Cette semaine, la rédaction a interviewé Virginie Guérin, urbaniste et consultante en transition écologique, directrice générale de Cocott’arium et présidente du World CleanUp Day France. Elle nous parle des objectifs de la grande journée de nettoyage du 18 septembre et de la transition écologique de nos villes. 

Pourriez-vous nous parler du World CleanUp Day ? Quelles sont ses origines ? Quelles sont ses missions ? 

Le World Cleanup Day (WCUD) est un mouvement citoyen mondial dont le but est de ramasser des déchets dans l’espace public pour générer une prise de conscience générale sur les questions de consommation, de production et de traitement des déchets. L’opération a pris sa source en Estonie en 2008 pour un projet qui, au départ, avait pour objectif d’organiser une journée pour ramasser des déchets et nettoyer le pays collectivement. Face au succès de cette première édition, des initiatives individuelles ont vu le jour, réparties sur l’ensemble de l’année. Pour plus d’efficacité,  le fondateur a proposé de créer un événement plus massif et collectif : « Nettoyons tous ensemble pendant 24 heures !” C’est comme ça qu’est né le WCUD dans sa version actuelle le troisième samedi de septembre. 

L’association World Cleanup Day France a été créée en 2017 et une première édition synchronisée s’est tenue en 2018 avec l’ambition de fédérer 5% de la population française. Ce taux  correspond au seuil nécessaire pour avoir un impact palpable et engager un changement sociétal. À terme, nous cherchons ainsi à mobiliser 3,5 millions de français dans les prochaines années. Depuis notre création pour 2018, nous avons fédéré jusqu’à 260 000 personnes, ce qui nous laisse encore  une marge de progression. 

Qui sont ses membres et combien sont-ils ? À l’international ? En France ? 

Le WCUD est un mouvement citoyen et il a vocation à le rester. Notre objectif au niveau de l’association n’est pas d’organiser le WCUD mais de proposer des outils pour que chacun trouve ça facile et d’en faire la promotion. Cela veut dire que tout un tas de citoyens, d’associations, d’entreprises, de collectivités territoriales font et s’approprient le WCUD, et c’est très bien puisque cet événement appartient à tous. En revanche, notre association fédère des adhérents : des bénévoles engagés dans l’association qui ont pour rôle de faire la promotion du programme dans les territoires. Ils sont environ 500 adhérents en France. Mais lors de la WCUD, nous passons à 260 000 bénévoles. On encourage les citoyens qui souhaitent organiser une opération près de chez eux à adhérer à notre association, notamment pour des questions de responsabilité et d’assurance pour eux-mêmes.

Source : World CleanUp Day France

Pouvez-vous nous parler un peu de la journée du 18 septembre ? Quelles sont ses ambitions ? 

Pour cette quatrième édition, nous avons mis en place depuis le début de l’année un pôle au sein de l’association qui s’appelle « Universalité ». L’enjeu est de rendre le WCUD accessible à tous. C’est un peu la fête des voisins sans les déchets et donc qu’on ait 5 ans, 97 ans, qu’on soit réfugié, sans domicile fixe, en situation de handicap ou qu’on soit directeur général d’entreprise,  tout le monde doit pouvoir participer. C’était dans l’ADN de départ, mais cette année nous avons réaffirmé l’objectif en créant un pôle dédié à cette question d’universalité. Et pour cela, nous sommes en train de développer un partenariat avec la Fédération Française Handisport. C’est un des focus de l’année.

L’autre focus, c’est qu’on souhaiterait passer un nouveau palier de mobilisation pour atteindre le million de personnes. Bien sûr, la crise sanitaire ne nous aide pas sur cet aspect mais nous sommes positifs et espérons pouvoir mobiliser un maximum de personnes. En outre, de plus en plus d’écoles participent au programme puisque le WCUD fait partie des actions proposées par le Ministère de l’éducation nationale. On espère avoir beaucoup de jeunes bénévoles. 

Dans quelle mesure le WCUD est-il un projet fédérateur ? 

Avec le temps, on se rend compte que pour les gens, le sujet du WCUD c’est aussi bien ramasser des déchets que se rencontrer et se rassembler. C’est un moment festif mais aussi nécessaire. Les participants disent souvent qu’ils sont venus parce qu’il y a avait un événement près de chez eux. Et en fait, ils rencontrent des personnes, passent un bon moment et finalement se sentent utiles. L’approche première n’est donc pas forcément engagée mais plutôt sociale. Le questionnement environnemental vient après, avec un premier pas tout simple : je me baisse et je ramasse un déchet. Ça imprime le corps d’un mouvement et ça amorce une réflexion.

En  2020, nous avons créé un nouveau programme qui s’appelle le Cyber World Cleanup Day qui est un volet du WCUD focalisé sur le numérique. L’idée est de permettre à chacun de prendre conscience des déchets engendrés par le numérique. Les déchets virtuels, ceux qu’on ne voit pas, mais aussi les déchets physiques présents dans le matériel informatique. Nous encourageons les gens à garder plus longtemps leur matériel numérique pour préserver la planète. Encore une fois, il s’agit d’activer un premier levier d’action et de le faire ensemble. Ça rend le changement plus accessible et sympa. 

Peut-on dire qu’au-delà de l’impact écologique positif d’une telle initiative, réussir à faire émerger des villes plus propres revêt aussi un impact social  ? 

Le WCUD redonne le pouvoir d’agir à chacun. Et dans le contexte sanitaire actuel, c’est encore plus essentiel  et urgent que lorsque nous avions lancé l’association WCUD France. La crise sanitaire nous rend impuissant sur beaucoup de choses et le WCUD offre ainsi la possibilité d’agir positivement, de mesurer l’impact de notre action et de nous retrouver. C’est porteur d’espoir.

L’année dernière, nous avions posé des recommandations importantes pour assurer la sécurité sanitaire des participants et nous nous disions que nous aurions certainement moins de mobilisation dans ces conditions. Finalement, il y a eu autant d’opérations que les années passées, même s’il y avait moitié moins de personnes mobilisées notamment à cause des recommandations que nous avions dictées pour assurer la constitution de groupes moins nombreux. Cela signifie que les gens sont prêts à agir et que les citoyens français ont envie de s’engager, notamment à travers des initiatives festives et positives.. Cela se voit également à l’échelle mondiale puisque l’année dernière 166 pays sont restés mobilisés. 

Avez-vous connaissance d’initiatives, individuelles ou collectives, qui ont émergé dans le cadre du WCUD ?

C’est une de nos prochaines ambitions : nous souhaitons désormais communiquer sur des projets qui ont émergé du WCUD. L’événement  fédère localement les acteurs dans de nombreux  territoires. Organiser un Cleanup demande de contacter les collectivités, de fédérer les entreprises et de réunir les citoyens. Nous mettons ainsi toutes les parties prenantes autour de la table et nous les invitons à discuter. Elles établissent le lien et s’emparent du Cleanup mais développent aussi très souvent d’autres projets. 

J’ai en tête une bordelaise qui à initier un WCUD dans sa ville. Cela a complètement changé sa perception des priorités et provoqué un changement radical de son mode de vie. Elle travaillait pour un transporteur routier et aujourd’hui elle développe un programme en permaculture super positif. C’est un des exemples d’initiative individuelle qui découle d’une prise de conscience forte, mais il y a également pleins de projets collectifs impactants qui naissent du WCUD.

Par exemple, j’ai en tête une classe de primaire qui avait décidé pour un WCUD de nettoyer le parc à côté de leur école. Ils se sont rendus compte qu’il était jonché de mégots. L’école a demandé à la ville de faire un plan d’action sur le parc pour récupérer les mégots et sensibiliser les usagers du parc. La ville a ainsi soutenu cette action et permis aux enfants de devenir des citoyens actifs. Ils ont fait un affichage très pédagogique sur la nocivité des mégots, sur leur action de nettoyage et sur leur volonté que le parc reste propre sur le long terme. Cette année, nous allons voir dans quelle mesure leur action a porté ses fruits puisque la classe va refaire le WCUD dans ce même parc. 

Source : World Cleanup Day France

Quels sont les enjeux liés à la propreté des villes aujourd’hui ? 

Pour nous, il est nécessaire de faire en sorte que lorsque nous passons la porte de notre appartement ou de notre maison, nous continuons à penser que ce qui est à l’extérieur est chez nous. Il s’agit de se réapproprier le bien commun. Si nous nous sentons chez nous dehors, nous avons alors conscience de l’espace de manière différente, et il est plus facile de se l’approprier et d’y faire attention. Le principal enjeu de la propreté des villes est donc de faire en sorte que chacun puisse se sentir chez lui à l’extérieur de son logement ou de son bureau, et d’ainsi comprendre qu’on est tous locataires de l’espace extérieur et que c’est à tous de prendre soin de l’espace public dans une mobilisation citoyenne quotidienne. 

Peut-on dire que les villes françaises sont sales ? En quoi ? Quelles problématiques cela pose-t-il, pour l’environnement et aussi pour les citoyens ?

Je ne sais pas si on peut dire que les villes sont sales. Je pense que les collectivités territoriales font énormément pour la propreté des villes, pour trouver des moyens d’action qui mobilisent l’ensemble des citoyens.

À noter que la taille des villes joue beaucoup sur leur propreté en lien avec, pas l’individualisme, mais la difficulté d’appropriation du territoire. Plus la ville est grande, et plus on a du mal à se reconnaître comme acteur de l’espace, et à mon sens, cela joue beaucoup sur la pratique du territoire. On voit par exemple que les touristes se préoccupent moins des endroits où ils mettent leurs déchets parce qu’ils ne sont que de passage. Je dirais finalement qu’il y a un progrès important : la prise de conscience des citoyens sur la propreté des villes est de plus en plus grande.

Au-delà des initiatives de nettoyage, comment peut-on améliorer durablement la propreté de nos villes ? Est-ce que la fabrique urbaine a une responsabilité ?

À mon avis, la résolution du problème des déchets sauvages passe par deux clés, au moins. La première est   l’existence d’opérations comme le WCUD mais aussi d’autres pour permettre à chacun de faire de la pédagogie, de comprendre les enjeux et de faire un petit geste, sans culpabiliser et en ayant vraiment un message positif. C’est une clé majeure, car la plupart du temps, contraindre les citoyens  ne produit pas d’effets pérennes. 

La seconde clé est de replacer les déchets au centre de nos vies. Aujourd’hui, jeter, mettre à la poubelle, est une habitude qu’on ne regarde pas, qu’on ne questionne pas et au final, très peu savent ce que deviennent nos déchets. Il faudrait que chacun ait une vue d’ensemble sur tous les déchets qu’il crée ; pour les produits qu’il consomme, mais aussi pour tous les déchets que la fabrication de ces produits de consommation implique. Notre poubelle  déborde régulièrement et cela peut agacer. Chacun peut faire l’autopsie de sa poubelle et se demander comment l’alléger, quoi enlever. Les déchets ne sont qu’une pièce d’un cycle de consommation global. Plutôt que gérer uniquement la phase qui va de l’achat à la poubelle, nous pourrions questionner l’entièreté de la vie des déchets. Cela permettrait de  trouver des solutions pour les produire différemment. C’est d’ailleurs ce que font certaines entreprises investies sur le WCUD. Elles interrogent leurs pratiques, leurs modes de production. De la même manière, chacun peut interroger son mode d’achat et sa consommation. 

Quand on parle de projet de construction, on entend souvent dire qu’il faut aménager des locaux poubelles plus grands parce qu’ils ne font que déborder. Il s’agit d’inverser la logique, en partageant mieux les différents flux de déchets pour faire en sorte que, par exemple, les déchets organiques ne soient plus dans le bac à ordures ménagères. Ces derniers sont d’ailleurs une ressource facile à retourner à la terre pour produire de nouveaux légumes, nourrir les plantes et produire un environnement urbain plus agréable. Il s’agit de faire comprendre à chacun qu’un déchet est aussi une ressource, et alors là, nous changeons toute notre vision du déchet. 

Avez-vous un exemple de projet actuel qui fait la différence ?

Les alchimistes mettent en place des programmes de compostage à échelle locale. Ils récupèrent les déchets organiques, les traitent dans un compost semi-industriel et permettent à la population de récupérer très vite un terreau réutilisable pour les potagers, les jardinières, les bacs à fleurs. Ce projet active immédiatement un volet de récompense, les citadins comprennent l’intérêt et le bénéfice de leur tri et c’est très concret. Cette initiative valorise la culture locale, l’économie circulaire, participe à améliorer le cadre de vie en ajoutant des plantes dans la ville, ce qui crée aussi des îlots de fraicheurs… Le végétal reprend de la place dans la ville et c’est super important car on sait que plus le cadre de vie est agréable et plus il reste propre, les habitants le préservent. Le projet des alchimistes est super positif et appelle d’autres projets positifs. C’est aussi l’axe que nous avons choisi au Cocott’arium : lorsque les citoyens ramènent leurs déchets de cuisine, ils récupèrent des œufs frais, de quoi les motiver. A mon avis, on pourrait renouveler tous les autres modes de tris de la même manière et mettre en place des circuits de valorisation simples et concrets avec des récompenses pour les citoyens en lien avec l’amélioration du cadre de vie commun.

Crédits photo de couverture ©MixMike/Getty