C’est un territoire créé pour tous et surtout appropriable par tous, mais aussi, il s’agit de lutter contre les inégalités sociales en proposant des actions concrètes de solidarité et d’inclusion. De l’Etat aux villes, des associations à l’ensemble des acteurs locaux, les échelles d’actions et les domaines sur lesquels agir sont multiples. 

Comment les villes peuvent-elles développer l’action sociale pour réduire les inégalités et réduire efficacement la précarité sociale ? Quelles interactions entre les acteurs de la solidarité et les acteurs de la ville permettent d’agir pour plus d’inclusion des plus démunis aux dynamiques urbaines ? 

En France, deux tiers des personnes pauvres vivent en ville

Un constat souligné il y a un an, en octobre 2018, par le premier rapport sur la pauvreté de l’Observatoire des inégalités. Aujourd’hui, le tableau n’est pas plus rose, avec récemment différents chiffres qui viennent souligner une progression de la pauvreté en France. Ainsi, d’après l’INSEE, en 2018, le taux de pauvreté était de 14,7% de la population française (seuil établi à 60% du revenu médian), ce qui représente 9,3 millions de personnes. 

Parfois invisible, la pauvreté concerne des personnes en grande précarité, nécessitant un toit ou de la nourriture, mais aussi des ménages actifs ayant besoin d’aide pour pouvoir maintenir leur niveau de vie et pour avoir accès à l’ensemble des services essentiels. Le logement, la santé, l’accès à la nourriture ou à l’éducation, sont autant de domaines dans lesquels les inégalités sociales et la pauvreté se manifestent. Et ces inégalités peuvent être d’autant plus marquées selon son lieu de vie et le territoire dans lequel l’on peut vivre. 

La vi(ll)e des plus défavorisés 

Les sans-papiers, les personnes sans-domicile-fixe, ou en grande précarité sociale et  financière, sont des acteurs qui peuvent se sentir exclus en ville. Ils s’approprient l’espace urbain d’une autre manière que la femme active ou le jeune étudiant, et ne fréquentent généralement pas les mêmes lieux. Alors même que certaines villes prennent le parti d’aménager du mobilier urbain anti-SDF, bien heureusement, d’autres font tout l’inverse et expérimentent diverses solutions pour faciliter, à une petite échelle, le quotidien des personnes les plus marginalisées. 

Nous parlons généralement d’urgence et de grande précarité sociale dans deux secteurs : le logement et l’alimentation. La priorité pour une partie de la population est en effet simplement de pouvoir se nourrir et/ou se loger. Et pour répondre à ces enjeux fondamentaux, des actions, des installations éphémères ou permanentes, des bénévoles et des salariés se déploient quotidiennement dans nos territoires, et participent aux dynamiques solidaires urbaines. 

Crédit photo ©Maarten van den Heuvel via Unsplash

Des camions du cœur qui servent des repas gratuits chaque jour, aux restaurants solidaires, comme le Refettorio à Paris, qui offrent un cadre gastronomique pour les plus démunis, en passant par la brasserie Le Corneille à Tours et ses repas suspendus, les acteurs solidaires sont multiples. Ces structures d’inclusion qui proposent des aliments gratuits sont autant d’exemples d’acteurs qui luttent à leur échelle pour favoriser la ville inclusive. 

Pour le logement aussi, au delà des centres d’hébergements publics, il existe une forte présence associative avec des acteurs tels que la Fondation Abbé Pierre, ou bien Aurore, qui participent également à développer une énergie solidaire en ville en logeant des personnes dans le besoin. L’association Aurore a d’ailleurs participé à un exemple réussi qui démontre que la ville et les projets urbains peuvent abriter de belles actions sociales. Elle a notamment participé à développer le projet des Grands Voisins, une occupation temporaire dont l’enjeu principal était l’hébergement d’urgence et l’inclusion de public précaire dans la vie urbaine au quotidien. En plus d’être logées, les personnes accueillies partagent alors des espaces et des moments avec les riverains à proximité qui ont la possibilité d’entrer dans le site.  

Vers des liens renforcés entre le monde associatif et l’action publique ?

Les associations peuvent donc avoir un rôle de médiation entre la puissance publique et la population. Ayant répondu à ce besoin dès le début du 19ème siècle, bien avant que l’Etat ne se saisissent des questions sociales, elles ont acquis une légitimité sur ces questions. Aujourd’hui, elles occupent l’espace social et elles deviennent même de plus en plus essentielles dans les actions de solidarité avec la publication de rapports, d’actions territoriales structurées, mais aussi de partenariats avec les acteurs publics et privés pour des plans de grandes échelles, comme cela peut être le cas pour les Territoires zéro chômeur longue durée par exemple. 

D’ailleurs, pour répondre aux enjeux liés à la pauvreté et entreprendre des actions en faveur de l’économie sociale et solidaire, le secteur public a plusieurs moyens d’actions. Les subventions publiques attribuées aux associations qui oeuvrent quotidiennement pour inclure les personnes les plus marginalisées dans la société et dans nos villes sont un premier levier d’action, bien qu’elles tendent à diminuer ces dernières années.  Ce n’est d’ailleurs que très récemment qu’une définition officielle et légale de la subvention publique a été établie. La loi relative à l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 justifie en effet l’attribution d’une subvention par la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement d’intérêt général. 

Mais les villes peuvent agir autrement pour appuyer l’action des associations, par exemple en mettant à leur disposition un local, du matériel ou bien participer à mettre en lumière leurs actions. La ville de Paris répertorie par exemple les acteurs engagés dans des missions sociales et solidaires sur son territoire, et encourage les citoyens à participer à des actions de bénévolat, de prêt ou de don à travers la plateforme numérique je m’engage Paris.

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L’Etat peut aussi initier des actions solidaires avec par exemple récemment, dans le cadre du Plan Pauvreté et d’un plan d’actions pour la petite enfance, il a encouragé la distribution gratuite de petits-déjeuners dans les écoles des zones défavorisées. L’initiative a été déployée dans huits académies tests, ce qui a aussi encouragé d’autres territoires à s’engager pour lutter contre les inégalités sociales et économiques. Ainsi, dans la banlieue de Valenciennes par exemple, la ville de Denain expérimente depuis quelques mois les petits-déjeuners gratuits à l’école. L’occasion de proposer un repas aux écoliers venant de quartiers défavorisés, qui n’ont pas forcément tous la chance de bénéficier d’une alimentation riche et adaptée à leur croissance, et d’aller plus loin en sensibilisant les enfants à l’équilibre alimentaire et l’origine des produits. Nous n’avons actuellement pas assez de recul sur ces actions pour affirmer une réelle différence, cependant, cela impulse par l’école, une démarche sociale, solidaire et sanitaire. 

Inclusion : le vivre-ensemble solidaire tout simplement 

Se nourrir et se loger sont bien évidemment des priorités pour les acteurs solidaires qui agissent pour aider les personnes en situation de précarité. Seulement, la précarité sociale ne se résume pas à cela, elle recouvre bien d’autres enjeux, notamment la marginalisation et l’isolation sociale. 

En effet, un grand nombre de personnes en situation de précarité souffrent d’exclusion et ne sont pas intégrés dans nos villes. Ainsi, les associations qui luttent principalement contre la crise du logement, intègrent et développent aussi des moments partagés et conviviaux, qui sont essentiels pour certains. Par exemple, la Fondation Abbé Pierre, en plus de ces actions en faveur de l’accueil et du logement, propose des temps partagés pour recréer du lien social. Dans les maisons d’accueil du jour, il est courant de se retrouver le temps de boire ensemble un café, ou bien simplement d’installer quelques chaises dehors pour discuter.

inclusion

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C’est également ce que défend Le Carillon, qui nous sensibilise sur le fait que 83% des SDF ressentent le rejet des passants et des commerçants. L’initiative de cette structure consiste à engager les commerçants dans des causes sociales, solidaires et d’inclusion. Rien d’insurmontable, les commerçants proposent simplement d’offrir des services basiques aux plus démunis, du simple fait de pouvoir passer un coup de fil, utiliser les toilettes ou demander un verre d’eau. Certains commerçants mettent aussi à disposition des services suspendus. Chez un coiffeur par exemple, un client peut décider de payer une coupe de cheveux supplémentaire, qui sera offerte à une personne dans le besoin. De belles initiatives qui rapprochent considérablement les acteurs et citoyens d’un territoire. 

Et si finalement, pour rendre la ville plus inclusive, il s’agissait d’accompagner l’ensemble des acteurs de la ville à tendre vers plus de solidarité ? Cela peut passer par l’émergence de davantage d’actions en faveur de l’insertion sociale et économique des plus démunis, notamment en impulsant une réflexion à visée sociale auprès de l’ensemble des acteurs locaux travaillant dans les villes, et cela dans le but d’intégrer le plus possible cette approche solidaire. Qu’ils s’agissent de colocations ouvertes aux plus démunis, d’insertion économiques avec des emplois aidés, d’accueil de tous dans l’ensemble des lieux de la ville, de nombreuses actions sont possibles pour plus d’inclusion. 

En Finlande, grâce à un réseau associatif très actif et fortement soutenu par le gouvernement, le programme “Housing First” a permis de réduire la pauvreté en ville avec en faisant de l’accès au logement pour tous une question sociétale. Certes, il s’agit d’un pays peu peuplé et possédant un certain taux de richesse, mais ce cas montre la réussite d’une approche qui renverse les codes des démarches d’inclusion sociale classiques. L’idée est de redonner une autonomie aux personnes en précarité en proposant un logement avec un bail à durée indéterminée, quelque soit ses conditions d’âge, de santé, financières ou encore d’addiction, pour leur permettre de rebâtir leur confiance en elles et en leur vie. 

Car lutter contre la précarité et les inégalités, c’est aussi redonner une dignité aux personnes et les ressources pour vivre pleinement leur vie, et non survivre. C’est ce que souligne la récente campagne des Restos du cœur “Parce qu’un repas ne suffit pas qui montre que le problème est transversal. Impulser une démarche solidaire dans l’ensemble des actions et initiatives, qui prennent vie en ville, est donc un enjeu essentiel pour que la ville deviennent la source de nouvelles interactions et dynamiques qui participent chaque jour à construire ensemble des territoires urbains d’inclusion et de solidarité. 

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