Les villes du monde face à la pénurie d’eau
D’après une étude publiée en janvier 2018 par la revue anglaise Nature, la demande des villes en eau pourrait augmenter de 80% d’ici 2050. Parmi les raisons explicatives, on retrouve la forte croissance démographique urbaine et les effets liés au changement climatique comme la sécheresse. Ces 60 dernières années, la consommation en eau a presque quadruplé dans le monde, et cette tendance n’est clairement pas à la baisse. Parmi les dix villes qui devraient être les plus touchées, on retrouve Los Angeles, Jaipur, San Diego, Porto Alegre… au sein des pays les moins riches comme les plus riches.
Vue aérienne de Los Angeles, ©Tuxyso via Wikipedia
Par ailleurs, les besoins en termes d’agriculture pourraient fortement concurrencer ceux des villes, et des choix devront être fait pour faire face à la sécheresse, comme c’est déjà le cas aux États-Unis et en Asie du Sud-Est. Bien que le réchauffement climatique participe à l’effet de sécheresse par le phénomène d’évaporation de l’eau en zone aride, les zones pluvieuses sont également concernées : les précipitations, de par l’imperméabilisation des sols, ne parviennent plus à s’infiltrer dans le sol pour atteindre les nappes souterraines, qui s’amenuisent considérablement et engendrant de réelles difficultés pour l’agriculture. Aussi, la pollution des eaux contribue largement à raréfier la ressource, comme à Bangalore en Inde par exemple.
Lors d’un entretien avec Vazken Andreassian, hydrologue à l’Institut national de recherche et en Sciences et technologie pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) publié par TV5 Monde, on se rend compte que la fragilité dans la résolution de cette crise réside tout d’abord dans la complexité à transporter cet or bleu. Les grandes villes d’Australie, par exemple, ont connu une pénurie de 1998 à 2010, la Millenium Drought. Les autorités ont alors dû construire des stations de désalinisation en urgence, ne pouvant être approvisionnées d’une autre manière. Concernant la concurrence agriculture/ villes dans l’accès à la ressource, on peut citer le cas des États-Unis, où la ville tentaculaire de Los Angeles avait totalement asséché les campagnes environnantes. Son développement au début des années 1900 a nécessité un acheminement en eau venant du Colorado ainsi que des montagnes environnantes, via un aqueduc. Cela a eu pour effet de totalement bloquer le secteur agricole alentour qui a désormais déserté suite à la vente des agriculteurs de leurs terres.
Le Lac Hume en Australie, 2007 ©Tim J Keegan via Flickr
Cette situation s’est également produite dans de grandes agglomérations en milieu sec. Parmi les solutions à envisager pour prévenir ces évènements, on peut citer à nouveau l’exemple de la ville du Cap en Afrique du Sud, où la rationalisation dont on parlait a permis de verrouiller un tiers de la ressource en eau disponible pour le secteur agricole. Les eaux d’épuration peuvent également être mises à contribution, plutôt que d’être directement rejetées dans la mer comme c’est le cas actuellement. En bref, une réflexion globale autour du mode de production et de consommation, tous secteurs compris, est à envisager. En France notamment, sur un réseau d’approvisionnement rentable et effectif, les pertes en eau s’élèvent à près de 25%.
En France, des villes en proie au même défi
En 2019, la juriste Florence Denier-Pasquier, spécialiste du droit à l’eau, annonçait : “il faut dès à présent se préparer” aux effets des épisodes longs de sécheresse, phénomène en proie de croître avec le changement climatique. Il est fort probable qu’on connaisse un day zero en France, comme cela est arrivé dans la ville du Cap. En effet, la région connaît une crise hydrique depuis 2015, et en 2018 la ville a mis en place un plan d’action en prévision du “jour zéro”, jour prévu où le niveau des réservoirs tombe à un seuil critique. La ville du Cap a ainsi été la première dans l’histoire de notre civilisation à manquer d’eau.
Parmi les mesures prises, on peut compter la rationalisation des consommations des ménages de plus de moitié, en attendant que les réservoirs retrouvent une capacité de 85%, garante d’une résilience. Finalement, les pluies de 2020 ont appuyé le bon déroulement de la gestion de crise. Cet évènement, encore peu anodin dans nos sociétés occidentales, est néanmoins à prévoir. En effet, en 2006, l’agglomération de Niort n’est pas passée loin du “day zero”, entraînant la nécessité de restrictions et distributions d’eau, et une remise en cause du fonctionnement des services d’eau. Désormais, ces services urbains font office d’exemple, en ayant réussi à diminuer de près de moitié leur consommation d’eau, d’une part en menant une vraie politique publique de chasse des fuites, et d’autre part en incitant leurs habitants à la sobriété.
Niort ©dynamosquito via Wikipedia
La France, qui paraît être un pays peu exposé aux problèmes de sécheresse de par ses nombreux fleuves et rivières, est en réalité en déficit structurel sur près d’un tiers du territoire, et notamment dans le Sud-Ouest. Bien qu’il s’agisse d’une ressource qui semble abondante et inépuisable, elle est en réalité très fragile : une augmentation de température de 1 degré entraîne une augmentation dans l’air de 7% d’eau, au lieu d’être stockée dans les sols. Pour cela, le rôle des citoyens n’est pas à minimiser, et certaines villes l’ont déjà bien compris. À Nice par exemple, une tarification progressive a été mise en place sur les factures des particuliers, ayant des effets significatifs sur la consommation globale de la commune. Néanmoins, les foyers avec piscine ont quant à eux augmenté, ce qui interroge sur le rapport de solidarité à instaurer pour cette ressource vitale. Par ailleurs, la France arrive en deuxième place par rapport à son nombre de bassin parhabitant, derrière les Etats-Unis. Cela implique également de s’interroger sur le développement de zones touristiques qui demandent de grandes quantités d’eau au moment où le territoire est le plus vulnérable : en été.
Les écoquartiers en pointe dans le maintien des zones humides
Le Cerema a publié en mars 2020 son rapport concernant le développement des écoquartiers en France et la prise en compte des milieux humides dans l’aménagement. Ce rapport répond à un besoin et une demande de préservation de la biodiversité, à celui de prise en compte du besoin de nature des citoyens, aux risques d’inondation dû à l’imperméabilisation des sols, et enfin à la nécessité d’ améliorer la qualité et disponibilité de l’eau en vue d’une sécheresse. Le but est ainsi de sensibiliser les collectivités à une meilleure intégration dans le territoire des milieux humides de toute sorte, afin de répondre “à des impératifs écologiques et à des défis urbains spécifiques”.
La Conférence de Ramsar (1976) a permis de prendre conscience du déclin marquant des zones humides dans le monde et de l’urgence pour les États de s’engager en faveur de leur protection, en mettant en évidence leurs différentes fonctions écosystémiques en milieu urbain. En traduction concrète en projet d’aménagement, cela va se retrouver dans le fait de créer des espaces qui améliorent le cadre de vie, des refuges d’espèces animales et végétales, dans la gestion des eaux pluviales et dans la prise en compte du risque d’inondation.
En effet, valoriser la nature en ville permet de diversifier les formes urbaines et la création d’espaces publics singuliers ; la présente alternée d’eau et de zones sèches va créer une promenade atypique et agréable, où l’on aime s’arrêter pour partager un moment. Par exemple, dans la ZAC des Perrières de La-Chapelle-sur-Erdre, au nord de Nantes, les promeneurs ont accès à de nombreuses connexions qui relient les espaces verts à leurs habitations, et l’humidité du lieu et notamment du bois permet de venir observer batraciens et autres espèces familières.
Dans l’écoquartier d’Andromède, à Blagnac, la création de 70 hectares de surface perméable a notamment permis de préserver la nappe phréatique du site et de maintenir des connexions entre les différents milieux écologiques.
Un projet unique à Beaumont, en Ardèche
Parmi les innovations mises en place pour s’adapter aux changements climatiques et au manque de ressource en eau, on trouve cette ingénieuse idée lancée par la commune de Beaumont, en Ardèche, qui consiste à mettre en place un « réservoir d’eau enterré plein de sable”. En effet, les chaleurs prématurées ont accru la nécessité de trouver des solutions efficaces pour lutter contre la sécheresse. L’été est déjà une saison particulièrement difficile dans cette région, et cette année, le débit de la source alimentant la ville avait déjà baissé de 20% par rapport aux valeurs habituelles au mois de mai.
La canicule de juin ne fait qu’accentuer le problème, et la collectivité avait dû rationaliser l’eau du robinet, présente uniquement sur certaines plages horaires. “On ne veut plus se retrouver dans des situations comme celle-là », avait déclaré Agnès Audibert, maire de la ville. Dans ce contexte, un bassin de 30 mètres de long et 10 de large a été creusé, et se présente comme la première “nappe phréatique artificielle”. Cette technique innovante vient en réalité des romains, qui, il y a 2000 ans, conservaient l’eau dans le sable. Les grains de sable empêchent l’air de circuler entre les particules et évitent ainsi les prolifération de bactéries, comme on aurait dans un réservoir classique.
L’enjeu de la sécheresse est désormais omniprésent dans nos manières d’appréhender les villes, qui se voient obligées d’innover pour relever ce défi d’envergure, en puisant parfois dans des techniques millénaires, plutôt que seulement dans des nouvelles solutions high tech.
Photo de couverture ©ybernardi via Pixabay