Il est tout à fait normal que le grand public ne soit pas familiarisé avec les notions parfois pointues de l’urbanisme ou de l’architecture, d’autant plus quand les professionnels eux-mêmes ne savent pas toujours comment définir unanimement certains concepts. Est-il alors possible de permettre à tous de comprendre ce langage commun, nécessaire à la construction d’une ville ?
L’objectif de cet article n’est bien entendu pas de se risquer à donner des définitions précises de notions urbaines mal comprises, mais bel et bien de d’essayer de déceler les raisons pour lesquelles ces termes peuvent être mal interprétés. Est-il possible de trouver un compromis ?
La prolifération d’un vocabulaire pour mieux comprendre la ville
Pour construire communément une ville à échelle humaine, le vocabulaire développé en matière d’urbanité se développe à la même vitesse que les villes : de manière exponentielle et sans limites ! Les mots de l’urbain se multiplient donc, parfois se confondent les uns avec les autres, souvent divisent même les professionnels pour donner des définitions claires et universellement reconnues. Ne seraient-ce que les mots « ville » ou même « urbanisme » ne sont pas si simple à comprendre entièrement, encore moins à définir. Même au sein de notre rédaction, les définitions des uns ne sont pas toujours validées par les autres !
Impossible de construire une ville accueillante pour tous sans même connaître la définition de ce que l’on cherche ?
Des notions ambiguës sources de méfiance
De nombreuses notions sont en effet parfois très ambiguës au sein des personnes et dans l’imaginaire collectif. Même parmi les habitués, certaines sont parfois source de préjugés, de réflexions trop hâtives… et cela entraîne une perception de la ville qui se construit mentalement et qui par conséquent se répand comme la peste dans l’esprit de beaucoup.
Par exemple, le mot « banlieues » a aujourd’hui auprès des personnes qui ne les connaissent que trop peu une image très grise parce que très médiatisée par les chaînes d’informations ou par des films qui portent sur les quartiers des grands ensembles un regard catastrophique. La représentation de jeunes en recherche de liberté, qui ne souhaitent que s’exprimer sur leur quotidien, tombe dans le cliché, construit collectivement, d’une zone « à part » qui doit être traitée « à part ». Mais les banlieues, ce n’est pas uniquement ça. C’est aussi et justement, des jeunes en recherche de liberté qui souhaitent s’exprimer. Qui souhaitent surtout être entendus. Les banlieues sont le terreau d’une force collective qui est aujourd’hui mise à l’écart dans l’esprit de beaucoup, aux dépens de ces « quartiers » qui ne reçoivent finalement pas tout l’intérêt qu’ils méritent. La notion de banlieue, mal interprétée par un grand nombre d’initiés mais aussi d’amateurs, crée ainsi une méfiance à l’égard de ces zones urbaines oubliées et rabaissées et ralentit grandement les efforts en leur sens.
Illustration de Sandrine Martin
On y associe d’ailleurs souvent la notion de « densité ». Or, la présence de tours dans un grand nombre de ces banlieues est au contraire caractéristique d’une densité moins importante qu’il peut n’y paraître. La densité est un terme également mal connu et perçu négativement. En particulier parce qu’il s’agit aussi d’une notion subjective. Si la densité peut-être calculée mathématiquement, elle véhicule également une image qui peut être tout à fait néfaste si la construction urbaine est mal manipulée et si la densité est trop imposante aux yeux des utilisateurs de la ville. Par exemple en centre-ville, lorsque la vacance existe, il semble beaucoup plus pertinent de reconquérir ces espaces perdus plutôt que d’étendre l’emprise urbaine à l’extérieur de la ville. Densifier le centre-ville à échelle humaine est au contraire une manière de favoriser son dynamisme.
La ville est une longue phrase
D’ailleurs, on associe également de plus en plus le centre-ville et son dynamisme avec sa « piétonnisation ». Ce mot est également à prendre avec méfiance dans la mesure où dans son cas, ce n’est pas tant la définition qui lui fait défaut, mais surtout la manière de l’utiliser et de le conjuguer avec d’autres notions. L’idée donc de rendre piéton un espace urbain, d’y interdire les voitures personnelles par exemple, utilisée seule, peut être synonyme de mise à l’écart de personnes ne pouvant pas s’y rendre autrement. Notamment les personnes des « banlieues » ou encore les PMR (encore une notion mal connue !). Mais conjuguée avec « mobilités durables », avec « solutions alternatives pour tous », avec « espaces publics accueillants », alors la piétonnisation peut être reconsidérée comme une solution pour la ville de demain.
En somme, construire la ville c’est comme la grammaire : c’est très bien de connaître le vocabulaire, mais c’est encore mieux de savoir conjuguer les mots de la ville.
Le développement des villes ralenti par une mauvaise compréhension des mots
Malheureusement, la mauvaise appréhension de ces mots de l’urbain entraîne des réflexions et des images négatives de ce qu’ils représentent. Au contraire, bien maîtrisés, ils peuvent être source d’une meilleure compréhension des processus qui font la ville.
Alors quand les citadins sont invités à réfléchir à la construction de leurs lieux de vie, un des freins à la bonne maîtrise du projet et à un meilleur partage concerne le fait que l’on débatte autour de mots dont chacun pense connaître la signification. Chacun se construit ainsi un imaginaire de la ville et pense bien agir en fonction de définitions qui ne sont pas toujours adéquates ou complètes.
Aussi, derrière des « gros mots » de la ville, certains peuvent avoir peur de ce qu’ils représentent, comme c’est parfois le cas avec le mot « piétonnisation ». Les mots impressionnants comme celui-ci peuvent entraîner de lourdes conséquences au sein de l’urbain. Mais conjugués avec d’autres notions (et les élus doivent également intégrer cette idée), ces mots impressionnants peuvent au contraire devenir une véritable ouverture sur l’avenir de la ville amicale. Parce que construire la ville ensemble, c’est d’abord construire un vocabulaire et une langue commune et partagée.