Alors que le 1er mai nous fêtions les travailleurs, nous sautons sur l’occasion pour interroger ce qu’il se cache derrière l’essor de ces nouveaux modes de travail, et comment se reflètent-ils sur notre espace de vie ? Comment accueillir cette révolution en cours ? Révolution des espaces de travail, nous voilà !
Une remise en question du travail sous sa forme traditionnelle
Le travail rythme notre vie quotidienne, occupant une grande partie de notre précieux temps. Ainsi, nos conditions de travail, et notamment le lieu où on le pratique, sont des données importantes qui influent sur santé psychique et physique. En effet, selon une étude de l’IFOP, 40% des français affirme que le bien-être est lié aux conditions de travail. Le fabricant de fournitures de bureau Steelcase, en collaboration avec IPSOS, a également mené une étude dont les résultats montrent que les français sont les moins satisfaits de leur environnement de travail, ce qui influencerait leur engagement et leur efficacité. En effet, 54% des travailleurs français sont désengagés, un pourcentage qui dépasse les autres pays étudiés. Ainsi, on remarque depuis quelques années un essor de bâtiments tertiaires cherchant à proposer aux salariés une expérience de travail différente du format de couloir de bureaux standards.
Les travailleurs souhaitent se libérer d’un système déshumanisé, où ils se sentent seulement le rouage d’une machine hiérarchique complexe, dans le but de chercher alors un plus grand épanouissement personnel dans leur métier. En réaction, on assiste à l’émergence de l’entrepreneuriat et des free-lances, et via ces derniers, de nouvelles formes de travail, notamment plus nomades, se propagent. Pour répondre à ces dernières, nos villes accueillent aujourd’hui toujours plus d’espaces de co-working, elles développent des incubateurs qui accompagnent ces petites entreprises en devenir, mais aussi, de nouveaux lieux qui peuvent accueillir les télétravailleurs, une pratique qui explose du côté des entreprises… En bref, on tente de proposer des espaces d’entre deux où le travailleur se sent comme chez soi : on assiste alors à l’émergence d’espaces flexibles et mixtes, entre travail et loisirs, au cœur des villes.
Des espaces de co-working ouvrent leurs portes aux travailleurs nomades – Crédit photo ©Shridhar Gupta via Unsplash
À la recherche de bien-être, de collaboration et vers une quête de sens
Alors que pendant de nombreuses années, l’open-space a été promu comme l’une des meilleures formes d’aménagement de bureaux, il semble être aujourd’hui décrié. Jugé impersonnel par les travailleurs français, ce dernier, souvent proposé dans les bâtiments de bureaux, manque d’espaces d’intimité. Il est difficile de s’y concentrer et d’y être efficace. En parallèle, le manque de flexibilité lié au travail statique est souligné : les travailleurs ne se sentent pas libres de se mouvoir dans l’entreprise pour accomplir une tâche. Les relations avec les collègues peuvent alors être distantes et le travail d’équipe peu collaboratif. Cela engendre, dans certains cas, une baisse de motivation et d’optimisme au sein des employés.
Ces dernières enquêtes nous montrent que le bien-être, la collaboration et la quête de sens s’invitent au cœur des préoccupations des travailleurs, et que ces derniers sont intimement liés à l’espace dans lequel on travaille. On ne considère plus seulement le temps du travail comme un gagne-pain pour soit et sa famille, mais comme un moment d’épanouissement personnel et professionnel.
Comment atteindre ces aspirations ?
Les quartiers tertiaires manqueraient donc d’âme. Ce sont des morceaux de ville entiers, seulement dédiés au travail, où finalement personne n’habite vraiment. Ils peuvent facilement devenir des enclaves dans la ville, déconnectés du tissu urbain. L’enjeu est alors d’offrir des espaces où il est agréable de travailler, de les penser pour favoriser les échanges et inciter la convivialité. Pour cela, les quartiers tertiaires se diversifient et accueillent des lieux de loisirs (fitness, escape game), de bien-être (coiffeur, salon d’esthétique, yoga) ou encore de restauration pour développer une vie de quartier. Au sein même des bureaux, il est également possible de penser des espaces qui peuvent accueillir des activités en dehors du cadre du travail. De plus en plus d’entreprises aménagent d’ailleurs des cuisines collectives où il est possible de se retrouver entre collègues, ainsi que des espaces de détente et de repos pour se relaxer.
Des éléments qui contribuent au bien-être au travail, en permettant des pauses et une pratique différente de son cadre professionnel. De quoi humaniser et rendre conviviaux les espaces de travail. Cependant, encore faut-il que ce lieu remplisse aussi son rôle primordial, celui de donner un cadre studieux où se sentir bien pour travailler. Il est donc important d’anticiper les usages et volontés de chacun, pour fabriquer à la fois des espaces où il est possible de s’isoler ou d’autres où il est possible de se regrouper. Il est donc pertinent de favoriser la diversité des lieux pour donner une certaine liberté de mouvement aux employés en leur proposant un équilibre entre des lieux adaptés aux travaux de groupe et des lieux adaptés aux tâches individuelles.
Alors, quel quartier tertiaire pour demain ?
Comment faire en sorte que les quartiers tertiaires hier coupés des villes, deviennent des lieux désirés par les habitants et qui les intègrent davantage ? Pour le bien-être de tous, encore faut-il aller au-delà de l’immeuble de bureau et tendre vers des quartiers tertiaires plus intégrés à la ville, pour faire de son lieu de travail non pas une enclave mais un lieu ouvert.
Pour cela, il s’agit de garantir que la mécanique économique du quartier est transparente et participative. Les habitants travailleraient pour leur écosystème local et peuvent suivre les projets de l’amont à l’aval. On considère l’habitant comme « à la bonne place, à la bonne distance » et il aura toujours quelque chose à apporter à la dynamique du quartier. Ils co-construisent une vision économique commune de leur quartier comme le Boston Ujima Project qui a réuni, pendant trois jours, 90 habitants issue des classes ouvrières de communautés de couleur pour discuter et valider des critères pour les entreprises qui recherchent à investir avec le fond du projet qu’ils contrôlent. Par ailleurs, les espaces délaissés du quartier sont réhabilitées pour des expérimentations urbaines comme le font plusieurs acteurs.
Il s’agit alors de permettre aussi de créer un urbanisme sensible au service du travail. A l’intérieur comme à l’extérieur, demain, les quartiers tertiaires parviendront à entremêler des espaces de vie (cafés, restaurants, ateliers, agora…) ouverts à tous, dédiés à échanger avec l’autre, de façon formelle ou informelle. De plus, la conception intérieure et extérieure doit s’adapter aux usages, mais aussi tendre vers des espaces de quiétude autour d’une architecture évoquant les éléments de la nature. L’importance de la luminosité naturelle pour le moral est prouvée et l’utilisation de matériaux comme le bois, la présence d’espaces verts et de l’eau permettent de créer un cadre serein. Des espaces de plénitude, tout aussi importants pour se ressourcer et/ou se concentrer, car faire vagabonder son esprit par de micros pauses permet aux idées de se développer et de grandir.
L’ajout de mobiliers confortables permet des échanges informelles souvent nécessaire au bien-être des travailleurs – Crédit photo ©Eloise Ambursley via Unsplash
Demain, l’espace de travail pourra être parfaitement intégrer dans un bâtiment d’habitat, avec le déploiement d’espaces de co-working. Le bâtiment de bureau pourra être aussi un écosystème « tout en un » qui mêlera des espaces de location pour différents types d’entreprises comme des PME, des start-ups, des bureaux individuels ou encore du co-working avec des espaces d’ateliers, une agora pour organiser des évènements, des lieux de restauration et de rencontre, mais aussi des logements ou une école primaire, à l’image de la Shibuya House à Tokyo.
Les quartiers tertiaires seront les lieux de la flexibilité, conçus avec des espaces personnalisables et convertibles qui s’ajustent selon les usages. Des outils numériques permettent d’ailleurs dès aujourd’hui de réserver des salles, de donner accès aux espaces de travail libres ou occupés pour une autogestion flexible. Ainsi, il sera d’autant plus possible de favoriser une diversité des activités et des usages à toutes les échelles. Du bâtiment au quartier, en passant par la rue tout s’imbrique. Dynamique, flexible, fluide et malléable, le bâtiment tertiaire de demain répondra à tous les défis pour le bien-être des travailleurs.
Le quartier économique de demain tendra aussi vers la ville productive, avec un retour de l’artisanat et des fabriques, dans une approche citoyenne et numérique. Véritable Fab city, l’émergence du travail manuel pourrait bien rendre nos villes plus autonomes et durables, avec le développement de savoir-faire essentiels pour faire du local une échelle de production toujours plus forte et tangible. La nature en ville pourrait bien aussi bouleverser ces quartiers souvent associés à des espaces très minéralisés. Le développement de jardins partagés ou de ruches pour les salariés, comme activité, mais aussi l’intégration de la nature, comme cadre de travail apaisant, changeront progressivement l’image des quartiers tertiaires. Des transformations qui présagent un renouveau très diversifié pour les quartiers d’affaires, les zones économiques et les bâtiments tertiaires de nos villes.
Crédit photo de couverture ©Annie Spratt via Unsplash