Les villes françaises sont-elles inaccessibles ? 

Lorsqu’on parle d’accessibilité — et d’inaccessibilité — en ville, une thématique apparaît immédiatement en tête : celle des transports. Il suffit de chercher à faire un trajet en métro dans la ville de Paris pour se rendre compte des difficultés posées par l’aménagement des rames, l’absence d’ascenseur dans la plupart des stations, ou encore les espaces entre les plateformes et les voitures. Il est même pour beaucoup de personnes tout simplement impossible d’utiliser ces services, ce qui les oblige à limiter au maximum leurs déplacements, ou à faire appel à des sociétés de chauffeurs spécialisés. 

En 2018, l’association APF France Handicap tirait la sonnette d’alarme à travers une campagne graphique montrant que seulement 3% des stations de la capitale française étaient accessibles, contre 82% à Barcelone ou 88% à Tokyo.

Plan d’accessibilité au métro pour les personnes en mobilité réduite dans 4 villes différentes ©APF

Un rapport plus récent de la même association, paru l’année dernière, permet de quantifier les thématiques les plus problématiques dans l’accessibilité urbaine d’après les concernés eux-mêmes. Plus de la moitié des réponses sont liées à l’urbanisme, et plus majoritairement aux trottoirs. Que ce soit à cause de leur hauteur, de leur dénivelé, de leur trop faible largeur, de trous ou encore d’obstacles sur leur chemin, ces derniers ne sont que rarement pensés pour faciliter la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, des seniors ou encore des parents avec leur poussette. 

Les autres sujets évoqués spontanément par les répondants ont trait aux problèmes de transport déjà évoqués, mais également à l’accès aux bars et restaurants, aux lieux de culture et de loisirs, mais aussi aux commerces ou encore aux cabinets médicaux. Le constat est sans appel : les métropoles françaises sont fortement inaccessibles pour une partie de la population.

Pour autant, des réglementations encadrent l’accessibilité depuis plus de 45 ans avec la loi de 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées qui indiquait dans son article 52 :“afin de faciliter les déplacements des handicapés, des dispositions sont prises par voie réglementaire pour adapter les services de transport collectif ou pour aménager progressivement les normes de construction des véhicules de transport collectif, ainsi que les conditions d’accès à ces véhicules ou encore pour faciliter la création et le fonctionnement de services de transport spécialisés pour les handicapés ou, à défaut, l’utilisation des véhicules individuels.”

Cependant, c’est 30 ans plus tard que le premier texte véritablement contraignant sur tous les aspects de l’accessibilité est voté, sous l’intitulé de “Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées”. Celle-ci vise à garantir l’accessibilité dans tous les aspects de la vie quotidienne, en accordant dix ans pour mettre en place toutes les mesures adéquates. Mais les différentes dérogations prévues, notamment vis-à-vis du transport souterrain, ont ralenti la mise en accessibilité des villes françaises. 

Certains commerçants ont également utilisé cette possibilité, n’étant pas toujours capable de dégager assez de trésorerie pour mettre en place les aménagements nécessaires. Ce phénomène s’observe particulièrement dans les bars et les restaurants, cités comme particulièrement difficiles d’accès dans le rapport de l’APF précédemment cité. Le paradoxe étant que ces restaurateurs indiquent que ces travaux ne seraient pas rentables précisément puisqu’aucune personne en situation de handicap ne se présente dans leur commerce, alors même que c’est l’absence d’adaptation qui éloigne ces potentiels clients.

La difficile adaptation de nos villes 

Ce constat général posé, il s’agit tout de même d’indiquer qu’il existe des disparités d’une commune à l’autre, et que certaines municipalités mettent en place des politiques innovantes pour faciliter la vie de toutes et tous, comme nous le montre ce baromètre établi par l’APF.

Baromètre des métropoles françaises les plus accessibles pour les personnes en situation de handicap et leurs proches © APF

Il n’est malheureusement pas étonnant de retrouver les métropoles de Paris et d’Aix-Marseille en queue du classement, après qu’on ait indiqué l’impossibilité pour une grande partie de la population d’utiliser leurs transports souterrains respectifs. Au contraire, les villes en tête ont mis en place un certain nombre d’aménagements pour produire l’effet inverse. Dans celles-ci, une attention particulière a été donnée à la hauteur des plateformes par rapport à celles des rames de tram pour éviter les pentes, à la largeur des trottoirs, à la présence de bandes en relief au sol pour les malvoyants ou encore à la présence de bouton accessibles pour demander l’arrêt du véhicule. 

Cependant, s’il est facilement envisageable de mettre en place ces ajustements sur des trams ou des bus nouveaux ou récents, il apparaît bien plus difficile d’adapter les réseaux souterrains vieux de plusieurs décennies. La RATP a en tout cas annoncé vouloir corriger le tir en rendant jusqu’à une station sur trois accessible à l’horizon des Olympiades de 2024.

Mais les problématiques liées à l’accessibilité ne se limitent pas à l’espace public et se matérialisent également dans le logement, qui n’a que rarement été pensé pour des personnes en situation de handicap. La loi de 2005 n’a imposé qu’à une faible partie des logements, ceux situés en rez-de-chaussée ou desservis par un ascenseur – d’être accessibles. 

Or l’accessibilité ne fait pas tout, puisqu’elle ne dit rien de l’intérieur du logement. On parle alors de logement adapté lorsqu’il est possible pour tout le monde d’y vivre sans être limité par une salle de bain inutilisable ou un comptoir de cuisine inatteignable par exemple. Cette adaptation demande alors des travaux, qui sont un coût supplémentaire pour toute personne en situation de handicap qui souhaiterait devenir propriétaire.

Bien que le gouvernement ait annoncé renforcer le nombre de logements accessibles et adaptés, la méthode de calcul fait que cette mesure ne concerne qu’une fraction du parc locatif. Cela résulte dans davantage d’isolement des personnes en situation de handicap qui se retrouvent souvent dans l’entre-soi des immeubles spécialisés, plutôt que dans une mixité plus agréable. 

De plus, il peut être très difficile pour ces personnes de mener une véritable vie sociale quand les appartements de leurs partenaires, familles ou amis ne sont pas adaptés et ne peuvent donc tout simplement pas les accueillir. La question se pose alors : ne vaudrait-il pas mieux appliquer les principes de l’accessibilité à toute la ville ? 

De l’accessibilité au design universel

S’il paraît de plus en plus évident que l’accessibilité bénéficie à tout le monde dans un grand nombre de cas, il existe certains espaces où la question est plus difficile à trancher. En effet, que signifierait rendre accessible à toutes et tous les centre-villes anciens et historiques, composées de ruelles très étroites et de pavés peu ergonomiques ? Ne risque-t-on pas de nuire à leur urbanité en voulant la renforcer ? La question se pose également dans les rues où s’installent les terrasses, objet urbain par excellence, qui limitent les déplacements des personnes à mobilité réduite comme des poussettes. Toutes ces considérations sont alors souvent vues comme des contraintes pour les villes, ou pour les commerces concernés.

Photo Philippe Jausions/Unsplash

Il nous semble au contraire que prendre en compte ces usages constitue une incroyable opportunité pour fabriquer une ville plus accessible, plus inclusive et plus agréable pour toutes et tous. Il s’agit alors de ne pas simplement appliquer un modèle dogmatique de ce que serait cette ville, mais de viser un équilibre à travers des démarches de concertation itérative, où les usagers et même les non-usagers auraient la possibilité de participer. 

En effet, les non-usagers ont tout autant leur mot à dire, précisément parce que c’est parfois l’aménagement en place qui les empêche de profiter de tel ou tel lieu. L’exemple typique est celui du restaurant ou du bar, sans rampe ni place suffisante, alors même que ces adaptations pourraient augmenter la clientèle et donc le chiffre d’affaires des établissements.

L’exemple du tram de Grenoble constitue encore une fois un bel exemple. Il a été décidé de mettre en place des planchers bas pour permettre à tout le monde de facilement entrer dans les rames. Le coût de cette adaptation : un moteur moins puissant qui semble donc limiter la vitesse des tramways. Cependant, on réalise à l’usage que la durée moyenne d’un trajet est finalement plus courte, puisque les entrées et sorties à chaque station se font bien plus vite grâce à cet ajustement, ce qui rattrape le temps perdu en vitesse de pointe.

On pourrait même aller plus loin que la seule accessibilité, “dont la faiblesse réside dans le fait que les adaptations effectuées constituent des solutions particulières à des problèmes particuliers, souvent résolus a posteriori, augmentant le risque de stigmatisation du handicap. Cette stigmatisation prend en effet la forme du validisme qui mène à considérer le handicap comme “un état inférieur de l’être humain”.  

Le design universel, censé prendre en compte les besoins de toutes et tous, constitue alors une méthode d’aménagement urbain à développer davantage, pour ne pas renforcer l’exclusion d’une partie de la population de nos villes, et ainsi, contribuer à lutter contre le validisme.

Crédits photo de couverture ©bubblea/Getty