Entre les cadeaux, les vacances et les dessins animés en boucle, les fêtes de fin d’année sont avant tout la fête des enfants ! Mais, en dehors de cette parenthèse enchantée, quelle place accorde-t-on réellement aux plus jeunes, particulièrement dans nos villes ? Ne pourrait-on pas, comme le proposent de nombreuses associations, donner les clés de l’aménagement urbain aux enfants citoyens ?
La ville, hostile aux enfants
Avant même de s’intéresser à la place que pourrait prendre les plus jeunes de nos concitoyens dans la fabrique urbaine, un premier constat souligné par de nombreux urbanistes et auteurs en tout genre est à noter : la plupart de nos villes sont hostiles aux enfants.
Il suffit de penser aux zones périurbaines pour s’en convaincre, où, le développement de villes entières autour des déplacements automobiles prive ceux qui n’ont pas de voitures de tout un pan essentiel des activités urbaines. Et ce sans même parler de la logistique infernale que doivent gérer chaque jour les parents, et a fortiori les mères. En plus d’éloigner les enfants de toutes les aménités qui pourraient les intéresser, la place centrale de l’automobile et le manque d’espaces dédiés à la marche les mettent également en danger.
Crédit photo ©Scorpions and Centaurs via Flickr
Ces problématiques ne se limitent cependant pas au périurbain, et on peut également mentionner les résidentialisations de plus en plus fréquentes dans des villes comme Marseille, qui concourent là aussi à enfermer les enfants dans des zones de plus en plus restreintes, en empêchant certains trajets.
William Bird, un médecin de Sheffield, a produit une cartographie en 2007 qui est encore imprimée dans les cerveaux de nombreux urbanistes. En suivant une famille sur plusieurs générations, il a pu observer et mesurer le rayon des « déplacements autorisés » des enfants autour du foyer. Le constat est sans appel, en quatre générations, la longueur maximale de déplacement aurait été divisée par 35 !
La créativité urbaine des enfants est pourtant sans pareil, et ils sont notamment très compétents quand il s’agit de détourner l’usage de certains espaces pour les transformer en terrain de jeux. Les cages d’escalier, les couloirs d’immeubles, le toit des garages dans le périurbain ou les friches et terrains vagues autour des grands ensembles sont alors parfaitement activés par l’imagination des enfants. À condition que la circulation automobile et les prochains urbains lancés à partir du mouvement moderne ne les en empêchent pas.
Plus qu’un jeu d’enfants
De nombreuses municipalités ont fini par réaliser à quel point l’aménagement était hostile aux enfants, et faisait par la même fuir les familles vers des espaces plus éloignés des grandes métropoles, pourtant pas toujours mieux adaptés aux plus jeunes. Plus encore, faire des villes attractives pour les enfants est même devenu le credo de certaines politiques publiques, avec un succès incontestable pour certaines.
C’est notamment le cas de Rotterdam qui a décidé d’agir après avoir été désignée comme la ville la moins attractive pour y grandir en 2006. Depuis, le cœur du parc urbain a été « légué » aux enfants de la ville sous la forme d’un terrain de jeux immense où l’imagination des enfants peut avoir libre cours. La municipalité a également grandement amélioré les espaces publics et la sécurité du trafic automobile, en plus d’aménager un grand nombre d’espaces de jeux pour finalement atteindre le résultat escompté : contenter les enfants et donc les parents.
Crédit photo ©The Academy of Urbanism via Flickr
Si Rotterdam cherchait surtout à empêcher l’exode des familles, d’autres expériences urbaines vont bien plus loin en concevant une ville pour et par les enfants. C’est, par exemple, le cas de la ville italienne de Fano racontée par Francesco Tonucci dans un livre de 2019. L’auteur a impulsé il y a 30 ans un projet de transformation radical de transformation pour « restituer aux enfants de la ville la possibilité de sortir de chez eux tout seuls pour vivre avec leurs amis l’expérience fondamentale de l’exploration, de l’aventure et du jeu« . La démarche suppose alors de faire recours à des intermédiaires, capables d’écouter et d’aider les enfants à s’exprimer sur leurs usages de la ville ainsi que leurs besoins. La ville a alors également mis en place un « conseil des enfants », consultatif constitué de deux enfants par école.
Les enfants n’ont pas à être passifs dans les politiques d’aménagement, et l’étape suivante est de les rendre acteurs de la transformation des villes. Contrairement aux idées reçues de certains, les plus jeunes sont capables d’une vision prospective assez impressionnantes, et leurs demandes correspondent de fait à de nombreuses préconisations formulées par des urbanistes aguerris. Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser à l’élaboration du nouveau Plan Local d’Urbanisme de la ville de Paris, à laquelle 360 écoliers ont pris part. En plus de rapidement comprendre ce à quoi servait un tel document, les enfants ont même demandé « des rues végétalisées, des fleurs et des arbres fruitiers, des plans d’eau, des bâtiments colorés et plantés.«
Faire une ville pour et avec les enfants, c’est en fait faire une ville pour tout le monde, plus agréable, durable et inclusive. On retrouve là une logique également à l’œuvre quand on parle de ville accessible ou de ville pour les femmes. Prendre en compte les besoins et les obstacles rencontrés par des populations en apparence spécifiques (et souvent laissées pour compte) bénéficient in fine à tous les citadins.
Pour un urbanisme didactique
Cette année, comme souvent, les Journées Nationales de l’Architecture ont été l’occasion pour nombre de professionnels partout en France d’ouvrir leurs ateliers au public, afin de présenter leurs projets et plus généralement d’expliquer leur démarche. Parmi les centaines de propositions à travers le pays, beaucoup d’entre elles visaient un public très jeune, souvent en les faisant mettre la main à la pâte à travers des ateliers de réalisation de maquettes par exemple.
Cette volonté d’initier les enfants aux secrets de la fabrique urbaine ne se limite pas à un seul week-end annuel, et plusieurs structures contribuent à améliorer leurs villes à travers des démarches didactiques, à l’image du bien-nommé atelier Didattica. Celui-ci a mené un travail d’un an avec l’aide d’une classe de sixième et une classe de troisième autour de l’arrivée programmé du tram T1 dans la ville de Montreuil. Des dizaines de jeunes de 11 à 14 ans ont alors pu découvrir les bases de l’architecture et de l’urbanisme, mieux connaître l’histoire et l’actualité de leur ville, et ont été jusqu’à produire des aménagements temporaires sur la friche « Un tramway nommé désir », à l’image d’une tyrolienne qui devrait attirer son lot de curieux !
La ville de Lyon fait également partie des pionnières dans l’intégration des enfants comme aménageurs, à travers l’action de l’association d’éducation populaire Robins des Villes. Autour de 2010, une dizaine d’écoles de la capitale des gaules a bénéficié d’un accompagnement par des architectes et paysagistes qui a permis à des élèves de CE2 et de CM1 de réaliser le plan de leur future cour d’école. Les différentes étapes, très didactiques, ressemblent au véritable déroulé d’un projet d’aménagement, du diagnostic d’usages au plan final.
Ce qui est particulièrement intéressant dans cette démarche est l’apparition de la notion de contrainte au fur et à mesure du projet, qui débute donc par une vision bien plus utopique et poétique, parfois hors de portée des professionnels les plus aguerris. Si ces derniers sont capables de comprendre en profondeur et en détail tous les enjeux d’un projet d’aménagement, les années de métiers et le besoin d’efficacité tendent à intégrer un grand nombre de contraintes dans leurs têtes, et peuvent parfois mener à une forme d’auto-censure vis-à-vis des projets les plus fous. À l’inverse, l’imagination des écoliers est encore débordante, et leurs propositions peuvent apporter des solutions et des idées hors de portée de nos cerveaux d’adulte.
Un plan d’école réalisé par des écoliers avec Robins des Villes
Développer ces démarches didactiques et pédagogiques apporte évidemment beaucoup à ces citoyens et citadins en herbe, mais encore plus à la fabrique urbaine et donc à nos villes. Alors que les urbanistes, architectes et autres élus ont tendance à mettre la dimension de la sécurité des enfants au-dessus de toutes les autres (ce qu’on peut aisément comprendre), les propositions faites par les plus jeunes tendent à renforcer leur expérience urbaine, en s’attardant plus aux usages et à la dimension récréative de la ville. Promouvoir la prise en compte de leur expertise et de leur créativité constitue le meilleur cadeau de Noël qu’on puisse faire à nos villes, et à tous leurs habitants.
Photo de couverture via Pxhere