Cette semaine, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Catherine Sabbah, déléguée générale de l’IDHEAL, l’Institut des Hautes Études pour l’Action dans le Logement. L’occasion de discuter des résultats de leur dernière étude sur les logements franciliens, et des préconisations qu’ils en tirent.

Pouvez-vous nous présenter IDHEAL ?

IDHEAL est une association créée il y a maintenant deux ans autour de deux vocations : d’une part financer et encourager la recherche autour de l’habitat et du logement, d’autre part dispenser de la formation. La première promotion démarre d’ailleurs cette semaine pendant 1 an à raison de cours dispensés deux jours par mois. À travers cette formation, on vise à rassembler des professionnels et à faire émerger des idées qui pourraient demain se transformer en pratique.

Du côté de la recherche, on a déjà produit plusieurs études dont la dernière s’intitule «Nos logements, des mieux à ménager». Ce n’est pas exactement de la recherche-action, mais nous visons à ce que nos études soient diffusées le plus largement, y compris si cela nous demande de mettre les pieds dans le plat.

Quelle est la méthodologie qui a été mise en place pour mener cette étude ?

L’étude est née au moment du confinement du printemps 2020. Nous avons, à ce moment là, lancé un sondage intitulé « aux confins du logement » qui avait pour ambition de comprendre si les logements étaient un handicap ou un atout lorsque nous sommes enfermés dedans 23 heures sur 24. Trois éléments clés ont été identifiés comme indispensables pour une bonne appréciation de son logement : une surface généreuse de logement, le bon ensoleillement des pièces et la présence d’espaces extérieurs. On s’est alors demandé ce que racontaient ces réponses vis à vis de la production de logements des dernières décennies. Pour cela, nous avons consulté des plans d’appartement achetés en VEFA, c’est-à-dire des logements neufs vendus par des promoteurs sur la base de plans.

La surface est un critère déterminant dans le confort du logement, comme nous le montre le sondage « aux confins du logement » ©IDHEAL

Dans un premier temps, nous avons souhaité mener ce travail d’analyse de plans sur toute la France. Mais devant l’immensité de la tâche, nous avons préféré nous concentrer sur les logements construits ces vingt dernières années en Île-de-France. Il s’agit d’une période particulièrement intéressante à analyser puisqu’elle s’ouvre avec la loi SRU (Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains) et donc une production importante de nouveaux logements. Cette période a également été le théâtre de la crise de 2008 et de l’émergence de différentes réglementations thermiques pour lutter contre l’urgence climatique.

En mobilisant des promoteurs, des architectes et des collectivités, nous avons ainsi pu constituer un référentiel de plusieurs centaines de plans détaillant aussi bien l’entrée de l’immeuble que la porte du placard. Ces plans nous ont permis de rentrer dans les détails de chaque logement, et donc d’objectiver les résultats de notre premier sondage. Pour cela, nous nous sommes intéressés à la taille des pièces, leurs dispositions, le nombre de fenêtres et leurs largeurs, où étaient disposés les placards, comment était distribué l’appartement que ce soit de manière simple ou commandée, et surtout quelle était la surface d’usage.

Malheureusement, les résultats que nous avons obtenus sont globalement mauvais. Ils font état d’une diminution des surfaces, d’une minorité de logements qui bénéficie d’une double orientation, de petites chambres et de cuisines mal éclairées. Le seul point positif que nous avons décelé est l’augmentation d’un mètre carré des toilettes et salles de bains grâce à la loi sur l’accessibilité des logements qui permet, en théorie, à une personne en fauteuil roulant de se servir parfaitement de ces pièces. Mais dans les faits, il suffit d’avoir une jambe allongée pour que la surface reste trop petite.

Comment avez-vous construit cette « surface d’usage » dont vous parlez ? Est-ce que c’est un critère que l’on pourrait intégrer dans la construction de logement ?

Avec l’aide d’Alexandre Neagu, nous avons donc pris l’habitude de regarder des « mauvais plans », qui correspondent à des mauvaises pratiques. Concrètement, en regardant un salon sur plan, nous sommes capables de dessiner des flèches qui représentent la circulation dans celui-ci et d’identifier immédiatement les surfaces qu’on ne peut pas meubler. De fait, on vend donc des pièces comme « salon » alors que la majorité de celles-ci ne peut pas être utilisée comme un salon. Et c’est là qu’intervient la surface d’usage, qui peut alors être très inférieure à la surface annoncée sur le plan.

Il est même possible d’aller encore plus dans le détail en essayant par exemple d’examiner la capacité des appartements à être meublés en comparant les surfaces des murs ou des ouvertures à celles du mobilier.

Plan extrait de l’étude « Nos logements, des lieux à ménager » ©IDHEAL

Les promoteurs ont, de manière générale, assez mal reçu nos résultats et notre analyse. Certains ont mis en doute le sérieux de notre étude et la taille de notre échantillon. Cependant, il me paraît important de souligner que deux autres études sont parues ces dernières semaines sur le même sujet du logement. En effet, le rapport Girometti-Leclercq et le rapport Qualitel vont exactement dans le même sens que les constats que nous avons fait. Il y a d’ailleurs de nombreuses recherches qui sont effectuées dans les laboratoires des écoles d’architecture sur ce sujet précis. Mais peu sont communiquées et transformées en action.

Pourtant, le rapport Girometti-Leclercq que vous avez cité a été remis à la Ministre du Logement le mois dernier. Le projet de loi qui devrait en découler ne répond-il pas aux enjeux que vous avez soulevés ?

Il est vrai que la Ministre du logement Emmanuelle Wargon a endossé les conclusions du rapport, notamment sur les appartements vendus en défiscalisation, c’est-à-dire en loi Pinel. Pour garder le taux de défiscalisation maximum, il faudra désormais que les logements qui sont vendus sous ce dispositif respectent une certaine qualité. Les critères de qualité n’ont pas encore été communiqués, mais on imagine que ça devrait concerner la surface précise des logements. C’est-à-dire pas seulement la taille minimale d’un T3 par exemple, mais aussi la taille minimale d’un séjour-cuisine à l’intérieur de ce T3. Cependant, il faut attendre de voir, puisqu’au final c’est la loi de finances qui doit en décider et en réalité le lobby de la Fédération des Promoteurs de l’Immobilier est assez influent.

Parallèlement, une commission a été confiée au maire de Dijon François Rebsamen par le Premier ministre pour identifier les « freins à la construction neuve de logements« . Ce qui est assez drôle à noter, c’est qu’aucun architecte ni aucun urbaniste n’est présent dans la commission, comme si ces professions étaient justement des freins à la construction.

On observe tout de même la multiplication de chartes promoteur depuis quelques années, qui se veulent être une réponse à ce manque de qualité dans les logements. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit d’un outil efficace ?

Ces chartes existent depuis au moins le milieu des années 2010, sous l’impulsion d’élus et d’aménageurs qui voulaient mettre des garde-fous à la totale liberté des promoteurs. Il faut cependant nuancer leur influence. Certains promoteurs répondent à raison qu’ils ne sont déjà pas tout à fait libres puisqu’il y a des réglementations qui les contraignent comme les PLU (Plans Locaux d’Urbanisme). En réalité, il s’avère que ces dernières ne concernent pas l’intérieur du logement et que depuis une réforme de 2005, les promoteurs ne sont plus tenus de fournir les plans de logements lors de leurs demandes de permis de construire. Ils ont donc une liberté totale en termes d’aménagement des appartements.

C’est donc suite à ce constat que les villes les plus attentives à la qualité des logements ont décidé d’éditer un document écrit avec un certain nombre de règles. Ces chartes sont très variables d’une ville à l’autre, et certaines peuvent être très ambitieuses. C’est le cas à Nanterre où la charte indique des minimums de surface par pièce ou encore l’obligation pour tous les logements construits d’être traversants.

Panorama des chartes promoteurs en Île-de-France ©IDHEAL

Il existe une limite forte de ces chartes : elles n’ont pas de valeur juridique contrairement à d’autres règlements d’urbanisme. Par exemple, si un permis de construire ne répond pas aux critères de la charte associée, cela ne signifie pas pour autant qu’il est non conforme. Les chartes sont plutôt vues comme des éléments de négociation entre promoteurs, bailleurs et collectivités. Il serait de toute manière difficile de les rendre opposables alors que les promoteurs signalent déjà qu’ils sont soumis à de nombreuses contraintes. Une des solutions à envisager pour qu’elles soient réellement efficaces serait d’ intégrer certains de ces éléments dans le PLU, comme par exemple l’obligation de construction de balcons ou encore une qualité minimum de façade à atteindre.

Il pourrait également être intéressant de changer la logique des PLU. Par exemple, on pourrait réglementer les hauteurs des bâtiments en nombre d’étages plutôt qu’en mètres. De cette manière, il serait plus aisé de garantir une hauteur sous plafond des appartements confortables pour les habitants.

Cependant, il ne faut pas croire que seuls les promoteurs immobiliers, qui ont leurs propres logiques et des bilans financiers à tenir, sont les seuls fautifs dans la production de logements pauvres en qualités spatiales. Dans certains cas, ce sont les collectivités qui imposent la construction d’immeubles plus bas que ce que le PLU autorise. Ce genre de situation peut mener à des architectures aberrantes comme des bâtiments en biais, dans lesquels les appartements sont mal pensés, mais qui respectent le prospect [une règle d’urbanisme qui impose que la distance entre deux bâtiments soit supérieure à la hauteur de ces bâtiments, NDLR].

Des initiatives se multiplient dans le secteur du logement ces dernières années. On entend par exemple parler de coliving, d’habitat participatif ou encore de logements modulables. N’y a-t-il pas là aussi une piste pour améliorer l’habitat ?

Dans tous les logements et immeubles que nous avons étudiés, les seuls espaces partagés que nous avons relevés sont les locaux vélos, poussettes et poubelles. En soi, la tendance que vous pointez du doigt est vraiment très récente, et les premiers immeubles qui proposent ce genre d’espace ont été livrés il y a quatre ou cinq ans. Il sera intéressant de les observer, mais il faut noter que les logements en coliving, qui ont été importés des Etats-Unis, restent très chers. Ils sont plutôt destinés à des personnes à l’aise financièrement et surdiplômés, et ne répondent pas forcément aux besoins réels des populations.

Je pense qu’on atteint collectivement un niveau de saturation aujourd’hui, et qu’on réfléchit toutes et tous à vivre autrement. Ça se voit dans les gens qui déménagent en masse des grandes métropoles, ou de ceux qui pensent à vivre plus ou moins en communauté, mais ils le font un peu par la « débrouille » et pas par ces nouveaux types de programmes immobiliers. La grosse innovation aujourd’hui, ça reste celle du Bail Réel Solidaire qui permet d’acheter du logement sans acheter le terrain, ce qui ne fait pas baisser les prix mais permet d’accéder plus facilement à la propriété.

J’espère surtout qu’il y aura des promoteurs et des architectes qui auront le courage de réfléchir davantage à la conception. Ce que nous disent les architectes, c’est que ce n’est pas plus cher de faire « bien », et que le coût dépend surtout des infrastructures. De manière un peu simpliste, faire une fenêtre de plus n’impose pas de rajouter un mètre carré de fondation de béton.

Mais alors pour demain, quelles pistes sont envisageables pour que la qualité des logements soit à la hauteur des attentes habitantes ?

Mon rêve est d’inverser la logique. Plutôt que de rester bloqués dans un politique de l’offre, il faudrait qu’on s’interroge davantage sur la demande. Aujourd’hui, nous ne savons finalement pas très bien pour qui on construit, où est ce qu’il faudrait construire et ce qu’il faudrait construire. Une note de Terra Nova indique, par exemple, que dans le parc social il y a trop de grands logements. Cela paraît paradoxal, mais c’est totalement logique puisque beaucoup de demandeurs de logement social sont seuls ou en famille monoparentale et ne peuvent pas se payer un trois ou quatre pièces qui constituent la majorité du parc. Il s’agit alors de construire plus petit en optimisant la surface d’usage.

Quelqu’un qui me paraît passionnant sur ce sujet c’est l’architecte Patrick Rubin de l’agence Canal Architecture, qui montre qu’on peut proposer des surfaces « augmentées » en termes d’usages sans pour autant avoir des grands logements au niveau des mètres carrés.

De nombreux professionnels ont déjà en main les outils pour fabriquer des logements adaptés aux espaces de qualité. Il faut donc faire confiance à leur expertise pour peu à peu inverser les logiques de production du parc de logements.

Crédits photo de couverture ©️ excentric_01
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