La montée en puissance du conservatisme et le repli sur soi

En Corse, il y a eu la récente élection du président « nationaliste » de la collectivité territoriale, Gilles Simeoni. Cette semaine, il y a eu l’accord passé entre les conservateurs autrichiens et leur extrême droite. Il y a deux mois en Catalogne, le vote en faveur de l’indépendance de la région espagnole. Les récents exemples de revendications indépendantistes, nationalistes ou même identitaires ne manquent pas ces derniers temps. Car au delà, à travers ces trois exemples, il serait aisé de constater que vivons en ce moment-même une véritable banalisation de la montée de l’extrême droite et des pensées conservatrices en Europe.

Ces penchants politiques – mais aussi sociétaux ! – sont globalement caractérisés par une pratique plus individuelle du territoire, plus autonome justement. Ou peut-être en tout cas plus frileuse, plus timide, plus précautionneuse vis-à-vis de « l’autre », vis-à-vis des personnes qui ne sont initialement pas originaires de leur territoire, ceux qui ne seraient pas de ceux qu’on appelle les « de souche », ou ceux issus d’une classe sociale différente. L’urbanisme d’une époque est bien souvent le reflet de notre société. Face à cette montée des mouvements identitaires européens, ne faudrait-il pas y voir aussi dans certains mouvements urbanistiques, un reflet de ces replis sur soi auxquels on assiste politiquement et plus globalement dans nos sociétés ?

En résumé, existe t’il aujourd’hui, au regard de cette montée des extrêmes, un urbanisme lui même replié sur lui-même, craignant « l’étranger » et le repoussant ?

Les témoins urbains d’une pensée sélective et peu inclusive

Les idées conservatrices semblent en effet se retrouver dans les espaces urbains que nous côtoyons chaque jour. C’est-à-dire qu’un sentiment de repli sur soi, de frilosité, de la part de la ville semble s’opérer. Un sentiment de fermeture à l’autre, voire même de méfiance lorsque nous traversons les rues… Serait-ce le symbole de la tendance politique territoriale, ou est-ce que ce sentiment d’individualisme prend-il sa source ailleurs, plus profondément dans les esprits de chacun ?

Parmi les exemples d’un urbanisme qui semble défensif et sélectif, le mobilier urbain « hostile » est véritablement le symbole d’une exclusion de certaines personnes, pour les empêcher de profiter de la rue dans laquelle, rappelons-le, chacun est censé pouvoir y vivre, s’y arrêter, s’y reposer, y squatter même ! En particulier, de nombreux bancs publics sont aujourd’hui conçus de manière à ne plus pouvoir s’y allonger, donc à ne plus pouvoir y dormir… Des douches automatiques sont installées pour déloger les personnes qui souhaiteraient s’abriter sous le porche, et les SDF n’ont donc ni toit, ni possibilité de dormir dans l’espace public.

De la même manière, mais à une échelle différente, nous pouvons retrouver de la part de certaines mairies cette fermeture au social, en refusant de construire sur leurs communes la part obligatoire de logements sociaux et en préférant s’acquitter de la taxe alors prévue (Cannes, Boulogne-Billancourt, Versailles par exemples). Comme une peur de s’exposer à ce qui n’est pas semblable, comme une peur de se risquer à l’ouverture en favorisant l’intégration d’une classe sociale différente.

Nous pourrions également évoquer les ajouts métalliques sur les rampes, sur les mobiliers des espaces publics pour empêcher les skaters de slider et de faire toute autre figure permettant de profiter pleinement de sa planche et de son sport…

Les espaces publics ne sont pas épargnés. La liberté de leurs utilisateurs en est altérée par la privatisation croissante des lieux de vie. Par exemple à Istanbul, à l’origine des mouvements de revendication de la Place Taksim, les autorités municipales souhaitaient abattre les arbres du parc Gezi, si représentatifs de la vie stambouliote. A la place, une grande zone commerciale était prévue, un symbole bien moins ouvert et bien moins rassembleur qu’un parc ou même que la place Taksim, tout deux symboles de la république turque…

Plus récemment, le marché de Noël sur les Champs Elysées est annulé pour « favoriser une meilleure qualité des produits vendus »… Il n’y a certes, au premier abord, aucun rapport entre le mobilier hostile déployé à l’égard des SDF et la non reconduction du marché de Noël parisien. Mais si l’on y regarde d’un autre prisme, on peut peut être se demander quel genre de ville est souhaité par ces deux événements. La ville inclusive en est bien loin en tout cas…

Dans une certaine mesure, la piétonnisation des métropoles contribue aussi à rendre difficile l’accès des centre villes à des populations vivant en dehors des centres. Là encore, il s’agit d’améliorer la vie des habitants, des locaux, mais au dépend de quoi ou plutôt de qui ?

Ces démarches employées par certaines communes permettent par moments d’imaginer que c’est bel et bien le choix politique conservateur qui détermine la construction d’une ville sélective. Mais est-ce vraiment si simple que ça ? En effet, l’inconscient collectif, véhiculé médiatiquement, n’aurait-il pas lui aussi un rôle à jouer dans ce sentiment de repli, dans cette peur croissante de l’autre ?

Si les éléments urbains comme le mobilier hostile par exemple pullulent un peu partout, il n’apparaissent pas uniquement dans des communes pour lesquelles le courant conservateur est majoritaire. Le constat est d’ailleurs le même pour ces espaces publics qui deviennent privatisés et qui compromettent les rencontres. Alors d’où vient en fin de comptes cette crainte et cette non-inclusion ambiante ? N’est-ce pas justement la présence d’un urbanisme exclusif qui inconsciemment alimente la crainte de l’autre ? En d’autres termes, de l’œuf ou de la poule, de la montée du conservatisme ou du repli sur soi de la ville, lequel est initialement la cause du second ?