Depuis les années 2000, on parle de “crise migratoire” ou de “crise des migrants” en Europe. Ce terme désigne une forte augmentation d’arrivée de migrants au sein de l’Union européenne. Un phénomène qui s’est particulièrement accéléré dans les années 2010, notamment avec l’arrivée d’un million de réfugiés syriens dans l’espace Schengen. Dans cette situation inédite, les villes européennes se retrouvent en première ligne dans la gestion et l’accueil des migrants. Elles adoptent cependant des politiques et des stratégies très diverses. En France, quelle est la politique des villes dans l’accueil des migrants ? Qui sont-ils et à quelles réalités sont-ils confrontés ?
Qui sont les migrants et quels sont leurs statuts juridiques ?
Dans le monde, on estime à 244 millions le nombre de migrants et migrantes. Parmi eux, 7,9 millions étaient des enfants ou adolescents de moins de 19 ans en 2019 (soit environ 15%), et environ 50% étaient des femmes, contrairement aux idées reçues.
Dans la juridiction internationale, une vraie difficulté se pose à définir le statut du migrant. C’est d’ailleurs une difficulté qui se traduit dans le langage commun : on a tendance à employer le terme générique de “migrants” pour désigner l’ensemble complexe formé par les demandeurs d’asile, les réfugiés ou les populations étrangères ayant quitté leur pays, celles, précisément, que l’on nomme le plus souvent “migrantes”. Il faut dire que le flou laissé par la plupart des définitions du mot migrant a du mal à éclairer ces confusions. Pour les Nations Unies par exemple, est migrante : « toute personne qui a résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les causes, volontaires ou involontaires, du mouvement, et quels que soient les moyens, réguliers ou irréguliers, utilisés pour migrer ». Un flou volontaire qui permet d’intégrer la multitude de profils qu’englobe le terme de migrant au sens commun du terme.
En revanche, les termes de réfugiés et de demandeurs d’asile sont bien plus clairs. Le statut de réfugié a notamment été défini par les conventions de Genève, au nombre de 4, qui fixent les fondements du droit humanitaire international. A leur sens, le réfugié est défini comme l’émigration d’une personne qui fuit – ou est obligée à fuir- son pays par crainte de persécutions, de violences, ou dans d’autres circonstances particulières comme le déclenchement d’une guerre au sein de son pays. L’article premier A2 de la première convention de Genève (28 juillet 1951) donne ainsi le statut de réfugié «à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner». Ils représentent 10% des migrants mondiaux en 2015. En France, les réfugiés sont mis sous protection de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) après décision de la Cour nationale du droit d’asile, et bénéficient du droit d’asile et d’une carte de résident français, valable 10 ans. Tous les réfugiés ont été demandeurs d’asile avant d’obtenir leur statut de réfugié. En revanche tout demandeur d’asile n’obtient pas forcément le statut de réfugié et l’accès facilité à des droits fondamentaux comme l’hébergement.
Une dernière catégorie juridique, peut être un peu moins connue est celle de la protection subsidiaire, qui est «accordé[e] à toute personne dont la situation ne répond pas à la définition du statut de réfugié mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves suivantes définies par le Ceseda : la peine de mort ou une exécution, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, pour des civils, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne ou international.». Ce statut permet de bénéficier d’une carte de séjour d’une durée maximale de 4 ans.
Camp de réfugiés à Gaziantep en Turquie ©Photo Savas Bozkaya//Getty Images
L’on voit donc qu’en France, les raisons du départ du migrant influencent beaucoup la manière dont ils sont accueillis et accompagnés par la suite, aussi bien par les pouvoirs publics que par les populations du pays d’accueil. En Europe, ce sont principalement les villes qui se retrouvent en première ligne dans l’accueil des migrants. Les politiques d’accueil y sont très divergentes. L’on peut dire que dans l’ensemble, les pays d’Union Européenne ont été confrontés rapidement et massivement à une question nécessitant la création de nouveaux modèles de gestion et d’intégration des nouveaux arrivants.
De manière générale, la définition et l’application des politiques d’immigration sont menées exclusivement par les Etats. En France, les compétences au sujet de l’immigration et de l’octroi d’asile sont ainsi régaliennes. La politique migratoire est définie par le ministère de l’Intérieur, chargé de l’asile, en consultation avec le ministre du logement et des affaires sociales. C’est le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile, établi par ce dernier, qui détermine notamment la répartition sur le territoire des demandeurs d’asile. Un schéma qui a principalement pour objectif de “limiter la création de nouveaux campements de migrants » comme on a pu voir à Calais ou dans d’autres villes de France.
Quelle est donc la place des collectivités locales dans l’accueil des migrants en ville ?
Le rôle des collectivités locales est précisé dans le Ceseda, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les collectivités locales ne jouent en principe qu’un rôle “marginal” dans la conception des politiques migratoires. Elles reçoivent d’en haut les objectifs d’hébergement par région, auxquels elles répondent avec l’aide financière des DDCS (directions départementales de la cohésion sociale) pour établir, cette fois-ci, des schémas régionaux d’accueil de demandeurs d’asile. Schémas qui font ensuite l’objet d’appels à projets, autour du logement comme de l’accompagnement des demandeurs d’asile.
En revanche, sur le terrain, les collectivités ont un rôle fondamental dans la mise en place des directives nationales, voire elles mettent parfois en place des initiatives locales pour garantir à tous un accueil digne. En mars 2017, lors du congrès des pouvoirs locaux et régionaux du conseil de l’Europe, certaines collectivités territoriales ont ainsi déclaré “qu”il était de la responsabilité des collectivités locales de s’assurer que les droits humains fondamentaux des réfugiés arrivant dans leurs communautés sont préservés”. En effet, les collectivités locales, et particulièrement les villes, sont en première ligne dans la mise en place des directives d’Etat. Ce sont dans les villes que les demandeurs d’asile font le plus souvent leurs démarches administratives, cherchent un emploi ou encore un logement. Dans les villes frontalières, ce rôle est tout particulièrement renforcé. Lieux de transit, de passage, parfois centres d’hébergement, elles sont souvent plus souvent confrontées à l’accueil et l’intégration des demandeurs d’asile sur leurs territoires. Les municipalités jouent notamment un rôle très important dans l’accompagnement social, dans la recherche d’emploi et de logement au sein de leurs communes.
Aylan Kurdi. Peinture murale de 120 mètres carrés par Justus Becker et Oguz Sen à Francfort ©Frank C. Müller via Wikipédia
En 2015, le drame de la mort d’Aylan, un enfant de 4 ans retrouvé noyé sur une plage de Bodrum, en Turquie, fait le tour du monde et ranime le débat autour de l’accueil de réfugiés. Depuis cette date, les collectivités locales qui souhaitent s’engager de manière volontaire dans l’accueil de migrants peuvent intégrer à leurs politiques de la ville un volet dédié à ce sujet. Elles sont invitées à créer des bâtiments destinées à l’accueil de migrants, à construire des logements pérennes pour les réfugiés, et à proposer des services d’accompagnement sociaux. Si les marges de manœuvre des communes restent assez limitées à ces trois axes, certaines n’hésitent pas pour autant à s’appuyer sur le droit international, engageant, qui stipule un droit pour chacun à un habitat digne, à l’accès à la santé, à la culture, à l’alimentation… Pour Jean Marie Bockel, ancien sénateur du haut Rhin, « l’accueil constitue une compétence de fait” pour les municipalités, “même si elle n’est pas une compétence de droit”.
Invisibilité, rejet, insertion et intégration en ville… Tout cela se traduit aussi géographiquement !
Malgré les politiques publiques menées par l’Etat et les collectivités locales, l’intégration en ville des migrants et demandeurs d’asile reste très complexe.
D’un point de vue social, déjà, la perte complète de repères, parfois d’identité, isolement social, confrontation à une culture et à une langue différente auxquelles il faut se conformer, posent déjà de lourds problèmes. Premièrement pour s’intégrer et retrouver une place dans un univers inconnu, mais aussi car l’étranger est souvent confronté à un rejet de la part des populations locales, pour diverses raisons plus ou moins personnelles. Des raisons qui peuvent notamment être liées à l’ethnicisation et la racialisation des migrants, membres de minorités ethniques dans le pays d’accueil. Un phénomène qu’évoquent Fatiha Belmessous et Elise Roche, dans Accueillir, insérer, intégrer les migrants à la ville (2018), où elles expliquent que “l’acceptation de l’Autre interroge directement le groupe ethnique et sa capacité (ou son incapacité) à être intégré dans la société. Ainsi, le groupe est altérisé, c’est-à-dire qu’il est différencié du « nous » national.” L’acceptation sociale du migrant est donc plus ou moins facile en ville.
D’un point de vue administratif et économique également : difficultés à obtenir des papiers, longueur des procédures, mais aussi complications dans la recherche d’un logement, qu’elles soient financières ou administratives, comme le manque de cautions solidaires par exemple, ou d’un emploi (perte des diplômes, ou manque d’équivalence dans le pays d’accueil, méfiance…). Du fait de ces difficultés, la plupart des migrants se retrouvent à la rue, sans logement. Un processus de marginalisation géographique qui, en cercle vicieux, complique l’intégration sociale, culturelle, économique… Un phénomène que l’on observe facilement à travers l’ampleur des habitats informels dans nos villes : bidonvilles ou campements. Pour ne citer qu’un exemple, le campement d’Aubervilliers, évacué en juillet 2020, comptait entre 1500 et 2000 migrants, logés dans des habitats de fortune : tentes, cartons, matériaux de récupération… Ces derniers ont été évacués dans des gymnases et autres centres d’hébergement en Ile de France. Une première solution, qui reste la plupart du temps malheureusement temporaire. « C’est un cycle infernal » témoigne un membre de l’association d’aide aux migrants Utopia 56 pour Le Parisien, à propos des démantèlements répétitifs. Le migrant est souvent confronté à une forme d’hyper-mobilité dans l’espace urbain.
“Les migrants n’ont de cesse de circuler au sein d’une mosaïque de lieux, au sein desquels le logement est l’un des points de repère parmi d’autres (lieux d’emploi, lieux associatifs, lieux de soins, école des enfants)”
Fatiha Belmessous et Elise Roche, 2018).
Il est intéressant de voir que toutes ces difficultés se traduisent d’un point de vue géographique dans l’espace urbain. Ainsi, le migrant est souvent invisibilisé de l’espace public, volontairement ou involontairement (Fatiha Belmessous et Elise Roche, 2018). L’invisibilisation “subie” prend plusieurs formes. Il peut par exemple s’agir d’une stratégie de « dilution » des ménages migrants dans la ville (Brault et al. ; Desille), afin de les rendre moins visibles, ou au contraire d’une véritable relégation dans les marges voire la périphérie de la ville. Mais l’invisibilisation du migrant en ville n’est pas toujours subie, elle peut également être choisie par le migrant, comme l’expliquent Brault et al., El Khouri et al., et Véniat dans Migrants et accès à la ville (2018). Une stratégie d’intégration, ou liée à “l’omniprésence de processus informels qui se nichent dans les pratiques d’entraide, qu’il s’agisse d’hébergement non institutionnel (Dahdah et al. ou Brault et al.), ou de soutiens pour faire face à des besoins ponctuels (Torres Perez et al., ou Véniat).”
Globalement, on voit qu’il existe une forme de “cartographie” du migrant en ville : il existe des lieux de non-accès (Fatiha Belmessous et Elise Roche, 2018), qui correspondent souvent à une volonté de marginalisation du migrant. Si ce constat est assez pessimiste, il faut toutefois souligner que de très nombreuses associations, citoyens, collectivités œuvrent aujourd’hui pour faciliter l’accueil et l’intégration des migrants en ville. De nombreux projets solidaires ont d ‘ailleurs porté leurs fruits ces dernières années, prouvant qu’une amélioration des conditions d’accueil et de vie des migrants était possible.
Des associations, des collectifs, des particuliers très impliqués
Certaines collectivités locales se sont particulièrement impliquées dans des projets en faveur de l’accueil et de l’intégration des migrants. C’est par exemple le cas du réseau de communes #villesetterritoiresaccueillants, créé il y a quelques années pour coordonner les actions et stimuler l’intelligence collective autour de ces sujets entre les villes membres : Grenoble, Grande-Synthe Grenoble Lyon – 1er arrondissement, Ivry sur seine, Montreuil, Briançon, Nantes, Strasbourg, Saint Denis. Mais, dans les acteurs les plus dynamiques dans l’accompagnement et l’aide aux migrants, on retrouve avant tout des collectifs, des associations et des citoyens. De plus en plus de projets urbains, qu’ils soient d’initiative citoyenne ou autre, portent cet objectif d’accueillir et favoriser l’intégration de migrants au sein de la ville.
Manifestation sur la place fédérale de Suisse 10.10.2020 Berne – Photo Mortaza Shahed via Unsplash
Un des exemples les plus marquants et inspirants est sans doute celui mené par l’association Aurore sur le site des Grands Voisins, à Paris. A partir de 2018, un accueil de jour destiné aux demandeurs d’asile, de sexe masculin et à la rue, à ouvert sur le site. Le tiers lieux accueillait jusqu’à 125 personnes par jour, sur les centaines faisant la queue dehors tous les jours. Ce centre permettait notamment aux migrants d’accéder à des services d’aides dans leurs démarches administratives: recherche de logement (CAES) et de travail, mais aussi de se restaurer, de laver leurs vêtements, d’accéder à du matériel informatique, de prendre des cours de français, de participer à des ateliers créatifs… De sa création à la fermeture du site, en septembre dernier, près de 46 000 entrées ont été comptabilisées au sein de l’accueil de jour ! L’association, qui est loin d’être la seule à travailler sur ces sujets, a ouvert un nouveau site d’accueil de migrants et de familles migrantes, cette fois de nuit, au sein de la Caserne Exelmans à Paris. 250 demandeurs d’asile ou réfugiés y sont accueillis à l’année, et accompagnés dans leurs démarches personnelles : juridiques, administratives, professionnelles.
A Nantes, c’est au sein de l’association L’Autre Cantine que s’activent des centaines de bénévoles pour préparer des repas pour les migrants. Plus de 300 repas sont ainsi distribués gratuitement tous les jours par l’association, même en temps de confinement. D’ordinaire, un accueil de jour est aussi proposé par l’association, mais les mesures sanitaires ont obligé à fermer ce dernier le temps du confinement. D’autres associations, elles, se focalisent plutôt sur la création de liens interculturels, et permettent aux migrants d’apprendre le français, voire à leur tour de transmettre leur culture et leurs langues. Causons, par exemple, est une association solidaire dont tous les professeurs de langue sont issus de l’immigration. Ces derniers obtiennent un travail à temps partiel et sont rémunérés, une manière intelligente d’exploiter ce qui pourrait être une barrière sociale ! Causons a d’ailleurs récemment été récompensée lors du trophée parisien de l’économie sociale et solidaire.
Des tiers lieux à des associations, des services à la personne à la distribution de biens de première nécessité… Les initiatives au sein de nos villes sont extrêmement variées, et l’on peut saluer le travail engagé et sans relâche des très nombreuses associations, collectivités et citoyens qui œuvrent chaque jour à créer une ville plus inclusive. Alors, bien sûr, le chemin reste long à parcourir, et l’intégration des migrants n’est pas toujours aussi simple qu’on pourrait l’imaginer ou le souhaiter. Une partie de la difficulté repose entre autres sur le débordement auxquels font face les pays européens face à l’afflux conséquent de migrants. Une situation complexe, qui ne trouve pas de “solution miracle”. Entre utopie et réalité, certains territoires ou associations sont d’ailleurs parfois obligés de faire des compromis. Dans l’ensemble, l’on peut retenir que “l’intégration des migrants progresse partout en Europe, mais lentement” (Jack Parrock pour Euronews).
Photo de couverture Ra Dragon via Unsplash