Pour une majorité des populations urbaines, les activités quotidiennes se déroulent du lever au coucher du soleil. Quelques sorties nocturnes nous permettent tout de même d’aborder la vie et la ville de nuit. Pour d’autres, travailleurs et travailleuses d’un secteur particulier, ou habitants et habitantes de certaines régions, le rythme quotidien s’adapte à celui des nuits et du cycle solaire.
En ces périodes de mutation sociétale, climatique et économique, quel est l’avenir de nos villes ? Devrons nous bientôt nous acclimater à la nuit et transformer nos modes de vie ? Et par conséquent, la manière dont nous aménageons nos villes ? Quels territoires s’adaptent d’ores et déjà à cette problématique ?
Changer nos modes de vie pour s’adapter au dérèglement climatique ?
Au cours des dernières décennies, de nombreux rapports du GIEC, de l’OMM et de spécialistes nous alertent sur le dérèglement climatique et la hausse constante des températures. Nous le constatons chacun à notre échelle. Des épisodes climatiques extrêmes s’intensifient, avec notamment des fortes chaleurs, ce qui nous incite à transformer peu à peu nos villes et nos modes de vie pour s’y adapter.
Nous modifions progressivement nos habitudes de consommation, de mobilité et transformons également l’aménagement de nos espaces urbains. Cette année, les épisodes de canicule ont particulièrement été ressentis en ville. En effet, l’aménagement des villes, l’omniprésence de béton, la densité de logements ou le manque d’espaces verts créent des microclimats artificiels dans nos villes, nommés îlots de chaleur urbain, qui entraînent une élévation localisée des températures.
Ce qui a notamment conduit certains organismes privés et publics à proposer à leurs salariés un aménagement de leur temps de travail. Bien que la loi ne prévoit encore aucune disposition permettant aux salariés de ne pas se rendre sur leur lieu de travail en cas de forte chaleur, les employeurs se doivent de prendre les mesures nécessaires pour garantir leur santé et leur sécurité au travail.
C’est pourquoi, face à ce constat évident que les fortes chaleurs ont un réel impact sur notre santé et notre aptitude à travailler, certains organismes ont par exemple proposé un décalage ponctuel des horaires de travail, ou une augmentation de la fréquence des pauses. À l’avenir, si ces épisodes se multiplient, nous serons peut être amenés dans certains territoires à repenser notre système économique et nos habitudes de travail, pour adapter nos horaires et travailler davantage en matinée ou en soirée, afin d’éviter la pénibilité de chaleurs extrêmes.
Aux Etats-Unis, cette démarche est d’ailleurs déjà mise en place ! En Arizona à Phoenix, les températures en plein été peuvent parfois atteindre les 50 degrés. Les conditions de travail des habitants sont par conséquent fortement impactées. Principalement dans le domaine de la construction, certaines entreprises proposent à leurs ouvriers de modifier leur rythme et de travailler la nuit. Ainsi, la ville s’anime quand le soleil se couche et les “journées” de travail débutent à partir de 22 heures, voire 1 heure du matin pour d’autres organismes.
Et les travailleurs ne sont pas les seuls citoyens à redéfinir un nouveau rythme de vie. Les familles décalent leurs habitudes et attendent le coucher de soleil pour emmener les enfants jouer dans un parc, les sportifs également pratiquent leur activité de nuit. À Phoenix, même les horaires du Zoo ont été modifiées afin de préserver les visiteurs, et surtout les animaux, de la chaleur écrasante des journées d’été. C’est toute la ville qui se métamorphose, et les dynamiques urbaines qui s’adaptent à un nouveau rythme nocturne. Et ce fonctionnement pourrait être le futur pour certaines villes atteintes par de tels épisodes …
Crédit photo ©Jezael Melgoza via Unsplash
Vivre la nuit, le présent de nombreuses villes
Le dérèglement climatique influence forcément la manière dont nous vivons, nous habitons nos territoires, d’autant plus en ville avec le phénomène croissant des îlots de chaleur urbain. Cependant ce n’est pas la seule raison qui incite les populations à s’acclimater à la nuit. Certaines localisations, cultures ou religions participent également à transformer le cadre de vie des urbains, pour un temps défini ou permanent, et par conséquent d’habiter autrement la ville.
L’adaptation à la vie nocturne peut refléter une croyance. Dans le monde entier chaque année est célébré le mois du Ramadan, une période pendant laquelle les musulmans cessent de s’hydrater et de s’alimenter du lever au coucher du soleil. Les territoires qui regroupent une majorité de croyants se métamorphosent ainsi le temps d’un mois. En effet, chaque soir après la rupture du jeûne, c’est toute la ville qui s’anime et une nouvelle énergie qui émerge. Les cafés ouvrent dès la tombée de la nuit, les horaires de repas sont modifiés, le temps de sommeil également, et divers événements festifs sont organisés dans chaque quartier.
Ces différences peuvent également être culturelles. En Espagne par exemple, les journées de travail et les rythmes de vie des citoyens sont assez différents de ce que nous connaissons en France. Une journée type d’un salarié espagnol commence à partir de 9 heures, puis s’interrompt entre 14 et 16 heures pour la pause déjeuner, et reprend généralement jusqu’à 20 heures. La majorité des commerces restent également ouverts jusque tard dans la soirée, mais ferment une partie de l’après-midi. Cela relève notamment de l’histoire du pays, et du changement de fuseau horaire en GTM+2, opéré en 1940 pour s’aligner sur le rythme allemand.
D’autres pays sont contraints de s’adapter à un cycle solaire bien plus variable. Au Nord de l’Europe, des villes suédoises, norvégiennes et finlandaises passent en effet une partie de l’année à vivre des journées bien différentes des nôtres ! Les habitants de Stockholm, Oslo ou Helsinki se partagent des hivers sans soleil et des étés sans véritable nuit. Le soleil éclaire ces différentes villes environ 6 heures par jour pendant quelques semaines, et 19 heures pendant quelques autres. Cela modifie considérablement leur quotidien, notamment en termes d’énergie, de santé et de bien-être. Les habitants de ces diverses villes doivent nécessairement trouver un équilibre entre ces périodes de courtes nuits ou journées, afin de continuer à vivre et travailler tout en s’appropriant les espaces urbains différemment à chaque saison.
Plus contraignant encore, certaines régions sont touchées par un phénomène qui les plongent dans une nuit prolongée, la nuit polaire. En Norvège du Nord par exemple, la ville de Tromso, réputée pour ses éblouissantes aurores boréales, est plongée dans une nuit permanente pendant l’hiver. Phénomène qui ne paraît pas impacter le bien-être de ses habitants selon le média Détours qui a publié un article en novembre 2017 dont le titre est “Tromso, la ville où il fait nuit tout l’hiver mais où tout le monde est heureux” !
Tromso – Crédit photo ©Bjørn Are With Andreassen via Unsplash
Alors comment s’adapter à la vie nocturne ?
Et il paraît en effet évident que la priorité pour chacun est bien “d’être heureux”, et cela quelque soit son rythme et celui de sa ville. C’est pourtant une vraie problématique quand la dynamique d’un territoire est dictée par la nuit. Le manque de soleil peut entraîner une perte d’énergie, la lumière artificielle qui éclaire nos espaces urbains en période nocturne a des conséquences néfastes à long terme, et les troubles du sommeil peuvent se multiplier. Parce que vivre la nuit, c’est décaler toute son horloge biologique.
Des innovations voient le jour pour animer l’espace public la nuit, comme par exemple le mobilier urbain lumineux qui vient transformer les lieux, instaurant une atmosphère sécurisante. À Montréal au Canada, ville touchée par le phénomène de l’augmentation de la durée des nuits en hiver, a lieu chaque année un concours de Luminothérapie pour le Quartier des spectacles. En 2016, c’est le projet LOOP, une installation luminocinétique et sonore qui a remporté la compétition. Les roues de 2m de diamètres scintillantes proposaient une expérience interactive et immersive multisensorielle qui a suscité une attractivité non négligeable pour de nombreux curieux. Autre exemple, le projet Luciole de Carola Moujan, présenté au Lyon City Design, utilise des bandes lumineuses de fibre optique pour proposer un mobilier urbain poétique et rassurant, à la forme d’un cocon, pour expérience interactive. Les possibilités sont infinies.
Cependant, cela pose aussi la question de la ressource en énergie pour de telles installations, surtout si elles sont vouées à devenir la norme dans certaines villes. Bonne nouvelle, des innovations sont en cours de développement pour permettre à nos villes de devenir plus résilientes et de s’acclimater plus facilement à la vie nocturne. La startup Glowee a récemment présenté à la ville de Rambouillet son invention : l’éclairage vivant. À partir de bactéries marines, la lumière créée est totalement naturelle et permet pour l’instant d’éclairer le mobilier urbain, et pourquoi pas à l’avenir de remplacer (ou compléter) les éclairages publics artificiels. Après cinq années de recherche et de développement, Glowee a finalisé sa biotechnologie et conçu un système de bioluminescence qui intéresse de nombreuses autres villes mondiales. Cette innovation pourrait à termes permettre d’illuminer des bus, des panneaux publicitaires, des magasins, et d’avoir un impact considérable sur l’environnement en proposant une solution durable permettant une économie conséquente d’énergie. En espérant que cette solution parviendra à des résultats concluants.
De nombreuses autres recherches sont en cours afin de limiter les consommations énergétiques des villes, et les innovations pour utiliser par exemple l’énergie solaire la nuit se développent. De plus, de nouveaux réseaux d’éclairages intelligents apparaissent, et certains utilisent des systèmes économes en énergie tel que des LEDs qui s’éclairent à pleine puissance seulement lorsqu’ils détectent un piéton ou un véhicule.
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Des problématiques sur lesquelles il semble donc crucial de s’attarder, afin de construire les villes de demain et des territoires adaptés à un potentiel nouveau rythme de vie, ainsi qu’à de nouvelles dynamiques nocturnes. Alors que la vie nocturne est aujourd’hui principalement associée au repos, mais aussi aux festivités et à l’insécurité, demain, elle pourrait bien changer de visage pour devenir un moment commun de la vie urbaine. Les villes sauront-elles investir dans une urbanité nocturne, afin de faire de la contrainte une nouvelle richesse ?
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