tarbes, le matériau s’est avéré être efficace avec, par exemple, une production de 64% de dioxyde d’azote en moins que dans une rue dotée de matériaux traditionnels.
La start up allemande Green City Solution propose une solution dotée de nouvelles technologie, City Treen, un mobilier urbain qui absorbe la pollution comme 275 arbres pourraient le faire. Implanté à Londres, l’objet prend la forme d’un banc surmonté d’un mur végétal de mousses auto alimenté par un système de récupération des eaux de pluie. Les solutions innovantes de ce genre peuvent être adaptées dans les milieux urbains denses.
L’organisation des grandes villes influe donc sur les émissions de pollution qui ont un impact négatif à la fois sur la santé physique et mentale des habitants et sur le fonctionnement journalier des milieux urbains. Pour y remédier, il faut repenser l’organisation de la cité, tournée autour du trafic routier, premier émetteur de polluants. Les mesures restrictives et incitatives menées par certaines villes participent à changer progressivement les modes de déplacement. Mais parvenir à cette refonte urbaine demande du temps, c’est pourquoi les solutions innovantes visant le retour de la nature en ville et la purification de l’air, indispensables pour accompagner cette réappropriation de l’urbain.
Si le Pakistan, un pays en développement, prend à bras le corps l’enjeu de la pollution, certains pays émergents, très émetteurs comme l’Inde peinent à traiter ce défi sanitaire, ayant aussi d’autres défis d’ampleur. Ce contraste interroge sur le devenir de certaines grandes villes déjà très polluées dont l’urbanisation ne cesse de croître pour répondre aux besoins démographiques… Espérons que la pollution ne devienne le mal du siècle.