Le design urbain, par et pour les habitants
Qui connait mieux la ville que celui qui la pratique au quotidien ? Souvent peu pris en compte dans la rĂ©flexion de projets urbains, le savoir habitant a pourtant beaucoup Ă apporter. Premier acteur de son territoire, le citadin a la capacitĂ© singuliĂšre dâexpĂ©rimenter la ville Ă travers divers usages et bien souvent de capter lâensemble des interactions qui sây dĂ©veloppent. Lâimplication habitante dans un processus de co-conception dâespace Ă une double vertue : la premiĂšre est de prendre en compte dans les enjeux du projet les savoirs issus de lâexpertise des habitants qui pratiquent la ville au quotidien, mais Ă©galement de proposer un projet cohĂ©rent pour favoriser son acceptation par la population. De nouveaux modes de co-crĂ©ation sont dâailleurs portĂ©s par des collectifs pluridisciplinaires qui cherchent Ă intĂ©grer dans la rĂ©flexion du projet les capacitĂ©s dâexplorateurs quotidien de la ville que possĂšdent ses habitants. Lâapproche sensible dĂ©veloppĂ©e par la crĂ©ation de balades urbaines permet alors aux concepteurs des espaces urbains de placer les citoyens au coeur des projets de territoire.
Aussi, une des particularitĂ©s du design urbain est de mettre le savoir collectif au centre de la crĂ©ation. Câest ce que sâest donnĂ© pour objectif le collectif ETC dans la rĂ©alisation de ses diverses expĂ©rimentations urbaines. En 2011, le collectif, laurĂ©at du concours âDefrichez-laâ lancĂ© par lâEtablissement Public dâAmĂ©nagement de Saint Etienne, a investi pour une durĂ©e de 3 ans un vide urbain. Lâoccupation de cette friche, renommĂ©e âPlace du GĂ©antâ, a permis dâimpliquer les habitants dans les processus de rĂ©flexion du devenir de la place dans lâattente dâun projet immobilier. RenommĂ© âPlace au changementâ, le lieu sâest voulu comme un chantier ouvert dans le but de donner vie Ă ce lieu inoccupĂ©. Le collectif a ainsi dessinĂ© sur le sol et le pignon de façade des plans fictifs de futurs logements pour aider les habitants Ă se projeter dans un volume virtuel afin de discuter des possibilitĂ©s dâamĂ©nagement. De nombreux ateliers ont Ă©tĂ© imaginĂ©s tout au long de lâoccupation de ce site. Gratuits et de natures variĂ©es (jardinage, crĂ©ation de mobiliers, illustrations…), ils ont permis de fĂ©dĂ©rer un large public et de collaborer pour la conception de lâespace public temporaire.
« La Place du GĂ©ant », co-construite par les habitants vu de la terrasse du Parcotrain Ă Saint-Etienne – CrĂ©dit photo ©Collectif ETC via WikipĂ©dia
De lâordinaire Ă la curiositĂ© urbaine
Les installations graphiques issues du design urbain ont Ă©galement pour vocation de changer lâimage dâun lieu, de renforcer son identitĂ© et lui donnant une esthĂ©tique nouvelle. Souvent utilisĂ© pour rĂ©vĂ©ler des espaces ordinaires du quotidien, la mise en rĂ©cit du lieu par lâinstallation dâune oeuvre, la coloration de son architecture ou le dessin renouvelĂ© de ses formes, a la capacitĂ© de lui donner une Ăąme et Ă©veiller la curiositĂ© des visiteurs. Ainsi, de petites installations dans lâespace urbain peuvent avoir de rĂ©els impacts sur lâidentitĂ© de ce dernier, comme lâillustre ce terrain de basket ball Ă Paris, qui suite Ă sa repeinte est devenu un lieu incontournable des photographes et des sportifs parisiens.
Playground DuperrĂ© Ă Pigalle, Paris – CrĂ©dit photo ©Mathieu Chassara via Unsplash
Ă plus grande Ă©chelle, lâutilisation du design urbain peut complĂštement transformer lâimage dâun quartier. Câest ce qui sâest passĂ© Ă Copenhague, au Danemark, dans le quartier de NĂžrrebro. Dans le but de revitaliser un des quartiers les plus socialement et ethniquement diversifiĂ© de la ville, le parc urbain Superkilen, dâun demi-kilomĂštre de long, a Ă©tĂ© amĂ©nagĂ© pour crĂ©er un espace public appropriable par lâensemble des habitants. Dans le pays du design, la collaboration entre lâagence dâarchitecture BIG, lâagence de paysagisme Topotek 1 et le collectif dâartistes Superflex a fait naĂźtre ce projet insolite, celui de crĂ©er un parc urbain universel regroupant une collection dâobjets mondiaux mis en scĂšne. Ainsi sur 3 zones diffĂ©renciĂ©es par des identitĂ©s plastiques et graphiques qui leur sont propres, un ensemble de mobiliers urbains issus dâune soixantaine de pays a Ă©tĂ© disposĂ©. Les passants peuvent utiliser des Ă©quipements sportifs de Los Angeles, sâabriter sous les palmiers de Chine ou cerisiers du Japon, marcher sur les plaques dâĂ©gouts dâIsraĂ«l et profiter des enseignes lumineuses du Qatar, cet ensemble hĂ©tĂ©roclites faisant Ă©chos Ă la diversitĂ© des origines prĂ©sentes dans le quartier.
Ces 3 espaces distincts accueillent chacun des activitĂ©s variĂ©es. La premiĂšre zone, surnommĂ©e la place rouge, est principalement dĂ©diĂ©e aux sports. Son sol, recouvert de caoutchouc rouge, renforce fortement lâesthĂ©tisme du lieu. Entre les zones de skate et les rings de boxe thaĂŻlandaise, les enfants peuvent profiter dâune aire de jeux Ă©quipĂ©e de bancs brĂ©siliens et des balançoires venues dâIrak.
Les couleurs vives du sol font parties intĂ©grantes du lieu. « Den RĂžde Plads » (Place Rouge) dans le Parc Superkilen Ă Copenhague, Danemark – CrĂ©dit photo © æșć»șçŻäșșææç¶Čç« Forgemind ArchiMedia via WikipĂ©dia
La deuxiĂšme zone se veut comme un salon urbain. Le mobilier urbain accueille les joueurs de backgammon et d’Ă©checs, venus passer un moment de dĂ©tente et dâĂ©change. Au sol, des lignes blanches apportent une vĂ©ritable dynamique au lieu. Enfin la troisiĂšme zone est un âparc vertâ qui offre des espaces vallonnĂ©s permettant aux habitants de sây installer pour pique-niquer ou pratiquer des activitĂ©s en plein air.
Lâensemble de ce projet a Ă©tĂ© co-construit avec les habitants du quartier, dont certains sont partis en voyage Ă la recherche dâobjets Ă intĂ©grer. Ce parc est un vĂ©ritable succĂšs : en offrant une diversitĂ© dâusages, des ambiances diffĂ©rentes, et en lui attribuant un caractĂšre cosmopolite, lâĂ©quipe de concepteurs a rĂ©ussi le pari de crĂ©er un parc appropriable par tous, propice aux Ă©changes et rencontres. La conception du parc a Ă©galement permis dâattirer de nouveaux usagers dans le quartier, et notamment de nombreux touristes qui viennent dĂ©couvrir ce lieu unique et insolite.
Le design urbain au service des usagers
Apporter des solutions pour faciliter les modes de vie urbain est Ă©galement un des buts du design urbain. Comme lâĂ©crivait lâarchitecte Camillo Sitte dans son ouvrage Lâart de bĂątir les villes en 1889, âtous les principes de lâart de construire les villes se rĂ©sument dans le fait quâune citĂ© doit offrir Ă ses habitants Ă la fois la sĂ©curitĂ© et le bonheurâ. Un peu plus dâun siĂšcle aprĂšs, les prĂ©occupations des amĂ©nageurs restent les mĂȘmes : proposer des repĂšres dans les villes pour favoriser le sentiment de sĂ©curitĂ©, lâappropriation et de bien-ĂȘtre. Le design urbain peut alors se mettre au service de ces problĂ©matiques car son process intĂšgre dĂšs le dĂ©but la question de lâusager et peut dĂ©velopper une approche artistique et crĂ©ative qui va faciliter la crĂ©ation dâune ville unique. Avec souvent de petites interventions dans le paysage urbain, il a la capacitĂ© dâimpacter fortement lâesprit des lieux, les rendant plus facilement appropriables et personnalisĂ©s.
Dâailleurs, le travail de design signalĂ©tique a souvent un rĂŽle important dans l’apprĂ©ciation dâun lieu et marque les esprits. En un regard, on peut ainsi savoir dans quel univers urbain on se trouve. Certaines villes dĂ©veloppent ainsi une rĂ©elle personnalitĂ© avec des installations urbaines spĂ©cifiques, comme par exemple les bouches de mĂ©tro parisiennes conçues par Guimard qui possĂšde la mĂȘme forme et le mĂȘme univers graphique, qui permet de crĂ©er des repĂšres dans la ville. Autre exemple, au Portugal, sur les bords du Tage Ă Lisbonne, lâagence de communication graphique P-06 Atelier et Global Landscape Architects, ont rĂ©alisĂ© un remarquable travail de signalĂ©tique sur la nouvelle piste cyclable. En favorisant les usages sur le lieu, les designers ont Ă©galement apporter une nouvelle identitĂ© graphique.
Dans le quartier de Belem Ă Lisbonne, la piste cyclable accueille une signalĂ©tique originale – CrĂ©dit photo ©Google Street View
Penser une meilleure appropriation de la ville passe Ă©galement par un travail fin qui favorise le sentiment de sĂ©curitĂ© chez les usagers en jouant sur un dialogue apaisant et des dispositifs participant Ă un changement dâimage dâun lieu autrefois peu accueillant, anxiogĂšne ou encore inconnu. Dans cette approche, le designer hollandais Daan Roosegaarde, en collaboration avec Heijmans, a par exemple mis au point une technologie innovante permettant dâĂ©clairer une piste cyclable lorsqu’elle est pratiquĂ©e de nuit. Sâinspirant du tableau de Vincent Van Gogh âStarry nightâ, lâinstallation propose une expĂ©rience sensible de la pratique nocturne du vĂ©lo. Assurant lâĂ©clairage de la piste, elle offre Ă©galement un moment de poĂ©sie dans le quotidien monotone des usagers.
La piste cyclable Van Gogh Ă Nuenen, Pays-bas – CrĂ©dit photo ©Daan Roosegaarde via WikipĂ©dia
LâintĂ©gration de designers urbains dans les Ă©quipes de concepteurs peut donc permettre et faciliter lâattention portĂ©e aux qualitĂ©s dâusage des espaces crĂ©Ă©s. Câest dâailleurs le choix que font aujourdâhui certaines Ă©quipes, qui Ă travers la pluri-disciplinaritĂ©, proposent des processus de crĂ©ation collaboratifs qui permettent dâaboutir Ă une vraie intelligence de projet. Les artistes peuvent Ă©galement apporter une touche dâesthĂ©tisme et contribuer Ă crĂ©er des univers graphiques pour des ambiances urbaines plus riches. En intĂ©grant cette diversitĂ© dâexpertise, il est alors possible de ne plus seulement se pencher sur la spatialitĂ© ou encore lâesthĂ©tisme du projet mais Ă©galement sur son cĂŽtĂ© durable et appropriable. EspĂ©rons que ce type dâinstallations et initiatives se dĂ©veloppent davantage pour que nos villes deviennent plus surprenantes et plus humaines, pour un quotidien moins monotone et davantage familier.
Photo de couverture Parc Superkilen Ă Copenhague – CrĂ©dit ©Sam Poullain via Unsplash