L’exode urbain a-t-il eu lieu ?

Journalistes, géographes, spécialistes de l’urbain, citoyens, … tout le monde s’est pris de fascination pour le concept d’exode urbain il y a tout juste deux ans. Tous annonçaient que la pandémie mondiale et les confinements successifs ont accéléré un mouvement déjà sous-jacent : l’envie des citadins de partir s’installer à la campagne, en bord de mer, dans des villes moyennes ou même dans des villages. Bref, n’importe où sauf dans les métropoles, jugées étouffantes. 

Avec un peu de recul, l’exode urbain n’est pas ssi simple à identifier. Avec sa publication Exode urbain ? Petits flux, grands effets le POPSU, la plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines, est venu nuancer les premiers commentaires réalisés à chaud. À partir de plusieurs études de terrain, de l’analyse des changements d’adresses déclarés à la Poste et de celle des recherches immobilières en ligne, les chercheurs ont pu montré que les changements et les flux importants qu’on a pu observer en 2020 et 2021 tiennent surtout à des envies déjà présentes avant la pandémie. La Covid-19 a surtout constitué un déclic pour les ménages en capacité de partir des grandes villes, notamment en capacité financière par l’investissement dans la pierre, ou grâce au télétravail accordé à une certaine frange de la population.  De plus, plus qu’un véritable exode urbain, le géographe Max Rousseau préfère parler de “méga-périurbanisation”. Des petites villes, à proximité des lignes de TGV où des métropoles voient ainsi leurs populations augmenter. 

La pandémie n’a donc pas totalement bouleversé la démographie du pays, ou en tout cas pas en seulement deux ans, mais force est de constater qu’on assiste ces dernières années à un changement culturel de fond. Alors que l’attrait pour les métropoles diminue pour beaucoup de citadins, les villes moyennes, “à taille humaine » leur font de plus en plus d’œil. Avant même la pandémie, 40 à 45% des français interrogés sur leur ville idéale désignaient alors que seulement 20% y résidaient. Un décalage des chiffres souvent lié à la réalité économique, culturelle et à une présence des services publics restreints dans les petites et moyennes villes. Le programme Action Cœur de Ville vise justement à revitaliser ces centres-villes et centres-bourgs, et ainsi permettre de concrétiser ces projets.

Le bilan de ces quatre ans d’ACV

Après seulement 4 ans d’existence du programme ACV, il est certain que l’ensemble des problèmes auxquels sont confrontés ces petites et moyennes collectivités (faible attractivité, vacance commerciale, accès à l’emploi et aux services publics…) n’est pas encore résolu. Pour autant, ces 4 années ont permis de mettre en mouvement ces communes. 

Un premier bilan rappelle tout d’abord les quatre angles clés de ce programme, centré autour de la réhabilitation et la restructuration de l’habitat en centre ville, le développement économique et commercial, la mise en valeur des espaces publics et du patrimoine, ainsi que l’accès aux équipements et aux services publics. Cinq milliards d’euros ont été injectés à la Banque des territoires en 2018 pour tenter de répondre à ces objectifs, et aujourd’hui, il ressort que la moitié du budget a été utilisée par les institutions publiques. Ces fonds ont permis notamment de mettre en place une forte politique de réhabilitation, rénovation, construction de 67 000 logements, bien au-dessus de l’objectif de 60 000 affiché au départ. Au total, ce sont actuellement près de 6 000 actions de villes en cours. 

Concernant les restructurations commerciales, les chiffres ne sont pas encore définis. Cependant, L’Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT) souligne les mesures complémentaires qui ont participé au bon déroulé des politiques publiques, comme les Opérations de Revitalisation du Territoire (ORT) installées en 2018 et visant à  cibler des périmètres afin de les revitaliser. Ainsi, plusieurs opérateurs ont pu massivement converger vers des stratégies communes : les communes d’ACV sont 223 à s’être emparées des ORT, soit la quasi-totalité. Le Fond Friches issu du Plan de Relance a également contribué à éliminer grand nombre de “verrues urbaines”. Le bilan souligne également l’existence de dispositifs accessibles aux villes voulant aller plus loin via des Appels à projets “Réinventons nos coeurs de ville” mis en place en 2019. Une démarche vers une sobriété foncière existe également, via l’utilisation de friches, des surélévations (tout en respectant les limites imposées par le PLU), le repérage de foncier invisible…

Concernant le bilan des effets du programme, l’ANCT a proposé un outil appelé Observatoire des mobilité dans les centres-villes ACV, afin de mesurer les flux par trimestres et en déduire un taux d’attractivité des centres-villes. Il en découle que la fréquentation a résisté pendant les confinements, ce qui est assez encourageant. Pour les villes ACV, la fréquentation a par ailleurs augmenté de 15% contre 2% pour les autres villes en moyenne, sur l’année 2021. Néanmoins, le tendon d’achille reste la vacance des commerces, qui se maintient à un taux assez élevé.

Mulhouse, ville moyenne dont le centre manque d’attractivité
©Wikimedia Commons

Action Cœur de Ville : une territorialisation trompeuse ?

Pour commencer, il convient de s’interroger sur l’exécution réelle d’une crise au sein des villes moyennes. Souvent décrites comme les premières à être touchées par les difficultés socio-économiques, elles ont bel et bien connu de profond bouleversements ces trente dernières années : désindustrialisation, métropolisation, et réduction des dépenses publiques. Cependant, cette conception est à nuancer : les centre-ville se dévitalisent, mais les aires péri-urbaines, quant à elles sont en expansion. Plutôt que d’avoir une réflexion en terme de poids démographique, il est plus adapté de réfléchir aux différents contextes régionaux et historiques car, ces diversités rendent complexe la mise en place d’un programme standardisé à une échelle nationale pour y répondre convenablement. 

Les villes moyennes bénéficient par ailleurs d’une place conséquente en termes de représentativité politique, comparé aux banlieues des grandes agglomérations par exemple. De nombreux financements et politiques publiques leur sont allouées, mais se résument souvent à des duplications de modèles appliqués dans les grandes villes, sans diagnostic approfondi. Les financements restent également limités, et c’est dans ce contexte qu’a émergé le programme ACV. Il a notamment permis d’intégrer plus d’acteurs et de débloquer certains projets déjà en cours mais qui peinaient à se réaliser. 

Une nouvelle version s’apprête à voir le jour cette année, mettant cette fois-ci l’accent sur les quartiers de gare et la requalification des entrées des villes. Les thèmes précédents seront également approfondis, comme par exemple les actions concernant le vieillissement de la population ou la transition énergétique des territoires.

La friche industrielle Rhodia canal de la Deûle-Saint-André-lez-Lille ©Wikimedia Commons

Quelle suite pour ACV ?

 “La France moche” : telle est la nouvelle cible du deuxième volet d’ACV, annonçait le coordinateur du programme à l’occasion des Assises du Logement ayant eu lieu ce jeudi 2 juin. Cette nouvelle phase commence cette année, et ce jusqu’en 2026. Destiné initialement aux centre-ville peu attractifs, comment ce programme peut-il entendre agir sur d’autres territoires, et lesquels ? En effet, pour cette édition, Rollon Mouchel-Blaisot a indiqué que le programme devrait être rattaché à la Première Ministre, car il inclurait des dimensions interministérielles comme la santé par exemple. Pour agir de manière profonde sur le territoire, il ne s’agit plus simplement de rénover pour redynamiser, mais bien d’avoir une réflexion globale autour de la mixité urbaine, du territoire et de la biodiversité. notamment dans des espaces clés que sont les entrées de ville et les quartiers de gare. Des territoires pilotes, tels qu’Epernay, ont également été sélectionnés pour mettre en place une sobriété foncière.

Épernay
©Wikimedia Commons

Il semblerait donc que ce deuxième volet intègre les manquements du premiers : une réflexion en termes de typologie de population plutôt que purement démographique, un changement d’échelle afin de diversifier la prise en compte des territoires… Néanmoins, on peut se demander si le Plan ne traite pas d’un problème plus grand qui le dépasse, à savoir une crise profonde du système urbain en général. L’exacerbation de la concurrence entre centre et périphérie, induit notamment l’extension continue des grandes surfaces commerciales, et les modes de fabrique de la ville top-down, est ont autant de failles auxquelles le Plan ne peut répondre. Néanmoins, les villes moyennes sont belles et bien des territoires clés de réflexion, et cette première approche est très encourageante pour aboutir à une décentralisation et une meilleure mixité urbaine.

Photo de couverture : ©Wikimedia Commons