Longtemps dirigée par les gangs des cartels, Medellín a su retourner la situation de sa ville et de ses espaces publics en moins d’une trentaine d’années, un retournement exceptionnellement rapide et efficace qui en a fait un modèle de gouvernance et d’aménagement exemplaire pour les villes du sud. Incroyable ou tendance au changement dans les pays anciennement dit “en voie de développement”, ce qui est sûr c’est que les relations des villes du Sud et des villes du Nord tendent à se rééquilibrer. Les pays du sud, autrefois relativement dépendants des politiques urbaines occidentales, se sont aujourd’hui émancipées.
Sous l’emprise d’un développement urbain hors du commun et plus vulnérables aux catastrophes naturelles, elles doivent faire face à de multiples défis qui les obligent à être plus imaginatives. Mais alors, d’où puisent-elles ces ressources et solutions pour faire face aux enjeux actuels et aux multiples défis à venir, comment partagent-elles leurs connaissances et qu’ont-elles à nous apprendre pour faire face aux menaces urbaines qui nous guettent ?
Les villes du sud, ces multiples laboratoires d’innovations urbaines
“Progrès”, c’était le terme clé majoritairement utilisé depuis le siècle des lumières mais celui-ci n’est plus d’actualité. Si la technologie peut aider à répondre à certains enjeux, elle ne peut pas répondre à tout. Les villes doivent désormais faire preuve de résilience urbaine et pour faire la différence, elles misent sur la créativité et l’innovation qui permettront de répondre aux défis contemporains comme le changement climatique ou l’urbanisation accélérée de certaines métropoles.
Le “modèle de don” ou de “transfert des savoirs-faires” comme le précise Jean-Pierre Gautry, de l’association française des urbanistes sont devenus des concepts qui n’ont plus de sens car les solutions européennes adaptées à une situation et à une époque, ne le sont pas aux enjeux auxquels font face les pays du sud : une mutation accélérée et une pluralité de situations. Il est donc désormais davantage question de “partage d’expérience”, valant aussi bien dans un sens comme de l’autre.
Ce basculement s’est révélé en Amérique latine, par exemple, avec la multiplication de nouvelles politiques publiques urbaines en faveur de la population. Dans les années 2000, la région se fait remarquée pour son côté novateur dans le domaine des transports avec les Bus Rapid Transit (BRT) comme le MetroBus à Mexico. Celui-ci circule sur une piste qui lui est dédiée permettant de rendre son service presque aussi rapide et régulier qu’un métro.
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D’ailleurs, l’architecture et l’urbanisme ont été d’importants leviers mobilisés à Medellín pour sa transformation. La ville a d’abord changer la mobilité en développant l’usage du vélo à Bogota, ce qui a permis aux habitants de se réapproprier l’espace public. Une reconquête qui s’est également faite par l’aménagement d’infrastructures publics comme le Parc bibliothèque España ou le système de télécabines, Metrocable qui a relié une des communautés les plus défavorisés au reste de la ville.
Si les pays africains misent beaucoup sur les technologies, d’autres projets émanent des citoyens qui mettent en place des initiatives locales. C’est le cas d’Edith Fuyane qui lutte contre la faim et la malnutrition par le développement de l’agriculture urbaine à Bulawayo, au Zimbabwe. Loin du film “le garçon qui dompta le vent”, histoire vraie de William Kamkwamba, un petit garçon ayant construit une éolienne au Malawi par ses propres moyens pour sauver les récoltes de son village, cet exemple démontre néanmoins que ces cas ne sont plus des exceptions, mais que la tendance à l’autonomisation des habitants se démocratise.
Même si l’innovation technologique et numérique ne suffit pas, elle appuie la gestion urbaine comme l’application Mapatón à Mexico qui facilite l’utilisation des transports en commun par l’intelligence collective et citoyenne. L’entrepreneure, Ajaita Shah, de son côté, a pu étendre l’accès à l’énergie solaire dans de nombreux villages au Rajasthan, en Inde, à travers Frontier Markets qui met en place des centres de détails pour donner aux familles l’accès à des lampes qui fonctionnent à l’énergie solaire. D’autres solutions comme Laboratoria, une organisation à Lima, donnent aux femmes l’opportunité de s’émanciper à travers l’apprentissage des technologies pour un impact social et innovant.
Les solutions sur la mobilité sont dirigées par des politiques publiques assez précises mais les nombreuses initiatives sociales, environnementales, économiques qui émergent d’entreprises ou de citoyens sont telles qu’elles marchent parfois de manière verticale et non horizontale. Les liens et les réseaux restent à construire pour une organisation optimale du changement. Les pays du sud l’ont bien compris et commencent déjà à se rejoindre pour tracer la feuille de route vers des projets qui s’intègrent dans des stratégies plus globales.
Coopération sud-sud : comment les villes du Sud s’entraident-elles ?
Si les solutions fusent depuis quelques années un peu partout dans les pays du sud, l’échange de bonnes pratiques est aussi indispensable pour favoriser l’innovation et accélérer le changement. Et les villes du sud n’ont pas attendu pour se concerter et affronter les obstacles qui entravent leur croissance. Le prix Guangzhou, prix international de l’innovation urbaine de la ville de Guangzhou, en Chine méridionale, en est un exemple. Ce sont désormais les villes du sud qui organisent des réunions internationales, au sein de leur pays, pour penser la ville de demain.
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Cette coopération mise aussi sur la planification urbaine pour mieux insérer les initiatives dans des politiques publiques afin qu’elles puissent prendre de l’ampleur et accélérer leur impact. Le prix Guangzhou de 2019 a d’ailleurs récompensé un territoire tout entier au Mexique pour sa stratégie visant à développer des approches innovantes pour répondre à des défis urbains avec les habitants. Ce prix concerne la région métropolitaine de Guadalajara réunissant 9 municipalités autour d’un plan commun contraignant visant une utilisation communes des terres.
L’Inde s’inscrit dans cette ère de la “sharing economy” avec la plateforme numérique India Urban Data Exchange qui met les villes en relation pour échanger des données et trouver des solutions, à partir de la technologie, sur des thématiques comme la sécurité des femmes, la mobilité intelligente ou encore les réponses d’urgence. Lancé par le ministère du logement et des affaires urbaines en 2015, l’initiative vient d’un programme, Smart Cities Mission, visant la transformation urbaine des villes.
Si la planification à l’échelle d’une région ou d’un pays se développe, il est aussi question d’établir des accords de coopération entre divers pays sur des intérêts communs. La création de plateformes d’échanges est aujourd’hui indispensable car les villes du sud ont souvent des enjeux urbains similaires. L’association internationale Metropolis tente de trouver des solutions sur ces enjeux communs de métropolisation. Pour cela, elle travaille avec un réseau de plusieurs métropoles à l’international pour construire des programmes de coopération entre villes. Les plus grands bidonvilles se retrouvent en Asie, en Amérique latine et en Afrique par exemple et doivent tous faire face à des défis communs : accès à l’eau, raccordement à l’électricité et au système de récupération des eaux usées.
Mais les enjeux sont tout aussi singulier d’une ville à l’autre. S’ils concernent des défis primaires, la manière d’apporter la solution ne sera pas la même. La question de l’accueil des réfugiés diffèrent d’un pays à l’autre, en fonction de sa capacité d’accueil et de la temporalité de la crise par exemple. Aussi, sur fond d’une histoire fracturée, les townships de Cap Town, en Afrique ne présentent pas les mêmes enjeux que les favelas de Rio de Janeiro qui se sont progressivement construites avec l’exode rural du pays.
C’est pourquoi les réponses sont complexes et peuvent prendre du temps, particulièrement dans la mise en oeuvre de politiques publiques. Mais en prenant conscience des obstacles qui freinent leur développement, comme la prise de décision liée aux méandres de la bureaucratie ou encore du clientélisme, les villes du sud s’accordent sur ce point : les processus de prise de décision doivent changer.
Pour y remédier, le réel enjeu est de favoriser des politiques urbaines qui priorisent les citoyens. Pour cela, ils doivent pouvoir travailler main dans la main pour évaluer les défis urbains, leurs évolutions et se donner les moyens de s’entraider. Si l’on peut apprendre de ce partage de savoir en cours, les habitants sont aussi des ressources encore plus ingénieuses. Las d’attendre la mise en place de politiques publiques, ils décident souvent de mettre en place eux-même des solutions qui permettent d’améliorer leur qualité de vie.
Que nous apprennent les villes du sud ?
La mobilisation citoyenne et la solidarité sont de mises dans les pays où il est difficile de compter sur le gouvernement. Ainsi, les habitants échangent et s’entraident naturellement. Le premier lieu qui regorge d’initiatives, ce sont les bidonvilles, à la fois réservoirs de problèmes et de solutions.
En Thaïlande, Codi, une organisation communautaire créée en 1992, met en oeuvre des moyens pour que les habitants des bidonvilles puissent réaménager leurs lieux de vie et ainsi faire face aux problématiques de leur quartier. Parmi les options, Codi propose de résoudre les difficultés liées aux logements par l’amélioration des infrastructures de leurs habitations ou le réaménagement de leur quartier par la démarche “reblocking” qui consiste à dessiner des plans et à réaménager l’emplacement des maisons à l’intérieur du bidonville.
Mais dès leur naissance, les bidonvilles ont été le coeur d’innovations urbaines, sociales et écologiques, par la densité, le recyclage, la modularité, la flexibilité des aménagements ou encore le tout-piéton, devenant des laboratoires urbains. De plus, la pauvreté et le manque de moyen favorise l’ingéniosité et l’entraide. Si tout n’est pas à prendre, il existe tout de même de nombreuses sources d’inspiration comme les mobilisations participatives observées.
Parmi elles, l’organisation d’un concours incitant les jeunes du bidonville de Dandora, à Nairobi, à imaginer des projets collaboratifs pour reconquérir les espaces publics, mais aussi Rio eu amo eu cuido à Rio de Janeiro ou Mi parque à Santiago, au Chili, qui consiste à s’emparer d’espaces publics abandonnés pour les transformer en parcs.
Des solutions qui pourraient inspirer les pays accueillant de plus en plus de migrants car les problématiques qui concernent les bidonvilles sont sensiblement les mêmes que les campements de migrants, si ce n’est que la vocation d’un bidonville n’est pas d’être un lieu de passage mais un lieu où l’on habite. En Europe, la France, l’Espagne et l’Italie sont les pays qui comptent le plus de ces campements !
Si les villes du sud nous en apprennent beaucoup par la résilience de leurs habitats informels, elles sont aussi souvent les premières à devoir relever des défis liés aux enjeux environnementaux. Avec le réchauffement climatique et l’augmentation des chaleurs urbaines un peu partout dans le monde, il est possible de s’attendre à des climats en Europe proches de ceux des villes du sud rien qu’à la fin du siècle !
Les solutions actuelles d’architecture ou d’aménagement des rues pour créer des îlots de fraîcheur dans les villes du sud peuvent être un modèle d’inspiration pour faire face aux défis à venir comme le propose l’architecture de la ville de Ait-ben-Haddou, au Maroc avec son système de ventilation. Durban, ville côtière d’Afrique du Sud la plus pauvre du pays en est un autre exemple. Face à la sécheresse, le uMngeni Ecological Infrastructure Partnership a été mis en place afin de protéger ses espaces naturels humides qui stockent l’eau et la restituent progressivement. Le concept d’oasis urbaine tire ainsi de nombreux procédés des villes du sud comme le choix des matériaux, des couleurs, des dispositifs d’ombrages, des systèmes de retenue, de circulation et de diffusion d’eau pour créer des îlots de fraîcheur.
Si les villes du sud ont beaucoup à nous apprendre, ce n’est pas pour autant qu’on en oublie les enjeux urbains actuels et les risques de précarisation croissante de la population. Il s’agit surtout de montrer que les villes du sud ont une capacité de régénération et de résilience importante parfois sous-estimée, alors que leur impact pourrait être démultiplié si on reconnaissait l’intérêt de ces autres modes de faire. D’autant plus que ces solutions doivent faire preuve d’une incroyable ingéniosité pour s’affranchir des obstacles et trouver des réponses adaptées à chaque situation locale.
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Avec le réchauffement climatique qui annonce de nouveaux défis pour les pays occidentaux, les pays du sud deviennent une source de solutions dont il devient urgent de s’inspirer. Un renversement de situation qui les place dans une position d’apprentissage. Alors par quels moyens s’enrichir de ces autres pratiques urbaines pour nos villes européennes ? Pourquoi ne pas envoyer plus d’acteurs de la ville sur le terrain à travers des ateliers internationaux comme le propose les Ateliers de Cergy ou les ateliers de l’ONG Urbanistes du monde ?
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