Il faut l’œil aiguisé pour cerner les détails qui la rendent si exceptionnelle. Le semi-marathon fut une occasion incroyable de découvrir la ville à vitesse humaine, sans guide, et d’avoir un contact avec la population nord-coréenne. Certes, le contact s’est limité à des tapes dans la main des enfants et des parents venus nous encourager, à un échange de « Hello » et de « Anyoung Hashimnikka », à des sourires, des photos : au pays des Kim, cela représente déjà beaucoup.

Pyongyang

La skyline de Pyongyang ©Marie-Caroline Gaymard

L’architecture monumentale de Pyongyang saute aux yeux. Construite dans les années 1950 (une deuxième vague en 1980-1990), Pyongyang est une ville d’inspiration brutaliste, avec un petit zeste d’architecture stalinienne. Les gratte-ciels de 40 étages sont collés les uns aux autres. Un bâtiment détrône tous les autres : l’hôtel Ryugyong, dont la construction a débuté en 1989, s’est arrêtée, et ne repartira sans doute jamais. Plus haut que la Tour Eiffel, on le voit de partout, pyramide moderne que Metropolis n’aurait pas reniée. Chaque monument est un appel à la grandeur du régime. La Tour du Juche, 170 m de haut, qui domine la berge du fleuve. La Bibliothèque Nationale, immense bâtiment de cinq étages réalisé dans un style néo-coréen. La Place Kim-Il-Sung, qui peut accueillir 500 000 personnes et sur laquelle ont lieu les Jeux de Masse en août et les immenses défilés populaires.

Nous avons d’ailleurs la chance de voir des centaines d’étudiants répéter des pas de danses pour le prochain anniversaire de la naissance de Kim-Il-Sung, le 15 avril. Filles et garçons portent tous la coupe de cheveux règlementaire (il semblerait que cela s’applique uniquement aux étudiants car les femmes nord-coréennes se coiffent avec bien plus de variété), leurs mouvements sont synchronisés à la seconde près. L’effet est indéniable. Mais revenons à la liste des monuments qui en imposent le plus. Mansudae sur la colline Mansu, avec les statues en bronze de Kim-Il-Sung et Kim-Jong-Il, devant lesquelles nous devons déposer une gerbe de fleurs et nous incliner. Attention à bien cadrer la photo, les deux Kim doivent y entrer du haut de leur 20 m. Sinon, gare … L’Arche de la Réunification, à l’entrée de la ville, deux statues tendant les mains l’une vers l’autre au-dessus de la 4 voies et portant un médaillon sur lequel est gravé la carte coréenne dans son entier. L’Arc de Triomphe, autour duquel le semi-marathon faisait une boucle et inspiré de l’Arc de Triomphe parisien. Le Monument à la Fondation du Parti, d’où surgissent les mains de l’ouvrier tenant le marteau, du paysan tenant la faucille et de l’intellectuel tenant le pinceau. Bien évidemment, j’en oublie : le musée de la Guerre de Corée, l’USS Pueblo pris aux Américains, la statue de Chollima, le stade du Premier-Mai dans lequel se déroulaient les cérémonies d’ouverture et de remise des médailles du marathon…

Pyongyang

Mansudae ©Marie-Caroline Gaymard

Autre particularité, la façon dont l’espace public est occupé, décoré, aménagé. Tout est parfait et impeccable. Rien ne souille la pureté du régime : pas de déchets dans les caniveaux, pas de publicité sur les murs. Il n’y a que des affiches de propagande, des drapeaux rouges et le drapeau national. Les berges du fleuve sont très bien entretenues : jardins d’enfants, parcours sportif, bancs, tout y est. Sauf les nord-coréens, à l’exception de quelques pêcheurs et de quelques adolescents s’entrainant pour les Jeux de Masse. La rue, au contraire, est pleine de monde. Les habitants y discutent, s’y déplacent comme partout. Les pin’s sur les poitrines sont nombreux, on nous regarde ou on nous évite, sans jamais nous adresser la parole.

Et le reste ?

Les magasins ? Difficiles à cerner. Ils ne sont pas annoncés par des enseignes débordant sur la rue. Il faut les guetter et ce n’est pas toujours aisé : les rayons ont l’air peu fournis et les enseignes étant écrites en coréen, pas facile de savoir ce qui s’y vend, à l’exception des pharmacies indiquées par une croix verte.

Les logements ? Des barres HLM rose, jaune, bleu ou vert pastel, sans signe distinctif, qui se suivent et se ressemblent. Très bien entretenu, entouré de cerisiers en fleur (le mois d’avril !), l’extérieur est plutôt plaisant. Mais comment savoir si l’intérieur est confortable, bien aménagé, bien équipé ?

Pyongyang

Rues de Pyongyang ©Marie-Caroline Gaymard

Les transports ? Nous avons eu l’occasion de visiter deux stations de métro, creusé à plus de 100 m sous terre (le métro est un abri anti-atomique). Les stations sont superbes : lustres, peintures à l’effigie de Kim-Il-Sung, propreté inégalable. Rames datant de Berlin-Est (ce sont les originales) et rames flambant neuves alternent. Nous entrons dans l’une pour aller à la station suivante, et je ne peux m’empêcher de sourire en voyant les enfants me détailler de haut en bas, extraterrestre sortie d’un roman de science-fiction.

L’hôtel ? Ma foi, tout à fait convenable, à certains détails près. Les étages sont ouverts au fur et à mesure selon le nombre de touristes à accueillir et nous n’avons pas le droit de nous promener dans les couloirs. Construit il y a 30 ans, la rénovation se fait attendre : la moquette et les prises électriques sont en fin de vie, le plafond fuit lorsque le voisin du dessus prend une douche, l’eau est marron, puis froide, puis chaude, la pression aléatoire. Notons cependant l’existence d’une baignoire et de vraies toilettes, luxe que je saurai apprécier. Et puis, le plus important : logée au 29e étage, j’ai une vue à couper le souffle sur la ville.

L’indice le plus évident de la Corée du Nord reste l’omniprésence des trois Kim. Le portrait ou la statue de Kim-Il-Sung sont partout : dans les musées, dans les écoles, dans les gares, dans les halls d’hôtel, au Munsu Water Park. Il est presque étonnant qu’il ne soit pas dans notre bus (mais peut-être ne l’ai-je pas vu?). Kim pose au milieu d’un décor toujours kitschissime : Kim-Il-Sung sur le Mont Paektsu, Kim-Il-Sung au milieu des fleurs, Kim-Il-Sung à la plage, Kim-Il-Sung sur fond de feu d’artifices, Kim-Il-Sung levant le bras, serrant des mains, toujours souriant et bon enfant, Martine communiste du XXIe siècle.

Pyongyang

Rues de Pyongyang ©Marie-Caroline Gaymard

Certains voyages s’oublient plus facilement que d’autres. Ce n’est pas le cas de la Corée du Nord. J’étais partie avec un bon prétexte : courir le semi-marathon de Pyongyang. Je suis revenue avec une vision plus critique sur le monde et, peut-être, plus d’humanité.

Marie-Caroline est passionnée par les bâtiments sexy en béton brut : grattes-ciels, ports, centrales et monuments brutalistes au look communiste. Elle vit à Paris mais dans sa tête, elle est partout ailleurs, surtout s’il y a l’océan pas loin. Au quotidien, elle gère la ville. En vacances, elle la découvre.