Samedi 22 février, le Salon de l’agriculture ouvrira ses portes pour sa 52ème édition. Cette année encore, près de 1000 agriculteurs, producteurs, éleveurs, et artisans exposeront leurs métiers et feront découvrir leurs savoir-faire au grand public. Pour l’année 2020, le salon adopte d’ailleurs une thématique accrocheuse : “l’agriculture vous tend les bras” : la volonté d’inviter un public large à venir découvrir les métiers de l’agriculture est claire. L’événement ayant lieu chaque année entre la dernière semaine de février et la première de mars attire en une semaine plus de 600 000 personnes. Face à ce dernier, qui rappelons-le n’est pas gratuit (15€ par adulte, 8€ pour les enfants et étudiants), force est de constater que même en ville, l’engouement pour l’agriculture et le monde rural en général est grand. Déguster des légumes frais ou du bon pain, participer à un atelier de composition florale, prendre un selfie avec “Idéale” (vache égérie du salon 2020), découvrir le métier de vigneron ou de maraîcher : les occupations ne manquent pas au Salon de l’agriculture. Au parc des expositions, tous les thèmes sont abordés et les visites politiques comme celle du Président de la République fort attendues. En 2019, Emmanuel Macron a battu le record de temps de présence présidentielle au salon en y restant toute une journée, 14h durant. L’intérêt pour les personnalités politiques de se rendre au Salon va au-delà d’un souhait de dégustation de fromages fermiers. À l’heure où le nombre de fermes sur le territoire recule, la question de l’agriculture, du statut des métiers agricoles et du lien entre l’agriculture et la ville est fondamentale.
C’est précisément cette dernière question qui nous intéresse. Comment cultiver le lien précieux entre la ville et la campagne, l’urbanité et la ruralité ? Faut-il “construire des villes à la campagne, car l’air y est plus pur” comme l’aurait écrit Alphonse Allais à la fin du XIXème siècle ? Faut-il à l’inverse, investir nos espaces urbains pour en faire des lieux plus verts, plus ruraux ? Le Salon de l’agriculture fait partie de ces lieux où le lien entre urbain et rural se crée et qui permet, depuis plusieurs années, de faire réfléchir le public à cette thématique. En 2018, on pouvait entre autres choses, suivre des ateliers de fermes urbaines et l’on se projetait déjà sur le fait qu’en 2020 “Paris compterait 30 hectares d’agriculture urbaine.” Avons-nous, aujourd’hui, relevé le défi ?
Il semblerait que la France produise de moins en moins dans le domaine agricole depuis quelques années, forcée alors d’augmenter le nombre de ses importations. Dans l’assiette des français, 1 fruit ou légume sur 2 provient de pays étrangers. Puisque 80% de la population française habite aujourd’hui en ville, peu étonnant que la production agricole recule… Parallèlement à cela, on constate un retour au local. Les néo-paysans d’aujourd’hui sont, pour un tiers d’entre eux, issus d’un milieu professionnel tout autre que celui de l’agriculture, prouvant ce désir naturel de renouer avec les métiers de la terre. Et si les fermes urbaines étaient une solution pour reconnecter les urbains à leur territoire ? Sont-elles un moyen viable pour faire cohabiter la ville et la campagne et accélérer la transition écologique que semble préparer 2020 ?
Quand l’urbain a besoin de campagne
L’Union Européenne a dans ses papiers, la présentation imminente d’un Green Deal, ou Pacte vert, attendu d’ici le mois de mars. L’objectif ? Être le premier continent climatiquement neutre en 2050. L’Europe met la barre haut, forçant ainsi la transition écologique à s’opérer dans chacun des pays membres.
En France, si les mesures écologiques sont en tête de nombreux programmes pour les élections municipales, le Gouvernement agit aussi, à plus grande échelle. L’année 2020 marque en effet les dix ans-anniversaire du premier plan Ville durable initié en France. En dix ans, même si la sensibilisation à l’environnement est devenue plus pressante, les objectifs sont restés flous. Julien Denormandie, ministre de la ville et du logement, a ainsi annoncé la prise de mesures concrètes ce mercredi 5 février. Parmi 10 décisions, celle du lancement de 100 fermes urbaines dites “cités fertiles”, dispersées dans des quartiers très urbanisés et considérés derechef comme “prioritaires”. Pour simplifier les démarches à la hauteur des mesures adoptées, l’association France Ville Durable créée le 1er janvier, sera en étroite collaboration avec l’ANRU, l’Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain qui accorde 71 millions d’euros à l’effort national : celui de “viser la très haute performance et l’innovation environnementale pour le renouvellement urbain entre 2014 et 2024”.
Les jalons sont posés, il faut désormais que la ville et ses initiatives locales consentent à une mutation en profondeur.
Si les sociétés villageoises n’ont pas attendu de Green deal pour imaginer une action collective, les petites et moyennes villes se mobilisent aussi, et même en métropole, les AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) et coopératives fleurissent, trahissant un réel désir d’un retour au local. Le plan national Action Coeur de Ville, lancé en 2017 pour la redynamisation des centres des villes moyennes, met désormais l’agriculture au cœur de ses projets. Pour être “réinventés”, les cœurs de ville ne se passeront pas de l’agriculture.
Ainsi, face au système mondialisé ayant oeuvré à complexifier la chaîne alimentaire industrielle, un pays occidentalisé comme la France, qui n’a que peu de liens avec ses lieux de production alimentaires, fait face à l’urbanisation de sa population sans toutefois exclure un retour possible à une alimentation par circuits courts, grâce aux fermes urbaines.
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La ferme urbaine, un modèle ambitieux qui s’impose.
À l’heure où la transition écologique est un défi urgent à relever, les fermes urbaines s’imposent, par nécessité. Les citadins s’organisent alors en conséquence. Selon la FAO (organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture), l’agriculture urbaine et périurbaine “consiste à cultiver des plantes et à élever des animaux à l’intérieur et aux alentours des villes.” À la différence de l’agriculture dans les secteurs ruraux, l’agriculture urbaine ne se définit pas par la culture du sol, dans une optique unique de production et d’alimentation du plus grand nombre. L’agriculture en ville vient rompre avec l’agriculture classique sur un point fondamental : dans sa relation avec le sol. Il n’est point question en ville d’exploiter la plus grande surface disponible et d’y installer un champ de blé. La densité de population et du bâti ainsi que les sols surexploités imposent de rompre avec l’établissement d’écosystèmes pérennes et d’un lien direct avec un sol comme le ferait l’agriculture classique. Une de ses particularités est donc l’exploitation d’espaces disponibles qui peuvent sembler hostiles à la biodiversité de prime abord. Partant de ce constat, le Centre ressource du développement durable (Cerdd) distingue six types différents de fermes urbaines. Les fermes périurbaines, tout d’abord, sont celles qui se rapprochent le plus de l’agriculture classique, mais se situent aux abord des grandes villes, créant deux espaces en liens directs entre eux et dont l’activité a réellement fonction de production et sert à l’alimentation des grandes villes avoisinantes. Si l’agriculture périurbaine a reculé jusque dans les années 90 en conséquences du rachat de terres agricoles par des promoteurs immobiliers et de l’urbanisation, elles reviennent aujourd’hui peu à peu.
Si l’on pénètre cette fois dans les centre-villes, on rencontre également diverses formes de cultures en ville. Celle que l’on appelle l’agriculture non professionnelle collective, se construit par le biais de résidents volontaires ou par une association et profite des espaces disponibles en centre-ville (terrains vagues, jardins publics, terrains municipaux ou privés…) pour créer un espace ouvert à tous où l’on puisse cultiver fleurs, fruits et légumes, où l’on puisse déposer son compost… En plus de permettre aux urbains un contact avec la culture des plantes, ces “jardins familiaux” ont aussi une portée éducative et de loisirs. On retrouve également en ville ce genre d’initiatives, mais à l’échelle individuelle, plutôt sous forme de potagers sur balcon, ou terrasses… Il arrive que ces interstices urbains se mettent aussi au service d’une cause sociale de réinsertion par le travail manuel de la terre ou de sensibilisation à l’écologie et à la biodiversité. On parle alors d’agriculture professionnelle sociale et solidaire.
Du côté de nos amis les bêtes, impossible bien sûr d’ambitionner en ville l’aménagement d’un élevage ou d’un pâturage classique de bovins, destiné à la production de viande. On trouve cependant quelques moyens pour introduire les animaux en ville sur des plus petits espaces, via l’installation de ruches ou de poulaillers dans des jardins d’entreprises de plus en plus fréquent, l’éco pâturage en ville, un moyen de tondre le gazon sans émettre de pollution etc, appelée agriculture servicielle.
Probablement alors, que l’avenir de l’agriculture urbaine se situe dans la dernière catégorie, celle de l’agriculture ayant une finalité de production. Mais comment faire pour espérer nourrir les villes avec si peu de place et donc de sol et de soleil ? Même en agriculture, les techniques évoluent et s’adaptent à l’high-tech. À Lyon par exemple, c’est le défi dans lequel s’est lancée la start-up FUL (Ferme Urbaine de Lyon) en 2016. L’objectif est de faire pousser des légumes en culture hors sol, dans des bâtiments ou des caves dans lesquels les plantes ne bénéficient d’aucune lumière du jour. Les techniques utilisées sont multiples : “le convoyage vertical, le climat artificiel, la gestion des fluides, la nutrition végétale, d’énergie, de lumière artificielle permettant de produire en abondance et tout au long de l’année les produits extra-frais de qualité sur des sols non agricoles, en mobilisant peu de surface, peu d’eau et avec une ingénierie écoresponsable”. Cette technique se nomme l’hydroponie et les résultats sont très satisfaisants puisque la productivité serait multipliée par dix, par rapport à une agriculture classique. Vous savez désormais comment reconvertir vos caves !
Face à tous ces projets fous de fermes urbaines, les métropoles se mettent au diapason. Anne Hidalgo candidate à la mairie de Paris a annoncé au début du mois qu’elle rendrait obligatoire l’intégration d’agriculture urbaine dans les projets immobiliers comptant au moins 200m² de toiture. Déjà, dès le mois de mai, la plus grand ferme urbaine d’Europe verra le jour au-dessus du Parc des Expositions à Paris.
Les fermes urbaines décriées, mais salvatrices ?
En définitive, les velléités écologiques des candidats aux municipales expriment une nouvelle lucidité face aux sols urbains surexploités et au manque d’espaces verts : les villes ne sont pas suffisamment agricoles. Puisque l’attrait pour les métropoles ne semble pas décroître et que conséquemment les campagnes françaises se vident, l’alternative est évidente : la ville a besoin de campagne. Si l’urbanité, caractère propre à la ville, s’identifie de plus en plus précisément, force est de constater qu’il ne peut se définir qu’en opposition à ce qu’est la ruralité. Les deux termes doivent-ils alors s’opposer sans se confronter ? La réflexion posée quant à l’aménagement du territoire ne doit-elle pas de comprendre le territoire dans son entièreté ? Le lien entre le monde urbain et le monde rural existe évidemment et demeure précieux.
Si l’agriculture classique fait l’admiration des urbains qui cherchent à en reproduire le modèle, l’agriculture urbaine quant à elle ne fait pas l’unanimité dans les milieux ruraux. Pour Jean-Claude Guehennec, maraîcher dans les Yvelines et président de l’Union des producteurs de produits des fruits et légumes d’Île-de-France, interviewé par le Figaro «Il faut qu’il y ait une opération vérité sur les volumes de production des fermes urbaines en France. (…) Il faut arrêter de laisser croire aux gens que faire pousser des salades ou des fraises c’est très facile à faire, juste semer une graine et attendre que cela pousse…». La critique de l’agriculteur légitime la réflexion sur le lien ville-campagne qui résulterait du développement de fermes urbaines dans les villes. Si importer l’agriculture en ville renforcera probablement le lien entre les urbains et la ruralité, renforcera-t-elle le lien des urbains avec les ruraux ?
La critique des fermes urbaines semble légitime chez certains agriculteurs qui craignent qu’elles ne diminuent le lien entre territoires urbains et territoires ruraux et qu’elles prodiguent une autonomie alimentaire aux villes et leur évitent d’avoir recours à une agriculture classique. Si ces critiques doivent être prises en compte, le concept doit être interrogé, véritablement. Tout d’abord parce qu’en se rendant à l’évidence, si 60% de la population mondiale vit aujourd’hui en ville, il n’en demeure pas moins que 80% des territoires arables sont exploités pour l’agriculture et ne suffiront pas, un jour, à nourrir le globe terrestre. Des solutions doivent alors être envisagées. Au vu de l’appauvrissement des sols et de la réduction des terrains disponibles, l’optimisation des surfaces s’impose. La FAO considère elle-même “le développement l’agriculture urbaine comme l’une des clés de la survie alimentaire de l’Humanité”.
Du côté de la créativité, designers et architectes se donnent à coeur joie de développer des concepts toujours plus innovants, esthétiques et se confondant au mieux avec le paysage urbain. En définitive, ces fermes urbaines sont sûrement la clef de la transition écologique désirée politiquement. De fait, la transition écologique ne sera amorcée que grâce aux acteurs des territoires, quels qu’ils soient. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Adem), les élections municipales joueront un rôle important dans cette quête de transition des territoires. « Par sa proximité avec les citoyens, le maire est un acteur central de la transition écologique. Il dispose d’une relation privilégiée avec eux et a les moyens de traduire les enjeux en projets concrets pour les aider à changer leurs habitudes ».
Ainsi, plus qu’une vocation à nourrir le monde, l’agriculture urbaine est un de ces projets qui permet une solution au moins transitoire à visée pédagogique : celle de sensibiliser les urbains aux circuits courts et à la production locale.
Crédit photo de couverture, utilisée avec l’aimable autorisation de ©La Bergerie Urbaine