La genèse de l’écoféminisme

Le terme d’écoféminisme est apparu pour la première fois en 1974 dans le livre Le Féminisme ou la mort de l’écrivaine féministe française Françoise d’Eaubonne. Il contracte les mots “écologie” et « féminisme » et, au-delà de ça, il dénonce et développe une critique de l’anthropocentrisme basée sur une culture masculine trop présente dans notre société. Dans cette logique, il condamne la domination de la nature et l’oppression des femmes au système capitaliste et patriarcal de notre société actuelle. Intrinsèquement, les questions de féminisme et d’écologie seraient liées par cette prédominance des valeurs masculines, celles-ci entraînant une oppression des femmes par les hommes et une exploitation outrancière de la nature et de la terre par les humains. Aujourd’hui, le mouvement propose une émancipation commune pour la fin de la soumission des femmes et de la destruction de la nature.

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Dès les années 1980, dans un contexte de guerre froide, il a soulevé des mobilisations spectaculaires dans plusieurs pays, comme les États-Unis, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. La première action fut l’encerclement du Pentagone par 2000 femmes en 1980 : « Nous nous rassemblons […] parce que nous craignons pour nos vies. Nous craignons pour la vie de cette planète, notre Terre, et la vie de nos enfants qui représentent notre futur. » . S’en sont suivies, en 1981, des actions antinucléaires comme le blocus de la centrale nucléaire de Diablon Canyon en Californie ou la formation du Camp des femmes pour la paix à Greenham Common qui a subsisté pendant 19 ans.

Mais à partir des années 1990, le mouvement s’est essoufflé. En France, dans le milieux féministe, le concept est controversé : le rapprochement de la femme à la nature ne paraît pas innovant mais régressif et trop “essentialiste”. Certains retiennent du mouvement, une assignation de la femme au rôle stétréotypé d’empathique de la planète, de nourricière ou de protectrice douce.

Les femmes, plus sensibles aux enjeux environnementaux

Dans plusieurs études, on relate que les femmes sont davantage engagées et sensibles à l’écologie que les hommes. Là encore les stéréotypes du genre portent leur influence : les comportements éco-responsables seraient une atteinte à la virilité. Les gestes tels que recycler, trier les déchets, avoir une alimentation végétarienne ou utiliser un tote bag seraient trop féminins pour certains. Et pour y remédier, d’autres proposent de masculiniser l’écologie par le marketing. Il semblerait effectivement qu’une ONG avec un logo plus “viril”, comme un loup hurlant, toucherait davantage d’hommes qu’une ONG au logo fleuri…

Au-delà de ça, les femmes ont toujours été plus entreprenantes que les hommes dans le combat écologique. Cela peut s’expliquer par le conditionnement et la socialisation des filles, dès leur plus jeune âge, qui les amèneraient à davantage prendre soin de leur environnement et de leurs proches que leurs homologues masculins. La journaliste, réalisatrice et écrivaine française Marie-Monique Monin le témoigne : “Les femmes sont celles qui prennent soin des personnes les plus vulnérables, les enfants et les personnes âgées, de la maison”. Cette intériorisation et sensibilisation au care leur donnent alors une charge additionnelle à la charge mentale déjà présente pour l’entretien du foyer. En plus de devoir se soucier du maintien de la maison, il faut se préoccuper de le faire de façon éco-responsable, ce qui crée une charge morale supplémentaire. 

Mais avant tout, les femmes sont les premières touchées par le dérèglement climatique. Selon l’ONU, elles ont quatorze fois plus de chances que les hommes de décéder suite à une catastrophe naturelle. Cela s’explique en partie parce qu’elles représentent 70% de la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté et qu’elles vivent dans des régions plus exposées aux bouleversements climatiques. L’ONU estime d’ailleurs que 80% des réfugiés climatiques sont des femmes.

2021, l’année de l’écoféminisme ?

Face au contexte d’urgence écologique absolue et à la prise de conscience environnementale croissante, l’écoféminisme revient sur le devant de la scène. La philosophe Jeanne Burgart Goutal le témoigne : « On est dans un moment propice pour cette redécouverte de l’écoféminisme. D’une part, on a une expansion de la conscience de l’urgence écologique avec les marches pour le climat, les rapports du GIEC… D’autre part, il y a aussi le mouvement MeToo et le renouveau du féminisme » 

Sandrine Rousseau, enseignante-chercheuse en sciences économiques était candidate à la primaire écologiste de 2021 et a remis sur le devant de la scène politique et médiatique le concept de l’écoféminisme. Numéro deux d’Europe-Écologie les Verts, elle est ambassadrice du mouvement et était considérée comme la candidate de la radicalité :

L’écoféminisme c’est dénoncer ce qui est au cœur de notre système économique et social qui est la prédation. On prend, on utilise, on jette. On prend, on utilise, on jette le corps des femmes quand on les viole et on les agresse. On prend, on utilise, on jette la nature quand on prend les ressources, qu’on salit les océans à coup de plastique, quand on utilise du chlordécone.”

La candidate a perdu de peu au second tour de la primaire contre son rival Yannick Jadot, mais son discours a permis de remettre sur la table ce courant de pensée. Contrairement à d’autres courants politiques comme le communisme ou le libéralisme, l’écoféminisme n’a pas d’idéologie politique propre. Il est surtout question de repenser la manière de réagir face à la crise écologique et aux inégalités hommes-femmes en créant une convergence des luttes par la justice sociale. 

C’est ce que le collectif Les Engraineuses tente de dénouer : le nœud des oppressions qui cause l’exploitation de la nature, les violences faites aux femmes, le racisme, l’homophobie, le spécisme… Fondé en 2016 par Alice Jehan et Solène Ducretot, porte-parole de Sandrine Rousseau, le collectif a pour but la promotion et le développement du mouvement écoféministe. En 2019, elles ont créé Après La Pluie, le premier festival écoféministe organisé dans l’Hexagone. Entre animations, tables rondes, ateliers et plateaux médias, le courant a été largement porté et diffusé au grand public avec pas moins de 60 intervenants et intervenantes. 

L’écoféminisme en ville, ça donnerait quoi ?

Le festival a, par la suite, donné lieu à l’édition d’un livre. Dans l’ouvrage, Léa Vasa, élue déléguée au climat dans le 10e arrondissement, nous évoque les stratégies écoféministes en milieu urbain.

Appliquer l’écoféminisme en ville revient selon elle est une “bataille contre-nature, contre-culture”.  L’actuel modèle que la ville dévoppe ne serait pas écologique et encore moins féministe. Alors, même si le désir de s’émanciper de ce modèle se fait sentir, la parole des femmes reste toujours mise de côté dans les instances décisionnelles. De ce fait, elles s’emparent d’autres politiques, à échelles plus réduites, locales et communautaires.

Les villes d’aujourd’hui sont fortement inégalitaires et accentuent la situation précaire des femmes. Les Quartiers Prioritaires l’illustrent bien, lorsque l’on s’y penche d’un peu plus près on peut remarquer que 22% des ménages y sont constitués de femmes seules avec enfants. Ces dernières, qui finissent bien souvent seules après leur soixantaine, subissent par conséquent les pollutions liées à ces zones d’habitat : pollution sonore, d’air, de l’eau, des sols… 

Face à cela, des initiatives bottom-up (émanant des citoyens) ont émergé pour contrecarrer les mauvaises conditions de vie de ces femmes. C’est le cas de la Maison des Babayagas créée en 2013 par Thérèse Clerc et installée en plein cœur de Montreuil. Cette maison, lieu d’accueil pour les femmes vieillissantes seules ou en couple lesbien, est en totale autogestion et illustre aux administrations et politiques de ce qui est réalisable et fiable en instance communautaire.

Si elles se regroupent bien souvent en communauté, c’est qu’elles ne se sentent pas acceptées sur l’ensemble du territoire urbain. L’espace public est le premier bien commun des villes et pourtant les femmes ont bien du mal à trouver leur place. La sur-occupation masculine de ces lieux est bien connue. Plus nombreux, plus à l’aise, plus bruyants mais aussi plus présents dans la symbolique avec les noms de rue et les statues, les hommes occupent l’espace tandis que les femmes s’y occupent. Les espaces publics où nous les retrouvons le plus sont dans les espaces végétalisés et les jardins partagés. Elles y jouent un rôle prépondérant et contribuent au maintien des dynamiques écologiques et de la biodiversité. Là où les politiques de développement durable actuelles échoueraient en tout point en préconisant une écologie de la jardinière, c’est-à-dire une utilisation du végétal seulement de façon récréative et décorative plutôt que effective par ses fonctions écologiques. “Voilà les rares lieux où les femmes reprennent leurs droits sur l’espace public! Car la nature n’est pas la seule à être exclue.” dénonce l’élue. 

En plus des espaces publics, les instances de concertations se révèlent, elles aussi, peu accessibles aux femmes. Les institutions chargées de l’aménagement et de la gestion de la ville se démocratisent de plus en plus par les ateliers de concertation et de co-construction. Pourtant, même si leur accès est théoriquement égal au regard du genre, les femmes sont bien moins présentes lors de ces réunions que les hommes. Les codes et le jargon employés remettraient les femmes en arrière-plan, tout comme les interactions sociales qui sous-estimeraient leurs compétences : parole coupée, moqueries… Ce constat n’est pas nouveau et même amplement généralisé en politique, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, les femmes politiques qui prennent la parole esquissent régulièrement les moqueries et l’oppression machiste des hommes parlementaires : caquètements, sifflements, réflexions vestimentaires, insultes… 

De nouvelles méthodes ont émergé et on retrouve aujourd’hui des initiatives d’analyse de de territoire qui se font aussi par marches exploratoires en groupe de femmes, davantage axées sur une approche sensible de l’espace. Bien qu’elles fonctionnent, elles restent tout de même moins puissantes que les analyses budgétaires qui considèrent la dimension genrée et qui assurent des dépenses publiques équitables pour tous les genres. 

Finalement, Léa Vasa décrit les femmes comme des “Activistes, politiques, juristes des villes, [qui] plaident dans les couloirs des institutions pour des constitutions écologistes, pour le réenchantement de la vie par la symbiose retrouvée entre nature et taux de participation plutôt égalitaires entre les cultures, que l’urbain semble avoir fini de diviser définitivement par une épaisse couche de bitume.”

Une ville écoféministe donnerait donc plus de poids aux femmes en les ramenant à des postes plus affluents, et modèrerait l’ascendance des métropoles pour promouvoir et reconnaître davantage les modèles autogestionnaires et d’échelle micro-locale de gouvernance dans lesquelles les femmes ont déjà plus de  pouvoir. Il ne s’agit donc pas là d’éradiquer la présence masculine en ville et dans la fabrique urbaine mais bien de la temporiser en donnant davantage de place aux femmes pour que l’égalité des genres soit tenue. 

Alors, si pour certains le courant de pensée de l’écoféminisme est perçu comme trop radical, idéaliste, essentialiste, voire même victimaire, pour d’autres (ce qui vaut aussi pour sa théorie) il ne prône que l’égalité des genres et une meilleure gestion de l’écologie par le renversement du modèle de société actuelle.