L’émergence de procédures et réglementations face au risque incendie

Au XVIIIème et XIXème siècle, la Bretagne est traversée par de nombreuses catastrophes dans lesquelles se cristallisent les principaux enjeux autour de l’organisation des secours en France. En effet, de grands fléaux s’abattent sur les villes comme les campagnes : épidémies, famines, incendies… qui marquent encore aujourd’hui les mémoires collectives. Dès 1620 la cathédrale Saint-Corentin, à Quimper, prend feu malgré la lutte de quatre cent hommes pour en venir à bout. La mise en place de pompes à incendies ne permettra pas non plus de maîtriser la destruction de près de neuf maisons un siècle plus tard, en 1762. Cet évènement marque alors la fin de l’utilisation du bois comme matériau pour les habitations, au profit de la pierre. Jusqu’alors assez désorganisé, un service de secours est mis en place en cas de sinistre et commence à se structurer au XIXème mais reste insuffisant.  

Les incendies sont alors à l’origine de procédures et de réglementations qui structurent le paysage urbain. À Quimper, des centre-bourg restent en l’état pendant parfois une décennie entière, les habitants devant se débrouiller en cas de sinistre. Néanmoins, deux règles « encadrent » la bonne sécurité de la commune : tout d’abord l’interdiction de rebâtir avec des matériaux inflammables tels que le bois, et d’exercer certains métiers dits dangereux dans les maisons et les centre-villes. Il y a donc intervention du pouvoir communal pour limiter le danger. 

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De plus, et ce dans nombreuses villes bretonnes, la réalisation d’un Plan d’alignement s’instaure, dès le XVIIIème siècle. Il s’agit de redresser puis élargir la rue passante afin de faciliter la circulation pour permettre aux secours d’intervenir plus rapidement. L’implantation du sol devant les maisons est régularisée, et le positionnement de grands bâtiments et espaces publics est réfléchi. À Rennes notamment, l’ambition affichée est que la ville soit « belle et commode ».  

À Chicago, un storytelling à l’américaine

De l’autre côté de l’océan Atlantique, Chicago a subi au XIXème siècle un incendie marquant qui lui conférera une image de « Phénix renaissant de ses cendres » et qui participera à son bon développement. La volonté très forte de la classe politique mais aussi des citoyens de se reconstruire est relayée par la presse. Une véritable « fièvre de reconstruction » s’empare du territoire et le lave de ses maux ; autrefois perçue comme la ville du vice et du culte de l’argent, Chicago rehausse son activité commerciale et devient alors la ville des opportunités. 

La destruction de nombre de bâtiments permet un élargissement des rues et une valorisation des espaces publics comme des espaces verts. Le marché immobilier prend en valeur et de vastes terrains sont disponibles pour les promoteurs. Ils font alors appel à des architectes renommés, et les espaces dégagés par l’incendie leur laissent le champ libre pour imaginer une ville moderne. C’est la naissance du courant architectural de l’École de Chicago et des skyscrapers. Ces gratte-ciel deviennent partie intégrante de l’identité de la ville et permettent de rentabiliser nombre de terrains. 

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Néanmoins, le récit historique a tendance à peu évoquer les entrepreneurs ruinés et les franges de populations fragilisées. Aussi, il se focalise sur le bâti mais parle peu des infrastructures municipales insuffisantes. Malgré la remise en état des sept ponts de la ville, les dizaines de milliers de canalisations d’eau ayant fondu ne sont pas réaménagées en profondeur malgré la demande des pompiers. L’élargissement de la voirie se limite aux passages à niveau pour fluidifier le trafic. Ainsi, l’incendie permet à la ville de se forger une identité et une mémoire commune mais pas de revoir intégralement l’aménagement de la ville. Ce n’est malheureusement qu’avec un deuxième incendie, en 1874, que les travaux s’accélèrent. 

Ces incendies ont constitué de véritables traumatismes à partir desquels se sont structurés les règles d’aménagement et de construction sur une large partie du globe.. Aujourd’hui, leur prise en compte est un invariant dans les projets ; accès pompiers, sécurité incendie, etc… Ces (nécessaires) contraintes créent même des conflits d’usages, à l’échelle d’un immeuble ou d’une ville entière, comme lors des débats autour des accès pompiers bloqués par le Plan Vélo de la ville de Paris l’ont démontré. Au niveau patrimonial, ces conflits font ressortir des divergences de valeur.

Les pompiers, protecteurs du patrimoine

Impossible de ne pas évoquer l’incendie de Notre Dame qui a instantanément révélé le rôle des pompiers dans la préservation du patrimoine ancien. Les images du pompier en charge du “tour du feu, c’est-à-dire de vérifier l’état des flammes et des hommes engagés en s’approchant au plus près de l’action, ont fait en quelques heures le tour du pays et même du monde. Si les pompiers du XXIème siècle sont heureusement équipés de nouvelle technologies à l’instar de drones pour les incendies difficiles d’accès, ou de tablettes numériques pour transmettre plus facilement des informations, comme l’état de santé d’un individu par exemple, la facilité d’intervention en cas de nouvelle tragédie reste centrale dans la reconstruction de la cathédrale. 

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Au-delà de ce cas emblématique, le gouvernement envisage la mise en place d’une sécurité au cas par cas par édifice. La prise en compte réglementaire actuelle est centrée sur la protection des biens et des personnes, mais est peu adaptée à une protection du patrimoine ; elle n’est ni rétroactive, ni adaptable au bâti de monuments. L’Etat étant son propre assureur, il ne profite pas de l’expertise technique des gestionnaires de risque. La sécurité des bâtiments passe alors d’abord par la mise en place d’une gouvernance adaptée. La plan de sauvegarde des biens culturels envisage trois mesures qui se complètent ; des mesures de prévention sur le long terme, des prévisions opérationnelles en cas de crise, et enfin des mesures de retour à la normale. Ce plan s’effectue en coopération de tous les services de secours, dont l’expertise d’usage au cœur de l’action constitue une ressource précieuse pour limiter au maximum de revivre les traumatismes auxquels les villes ont dû faire face depuis des siècles.

Une profession au cœur de la résilience urbaine

350 millions d’hectares de forêt brûlent chaque année et la tendance est à la hausse, d’après l’Organisation des nations Unies. La crise climatique et la menace grandissante des incendies qui en résulte implique de repenser l’aménagement de nos villes. 

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Ces incidents de plus en plus violents et récurrents contraignent les pompiers à une limite technique, leur effectif comme leur matériel devenant insuffisants. Il devient donc essentiel de repenser l’aménagement du territoire en conséquence avec une logique de “zone à risque”, c’est-à-dire de cartographier en fonction de la fréquence et de l’intensité de ces incidents des territoires viables et, au contraire, d’autres pas assez sécurisants pour y vivre toute l’année. Cette cartographie permet par exemple de désigner des zones que les collectivités se doivent de débroussailler, c’est-à-dire de réduire le nombre de végétaux pouvant prendre feu à proximité des habitations.

Des outils qui constituent autant de leviers pour limiter au maximum de terribles incendies, à court terme. Sur un temps plus long, et alors que le mercure ne cesse d’augmenter, il s’agit de réfléchir plus globalement à l’extension des villes sur les espaces naturels, véritable catalyseur des incendies comme on a pu le voir dans la région d’Athènes l’été dernier. C’est également le cas plus près de chez nous, dans le Sud de la France. Sous l’effet d’une hausse importante de son attractivité dans les années 1960 et 1970, la région s’est fortement urbanisée et est aujourd’hui devenue une zone d’intervention très complexe pour les pompiers, qui sont forcés de “sacrifier” les forêts, pour pouvoir sauver en priorité les habitants. 

Aménager l’ensemble du territoire avec une logique de zone à risques semble nécessaire pour prévenir puis limiter les risques. Plutôt que de simplement s’appuyer sur de nouvelles technologies, le renforcement de formes de solidarités locales semble porter ses fruits, sur le modèle du petit village. Désengorger les grands axes en développant les mobilités douces et actives constitue par exemple une autre piste d’action pour limiter les risques.  Les stratégies de résilience urbaines s’axent vers des modes d’aménagement réversibles et des choix de politiques publiques adaptées, en pensant les construction de leur conception à leur démantèlement pour leur un cycle de vie fluide. Des plans de gestion des risques souples et adaptés ainsi  qu’une part importante accordée au développement durable en ville permettent également de gagner en résilience. La place des pompiers dans la société a été essentielle dans le développement des villes ces derniers siècles, et cette importance ne cesse de croître à l’heure du risque climatique. Pour penser les modèles urbains résilients de demain, il sera alors nécessaire de les inclure à chaque étape, pour profiter de leur expertise d’usage au cœur des flammes.

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