Le design du mobilier urbain au coeur de l’aménagement

Le mobilier urbain est l’ensemble de ces objets qui peuplent l’espace public, ceux qui facilitent l’usage et la vie au sein de ces espaces : les bancs, les réverbères, les tables, les poubelles, les toilettes et boîtes aux lettres publiques, les porte-vélos, les bacs à fleurs, les abribus… Leur présence ponctuelle, et nécessaire, favorise et renforce finalement la piétonnisation de nos villes en attribuant un meilleur confort et une plus grande qualité perçue aux espaces publics extérieurs.

Porte-vélos parisiens ©Nathan Rémond

On pourrait se poser la question, de savoir quand ce sujet du mobilier apparaît dans le processus de conception d’un projet urbain : arrive-t-il en amont ou en aval ? Il est possible de croire que ces objets viennent simplement terminer et finir le projet, mais pourtant il y a le désir, et sûrement aussi la nécessité, de les faire dialoguer avec le projet. Notamment pour qu’ils ne viennent pas sommairement se surajouter, mais bien le structurer et le compléter. À cet effet, après avoir réfléchi au partage des espaces publics entre les piétons, les automobilistes, les vélos et les transports publics, mais aussi après avoir organisé la gestion des flux et adapté le projet aux aspects plus techniques comme le nivellement et l’assainissement, vient la question du concept, de la forme et des ambiances de l’espace – c’est-à-dire la question du design urbain. Le sujet du mobilier urbain arrive donc très rapidement et en même temps que celui du revêtement, de la lumière ou du traitement des espaces verts, pour réfléchir parallèlement au choix des potelets, des poubelles, des luminaires, des bancs, des couleurs, de la forme, des positions…

Pour y répondre, le design fait appel à ses facultés transversales pour aménager et requalifier les villes par un travail sur la qualité paysagère, l’harmonisation des espaces, le traitement des surfaces et le mobilier urbain en tant que tel. Finalement, le design urbain agit une fois que l’organisation et la morphologie de la ville aient été planifiées par les urbanistes et une fois que la forme ait été définie par les architectes. Un entre-deux qui permet de placer le mobilier urbain au cœur de l’aménagement et qui donne aux designers la charge d’inventer et d’expérimenter de nouveaux concepts dans le but d’améliorer la qualité de vie, pour allier l’utile à l’agréable.

La praticité avant tout…

Dans sa fonction première, le mobilier urbain n’est pas simplement “joli”, il est surtout pratique et en cohérence avec ses alentours. Il permet à la fois d’informer, de sécuriser, de maintenir une hygiène mais aussi de rendre plus agréable et confortable l’expérience des usagers de l’espace public extérieur. En somme, il répond aux besoins de ces usagers. Cependant, pour qu’il reste adapté, il est nécessaire de tenir compte de l’évolution des besoins et usages de l’espace public. On remarque notamment depuis ces dernières années, un tournant flagrant vers l’écologie. Aujourd’hui, le mobilier urbain doit répondre aux problématiques environnementales actuelles, que ce soit par le biais d’usages comme avec des bacs à composte qui favorisent la réutilisation de déchets, ou par la technique avec par exemple des bancs photovoltaïques qui transforment l’énergie solaire en énergie électrique ou encore d’arbres connectés pour lutter contre les îlots de chaleur. 

Outre ces usages plutôt explicites et évidents, le mobilier urbain doit également pouvoir cumuler la fonction du social. Alors que le rythme de plus en plus dense et individualiste des grandes villes commence à prendre le dessus sur la convivialité, un retour au partage et à l’amical se fait ressentir, et d’autant plus depuis que la crise sanitaire a instauré des limites de distanciation sociale. Un espace public avec un mobilier urbain harmonieux recrée déjà du lien entre habitants en les incitant à sortir, mais si en plus le mobilier est conçu de sorte à favoriser les échanges, la ville devient tout de suite plus animée et vivante. À ce titre, les assises y contribuent énormément, tout comme les installations de jeux d’enfants ou de sports extérieurs. 

Plus largement, le mobilier peut également contribuer à la ville inclusive, que ce soit du point de vue du genre comme avec le projet MonumentalEs du collectif Genre et ville qui rend hommage à des femmes célèbres, ou par rapport au handicap ou l’intergénérationnel. À titre d’exemple, l’agence d’architectes Ballman Khapalova s’inspire des aires de jeux pour proposer un mobilier urbain à destination de toutes les générations à San Francisco. Dans leur promenade Rest and Play, les stations de repos sont accessibles à toutes et tous, permettant à la fois la sociabilité et l’apprentissage. 

Si le nom de mobilier urbain insinue qu’ils sont mobiles, ils ne le sont pourtant que très rarement. Ce terme désigne en réalité, et en pratique, leur caractère convertible et transformable. Contrairement aux édifices, ils sont en effet plus susceptibles de régulièrement se transformer au gré des mutations d’usage et de goût, que le reste de la ville. La ville de Paris a notamment lancé un grand plan de renouvellement de son mobilier urbain, faisant suite aux multiples manifestations de citadins, via le mouvement #SaccageParis, qui mettaient en avant le manque d’entretien, d’esthétisme et d’utilité de certains objets publics.

…ou l’esthétisme au-delà du fonctionnalisme ?

Bien qu’il soit porteur d’une approche fonctionnaliste, le mobilier urbain porte une double casquette puisqu’il est également vecteur d’esthétisme et d’identité. Avec un rapport à l’échelle plus direct à l’humain, il domestique en quelque sorte l’espace public par ses “meubles” et construit une expérience intime de la ville tout en lui attribuant une qualité d’usage et une identité globale par le sensible.

Dans sa définition même, le mobilier urbain a la volonté d’harmonisation, d’homogénéisation et d’appartenance, il devient donc un levier d’uniformisation et d’affirmation territoriale par la création d’une identité à travers différents objets publics. Au-delà d’être esthétiquement agréables, ces “meubles” doivent refléter une unité et une harmonie qui véhiculent l’image de la ville. Ils deviennent alors parfois le symbole même de la commune lorsque leur design est poussé jusqu’au bout. C’est notamment le cas pour la capitale de la pipe, la ville de Saint-Claude située dans le Haut-Jura, qui a transformé ses poubelles en l’objet qui la symbolise. Un design qui renforce à la fois son attrait identitaire mais aussi son attractivité touristique.

À Limoges, la capitale de la porcelaine de table, la municipalité a également décidé de renforcer son identité par la mise en place d’assises en porcelaine, après s’être aperçue qu’elle n’était que très peu présente dans l’espace public. En lien avec le réseau des Villes Créatives de l’Unesco, le programme a permis la valorisation de la porcelaine au travers de mobilier en céramique disposé un peu partout dans la ville. Une manière de réaffirmer son identité grâce à son patrimoine et au savoir-faire local, mais aussi d’innover en termes de matières premières de conception. Et si vous pensiez que la porcelaine est un matériau fragile, détrompez-vous puisqu’ici la technique de fabrication permet une résistance mécanique aussi forte que celle des bancs en acier. Une dimension importante à prendre en considération puisque le mobilier urbain se doit d’être résistant et durable dans le temps, situé à l’extérieur il doit pouvoir faire face à l’usure due aux flux d’usagers et aux conditions météorologiques. A cet effet, la porcelaine a également l’avantage d’être une matière qui se nettoie toute seule grâce aux intempéries, ce qui limite largement le coût de l’entretien du mobilier.

Finalement, plus que l’artiste qui nous invite à remettre en question notre compréhension de la réalité, le designer de mobilier urbain propose des solutions innovantes qui répondent à la fois aux enjeux d’identité mais aussi fonctionnalistes. Le mobilier urbain devient alors des points de repères qui donnent une cohérence à la ville et constituent des marqueurs de l’histoire des villes.

Photo de couverture : ©Getty