Depuis les années 1960, la généralisation des congés payés et la croissance du pouvoir d’achat des pays industrialisés, le tourisme de masse se développe, et avec lui, le regroupement de la majorité des voyageurs sur les mêmes territoires. Car le marketing territorial et l’imaginaire collectif se sont emparés de quelques lieux pour en faire des destinations incontournables. Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme, près de 95% des touristes mondiaux se concentrent sur moins de 5% des terres émergées. Aujourd’hui on parle même de surtourisme, un nouveau terme qui émerge pour qualifier la surfréquentation de nombreux sites touristiques, et la saturation réelle ou perçue de certains espaces. 

Un tourisme enrichissant mais à quel prix ? 

Ce phénomène modifie la vie de quartier et l’ambiance générale d’une ville. La surfréquentation et la surconsommation ont effectivement tendance à rendre un territoire moins agréable à vivre et cela peut fortement impacter les interactions sociales entre touristes et locaux. 

Le très fréquenté Shibuya Crossing à Tokyo, Japon // Crédit photo ©Timo Volz on Unsplash

Plus que leur concentration à un même endroit, c’est aussi les comportements, voire les incivilités de certaines personnes qui dégradent l’atmosphère ambiante. De nombreux incidents se produisent chaque année dans les destinations de vacances les plus prisées, principalement les grandes villes, et ne cessent d’empiéter sur le quotidien des locaux. À Barcelone, toute l’année des étrangers viennent profiter du climat de fête qui y règne, et mettent entre parenthèses, le temps de leur voyage, les règles civiques qui façonnent la vie en communauté. Les espagnols parlent de “tourisme à cuite” et n’en peuvent plus de retrouver la Barceloneta, le quartier de la plage, recouvert de bouteilles et canettes vides chaque matin. Même problématique pour les habitants d’Amsterdam qui assistent tous les jours à l’arrivée de jeunes venus pour une seule chose : les coffee shops. Cela dégrade l’ambiance générale pour les habitants qui subissent ce type de nuisances au quotidien. 

Pour toutes ces raisons les locaux touchés par ce phénomène sont en train de développer une sorte de “tourismophobie” et multiplient les manifestations et marches anti-touristes. Principalement dans les pays européens, des associations d’habitants se forment pour lutter contre les nuisances qu’entraîne le tourisme de masse. Du collectif qui distribue des tracts contre les touristes sur le port d’Ajaccio, au crevage de pneus des voitures de location à Barcelone, les locaux sont bien décidés à reconquérir les territoires de leur vie de tous les jours !

Ces différentes actions résultent aussi d’un autre problème qui touche le quotidien des locaux : la transformation des commerces de proximité qui adaptent leur offre à la demande touristique. Certains quartiers parisiens sont fournis en boutiques de souvenirs, mais ne répondent plus aux besoins et à la consommation journalière des habitants. De même à Berlin, beaucoup d’allemands se plaignent de la disparition progressive des échoppes turques au profit de bars à sushi ou restaurants vegans. L’économie locale est ainsi alimentée par le secteur du tourisme, qui chamboule la ville et la vie des locaux. 

À plus grande échelle, la notoriété d’une ville peut entraîner des difficultés pour se loger, voire le départ forcé d’une partie de la population. C’est le cas à Lisbonne, dans le quartier historique et populaire d’Alfama qui fait face à une spéculation immobilière et une augmentation des loyers sans précédent. Les propriétaires privatisent leurs biens pour le secteur touristique et les locataires sont contraints de partir en périphérie. On le comprend bien, cela pose forcément des problèmes économiques qui touchent malheureusement de plus en plus de quartiers. 

Enfin, en plus de perturber le quotidien des locaux, c’est la ville en elle-même que le tourisme menace. À force de surfréquentation, l’érosion des terres s’accélère, les déchets s’accumulent sur des sites protégés et le patrimoine se détériore. Il y a un réel enjeu environnemental et écologique derrière ce phénomène. C’est d’ailleurs l’une des préoccupations de l’UNESCO : il existe un réel paradoxe entre le fait de classer un site au patrimoine mondial dans le but de le préserver alors même que cela entraîne de facto une fréquentation touristique accrue et donc une fragilisation de celui-ci. 

Les fondations de Venise menacées par le tourisme de masse Crédit photo ©Eugene Zhyvchik via Unsplash

Le tourisme 2.0 : une nouvelle façon de voyager 

Pour répondre à ces préoccupations, continuer à développer et faire rayonner le potentiel des villes sans pour autant les mettre en danger, diverses initiatives locales sont mises en place. De l’augmentation des contraventions pour incivilité à Paris, à l’installation de portiques pour réguler l’afflux des touristes à Venise, en passant par l’interdiction de locations AirBnb dans certains quartiers prisés d’Amsterdam, les politiques publiques s’engagent à rétablir un cadre de vie agréable pour leurs habitants. 

Réguler le tourisme en centre-ville c’est bien, mais faire découvrir les beautés insoupçonnées de nos territoires, c’est mieux ! En France, des villes misent sur la curiosité des voyageurs et sur leur soif d’aventures et de découvertes. C’est ainsi que, loin des grands sites touristiques, des refuges périurbains se sont développés dans la métropole de Bordeaux. Plutôt que de se rendre sur la fameuse Place de la Bourse ou le très à la mode espace Darwin, ces refuges invitent les touristes (ou curieux de la métropole) à vivre une expérience originale et visiter les communes de Bruges ou Le Haillan. Une nouvelle façon d’appréhender le voyage et une idée ingénieuse qui permet de faire connaître la richesse des lieux loin du centre de la métropole. 

Ces phénomènes émergent aussi aujourd’hui grâce à toute une génération de voyageurs qui veulent découvrir les villes autrement. Cette nouvelle demande entraîne le développement d’offres originales, voire parfois insolites, pour visiter un territoire. C’est ainsi que se démocratisent depuis quelques années les walking tours, des circuits majoritairement gratuits qui proposent de parcourir la ville tout en évitant de passer par les lieux reconnus et sur-fréquentés. Certains décident d’arpenter les multitudes de traboules qui sculptent la ville de Lyon, quand d’autres partent à la recherche de toutes les oeuvres de street-art qui décorent Budapest. Plus inattendu, en Croatie, un walking tour propose d’explorer Dubrovnik à travers la ville fictive de Port-Réal de la série Game Of Thrones. Des visites gratuites et écologiques puisqu’elles se font intégralement à pied !

Les trésors cachés de Dubrovnik ©Josh Couch via Unsplash

Un tourisme à consommer avec modération

Finalement, la multiplication des démarches qui visent à réguler le tourisme signifie-t-elle que la solution idéale serait de complètement fermer certaines de nos villes aux voyageurs de quelques jours ? Devons-nous vraiment en arriver là ?

Face à la montée des réseaux sociaux et à la chasse aux photos “instagramables”, l’Organisation Non Gouvernementale WWF a lancé une campagne de protection de l’environnement pour lutter contre le tourisme intensif dans certains lieux grâce à la localisation fictive. Elle incite les influenceurs et autres adeptes des réseaux à ne plus indiquer le lieu dans lequel est pris leur photo paradisiaque, et d’inscrire à la place la mention “I protect nature”, qui indique en réalité le siège de WWF France. Une solution qui peut permettre de limiter l’affluence de touristes, mais également s’apparenter à une démarche de fermeture des territoires aux étrangers… 

Si nous voulons poursuivre ces explorations urbaines, nous devons aujourd’hui construire un tourisme plus collaboratif, intégrer les valeurs de cohésion sociale et respect des lieux dans nos futures voyages, pour ainsi favoriser davantage les interactions entre visiteurs et locaux.

Photo de couverture ©Capturing the human heart via Unsplash