Il a fait un soleil de carte postale, le train fut réservé pour une somme relativement modique et la chambre que nous avions loué aurait pu faire le décor d’un film de Christophe Honoré. Mais la poésie de Paris m’a échappé.
C’était ma troisième visite « à la capitale », les fois précédentes il y avait eu la tour Eiffel évidemment, le musée Branly, Gare de Lyon, Aligre, la coulée verte, Charrone, Oberkampf, le Museum d’Histoire Naturelle, les Champs, le Grand Palais. Il y a eu Bastille, le Faubourg St Antoine, le XIIIème, l’île de la Cité, Quai de Valmy, le Pere Lachaise, Pigalle et un petit bout de butte. Je me rappelle aussi Beaubourg, St Denis, les Galeries, l’Opéra, le Marais et les couloirs de Châtelet-Les Halles.
Et déjà je la sentais me glisser entre les doigts.
A Aligre le quartier était plaisant, je me souviens du marché, des marchés! Le couvert qui joue les allumeuses tout en voile, ombre et cachotterie à vous souffler au visage son parfum que vous imaginez de Rungis. Et celui de la rue, qui dégueule d’épice et de couleurs en dévalant la rue jusqu’au prochain carrefour.
Nous dormions chez son frère et sa femme qui louaient cette invention purement parisienne: le souplex. Les duplex et triplex montent, les souplex descendent. Un rez-de-chaussée et une cave. Une cave. Vous vivez dans une cave. Oh aménagée certes! On peut même trouver du charme aux voûtes, à la pierre apparente et au petit escalier en bois brun qui colimassonne entre les niveaux. So chic! Mais ça reste une foutue cave. A l’étage, pardon au rez-de-chaussée, la lumière n’entrait qu’après avoir rendu visite à l’immeuble d’en face et pris son temps pour traverser la rue pourtant étroite. Elle arrivait toujours fatiguée. Quand elle ne s’était pas fait refouler par un stratus un peu bas de plafond! C’est à dire très souvent. Paris est gris.
La proverbiale mansarde étudiante que j’avais entrevue dans les reportages sur le logement ubuesque de la capitale avait repris quelques couleurs dans mon appréciation de la ville en comparaison de cet entre-sol (qui restait cependant loin devant le légendaire placard de 9m²-7-loi-Carrez-en-sous-location-500€-hors-charge, dont on a tous entendu parlé par l’ami d’un ami lors de la sempiternelle discussion provinciale sur le logement parisien – les parisiens eux n’en parlent plus, ils se sont résignés).
Lors de ma seconde visite toutefois mon image d’Épinal fut entachée de moisissure. C’était l’appartement d’une amie qui nous offrait le gîte une nuit sous son pan de toit parisien. Elle nous avait averti: « il y a beaucoup de livres ». C’était vrai. Sa bibliothèque mangeait le salon et quelques volumes en surnombre pour les étagères s’étaient déjà dispersés à travers la petite quinzaine de m² de l’appartement. « C’est un peu humide ». C’était faux. C’était très humide. A la minute où la porte s’ouvrit je fus pris par l’odeur pugnace: quelqu’un avait aménagé dans cet appartement une champignonnière et n’en avait apparemment averti personne. Notre hôte a voulu nous faire croire qu’il s’agissait d’un toit mal étanchéifié en attente de réparation mais je sais que secrètement on cherchait ici à relancer le petit brun parisien. Il a souvent plu lors de mes visites. Jamais très franc, jamais très fort (sauf cette fois sur le périph’ où des trombes d’eau étaient venues accompagner notre départ et notre retour des îles lointaines, là où le soleil plombe et le sable écume, comme un amical doigt d’honneur) mais toujours constant. Paris est humide.
J’ai bien aimé Voltaire, les immeubles, les petites rues, la vie de quartier, Charronne et Oberkampf qui nous tendaient les bras le soir. C’est dans ce quartier que j’eus ma première expérience du bistro parisien. Ce format si particulier: tous différents et pourtant tous semblant répondre au même code d’aménagement, de décoration, et de services, comme un régiment d’établissement franchisés sous une même enseigne en lettres bleu-blanc-rouge qui dirait « Ça c’est Paris! » : café, croissants, saucisson-beurre, pièce du boucher, demi de blonde et ballon de viognier ; le détachement du serveur, la gueule du régulier, les dossiers de chaises, les pieds de tables et les ourlets zingués du comptoir, et à toute heure les 2 commerciaux en costume gris qui parlent boulot sans jamais parler affaires.
Mais la véritable essence du bistrot parisien, son pilier fondateur, c’est sa terrasse, son entreprise codifiée de colonisation du pavé. Les tables, rondes, sont alignées en chapelet serré sur toute la longueur de la devanture, et l’on a glissé au chausse-pied les chaises pour les fidèles entre la vitre et les tables. Tout le monde fait dos au bistrot pour assister à la grand messe de la rue. Il n’y a pas de tête à tête sur le trottoir, on vient là pour voir et pour être vu.
Dimanche matin c’est le Père Clochard qui a officié. Sur le trottoir d’en face, dans un dénuement des plus chrétien, il a vociféré l’apocalypse tel un prédicateur ayant abusé du vin de messe, rauque et crasseux, tumultueux, incompréhensible, pendant que nous trempions, contrits, nos croissants. C’eut put être pittoresque si ce n’avait pas été déjà trop familier. La misère ronge Paris.
A l’angle de deux des rues les plus chères du Monopoly les vitrines ne parlent plus français, une agence bancaire arbore même de larges idéogrammes blancs sur sa vitrine. Les dorures de l’Opera étincellent au bout de la rue mais je vérifie quand même la plaque à l’angle de l’immeuble: non, nous ne sommes pas dans le XIIIème. Au milieu des bijouteries ostentatoires et des bus à impérial criards bondés d’appareils photo ; à 2 pas de la colonne de Trajan et du balai feutré des luxueuses berlines devant les 5 étoiles, un matelas miteux a été installé dans un créneau qu’offre la façade. Je ne verrais que ses pieds: nus, calleux et noirs de goudron. Il tourne le dos. A la rue, à la ville, à cette bête immense qui l’a avalé puis recraché, sans chaussures, ni couverture. A quoi bon sous le soleil de juillet? Il dort. Peut-être.
Place de la République Marianne regarde l’horizon. Lointain. Incertaine. A ses pieds on peut lire les vestiges de la piètre révolution qui s’est tenue là. Ça indigne les touristes et enrage les réacs. Le symbole de la République a perdu de sa superbe de carte postale à n’en point douter mais je suis content de les voir ces punchlines libertaires, taggés sur son piédestal, content que les Kärchers de la mairie n’aient pas encore rendu la ville à ses touristes. Pour quelques nuits la ville était redevenue cité, la place forum, les habitants citoyens… Enfin ça c’était le pitch de départ. L’utopie. L’été a toqué, les dissensions se sont faites plus grandes, et aucun Periclès n’a souhaité émerger: on a alors plié les gaules. Les jardins jadis conquis aux dalles sombres de la place furent rebouchés et tout le monde se rassit sagement dans son canapé.
Devant l’entrée du métro un homme tirait tant bien que mal une chaise de bureau à laquelle il manquait presque toutes ses roues, sur le siège une quantité d’objets hétéroclites avait été empilée comme une partie de Jenga bien mal entamée. J’ai d’abord pensé au butin d’un coureur de brocante. Mais le butin me semblait bien pauvre. A vrai dire l’homme aussi me semblait bien pauvre. Vraiment pauvre. Et hagard. Une hébétude que je retrouverai ailleurs, plus tard, souvent, trop souvent. Péniblement la chaise finit par arriver sur la place. Là, des badauds écoutaient un homme avec un micro qui tentait de maintenir la chaleur des cendres de la révolution éteinte. Mais rapidement un esclandre éclata derrière lui et l’homme au micro devint décor. Je compris qu’il n’y avait vraiment plus rien à voir ou à écouter. L’homme à la chaise lui, était arrivé. Ce n’était pas une étape, non, mais bien sa destination: au beau milieu de la place, près du chahut. Son tohu-bohu n’irait pas plus loin. Cette chaise sans roue c’était sa maison. Et ce soir ses voisins seraient Marianne et la République.
Le soir venu nous avons joué aux locaux. Nous sommes allé chercher un « grec » et nous avons dîné dans la douce tiédeur d’un soir d’été, à la belle étoile, les pieds dans l’eau du canal St Martin (il venait d’être nettoyé, on avait moins peur du choléra). Des étudiants et moins étudiants s’étaient amassés en grappe, et à l’instar du canal, sur toute sa longueur on éclusait. Certains, plus propriétaires de la ville que d’autres, avaient tiré chaises de toile et tabourets de camping et avaient fait du trottoir leur salon d’été. Une enceinte bluetooth assurait l’ambiance en diffusant de l’électro rythmée. L’insouciance coulait doucement de la rue de la Grange aux Belles à la rue du Faubourg du Temple et sa surface lisse n’avait nullement l’air de s’émouvoir des regards vides, des pas hagards, et des mains tendues des ostracisés du « bon-vivre » qui cabotaient, étourdis, de groupe en groupe, grommelant leurs quêtes de quelques piécettes.
Entendons nous bien. Je ne vis pas dans un ghetto col claudine, jupe plissée, blazer preppy et loafers aux pieds. Mon quartier, pour reprendre les termes policés du notaire, est emprunt de « mixité sociale » et on trouve à 2 rues un centre d’accueil pour sans-abris. Je croise tous les jours mon lot d’égarés, accrochés à leurs cannettes de 8.6 comme à une ancre ; devant le métro des familles de Roms ont établi un camp de base depuis lequel ils se dispatchent dans la ville. Et dans les rames on croise même la désormais célèbre femme-araignée dont les genoux, atteint d’une anomalie qu’on préfère imaginer congénitale, se plient vers l’arrière, agitant son sac de monnaie sous les yeux parfois révulsés des usagers. Non il y a là quelque chose de différent. De profondément différent.
C’était le premier soir de ce week-end là. Nous avions retrouvé nos amis dans un troquet sans prétention d’une rue étroite et peu passante d’un quartier sans charme particulier. Nos amis nous l’avaient vendu comme un trésor. L’intérieur était plein. Plein d’exclamations et de mains agitées, d’épaules serrées, de photos punaisées, plein d’alcool, plein d’éclats, plein du quartier, des habitués, des familiers. Plein de ce bois chaud, de ces verres vides, plein de ces petites histoires qu’on renverse sur le comptoir pour laver la monotonie de sa journée. La terrasse aussi était pleine. Pleine de rencontres et de retrouvailles, de plans et de jambes étendues, pleine d’écume au col des verres, de mégots écrasés, de petite monnaie et de doigts qui se frôlent. Nous étions parvenu à nous glisser sur les quatre dernières chaises. Le patron se présenta à notre table pour prendre notre commande. Notre ami arrêta net nos réflexions: « 4 pintes! ». Son œil brillait. Les pintes furent servies et la note annoncée. On venait de nous révéler le trésor: la pinte la moins chère de Paris, nom d’un perroquet borgne peut-être même la pinte la moins chère de France! On commençait bien.
Nous avons épongé avec quelques frites sur place et enchainé sur une glace dans le Marais. L’une des meilleures paraît-il. La queue s’étirait sur le trottoir. Il faisait bon. La rue pétillait comme une coupe bien remplie. J’ai pris yaourt et chocolat-noisette. Dans une coupe en carton. Ça coule moins sur les doigts mais surtout il y a la petite cuillère en plastique coloré. Celle-là je la garde pendant des heures, je la balance d’une joue à l’autre, je la mord, je la grince, je la tapote, je la roule. Parfois je la range dans une poche et je ne la jette que des jours plus tard quand je la retrouve. J’ai mordillé jusqu’à St Paul, où se trouvait l’appartement de nos amis. Depuis la grande artère passante ça ne payait pas trop de mine; depuis leur vasistas on avait vue sur le trochée des cheminées, l’urbanisme anarchique, conquérant, d’un faubourg surpeuplé, vue sur l’anapeste des pignons, l’obscurité, le silence, le halo doré des lumières qui refusent de se rendre, vue sur l’iambe des pentes zinguées, les peintres, les cinéastes, les romanciers.
Il y eu une bière, un whisky, quelques tranches de saucisson et le récit serpentin de nos vies anodines. On a fini de réchauffer nos amitiés sur une dernière accolade puis on est rentrés en fendant la nuit. Sur le boulevard, au pied d’un arbre il y avait un sac de couchage, en travers du trottoir comme un rocher luttant contre le courant des passants. Contre l’arbre je remarquais une poussette. Je me souviens avoir pensé à notre fils que nous avions laissé à ma mère: un jour lui aussi verra « la capitale », bientôt peut-être ; je me souviens avoir pensé « j’espère que c’est pour transporter leurs affaires… » comme cet homme place de la République avec sa chaise sans roues ; je me souviens de ce doute qui battait dans ma poitrine à mesure que nous approchions. J’ai regardé, les yeux grand ouverts et bien fixés pour battre la pénombre. Je me souviens, à droite de l’homme, à gauche de la femme, et entre les deux …la poésie de Paris m’a échappé.
Phénomène de ghettoïsation et d’exclusion, insécurité croissante et pauvreté urbaine, le quartier d’Amsterdam West a ...