Jérusalem, la ville dans tous ses états

Jérusalem, 700 000 habitants.
7 collines
7 portes pour accéder à la vieille ville

Un tiers de religieux juifs orthodoxes
Un tiers de juifs non orthodoxes
Un tiers de population arabe et non juive

Quatre quartiers dans la vieille ville

Le quartier chrétien
Le quartier musulman
Le quartier juif
Le quartier arménien

Au cœur de la ville, mille feux, mille manière d’être, mille territoires

Plan de la vieille ville de Jérusalem ©David Bjorgen / Wikipédia

Comment gérer ces mille territoires ?

Il nous faut penser le Lieu de l’Autre dans la ville.

Le lieu de l’Autre c’est celui qui prête son nom à tous ses habitants pour qu’une unité soit possible entre eux afin de cohabiter et de circuler dans la ville .

À Jérusalem, l’Autre ne manque pas de visages possibles mais tous différemment praticables.

La ville aux mille parcelles de territoire, la richesse identitaire de cette palette exquise et profonde nous interpelle et nous bouscule.
Jérusalem cherche le diapason de son unité pour éviter son morcellement
Il lui faut apprendre comment passer les frontières entre les différentes parcelles. La ville doit répondre à un défi permanent, ne pas se laisser enfermer dans un esprit clanique pour gérer chacun son territoire.

La ville est en quête des forces de médiations, les espaces de dialogues, et de respect mutuel, les passe-frontières . Elle se préoccupe de bâtir des espaces transitionnels, des ponts, des passerelles, pour éviter l’envahissement de la ville par des murs infranchissables, ceux de la défiance exacerbée chargée de violence.

Jérusalem, ville de médiations

Qui s’occupe de la médiation entre les mille partis ? De qui s’agit il ?
Attend t-on cette médiation de Celui que les trois monothéismes invoquent, le Créateur l’Unique ou encore de l’Etat démocratique chargé de la protection de tous les citoyens sans distinction de religions, d’ethnies et de conviction politique ?

En fait, à Jérusalem l’Un qui apparaît dans le Créateur et l’Autre qui se tient dans l’Etat se retrouvent l’un et l’autre dans une grave impasse .
Le Créateur possède au moins trois admirateurs monothéistes qui sont en difficulté pour partager son Nom . Pourtant chacun d’entre eux sont d’accord pour le poser comme Un, Unique et insécable…

L’Etat a du mal à s’imposer. Il est revendiqué par au moins trois princes pour le gouverner : l’Etat d’Israël, l’Autorité Palestinienne, l’Instance internationale.

Jérusalem est aujourd’hui sous la coupe de l’Etat démocratique d’Israël.

Chacun ne manque pas d’arguments pour justifier et légitimer sa position. Il nous faut les écouter, les comprendre, les mettre en dialogue.

Jérusalem s’énonce clairement israélienne, car le peuple d’Israël , par l’intermédiaire du roi David et de quelques prophètes sont les fondateurs de la ville. Ce peuple avait toujours prévu dans son parcours historique d’y revenir. « L’an prochain à Jerusalem » était son crédo. Il a assuré une présence continue dans la ville depuis la destruction de son Temple en 70 de l’ère chrétienne.Aujourd’hui depuis 1948, il a intégré Jérusalem dans son nouvel état. En 1967, il s’installe sur la totalité de la ville.

Mais Jérusalem se sent évidemment palestinienne, parce qu’avant d’être de nouveau redevenue israélienne, elle portait depuis 2 000 ans l’identité palestinienne, pour les juifs, les chrétiens et les musulmans. Les romains lui ont donné le nom de Palestine lorsqu’ils ont conquis le pays d’Israël.
Un peuple palestinien la revendique aujourd’hui au nom de l’Islam et au nom d’une nation, quelquefois aussi au nom des Philistins ou des Cananéens-jébuséens… Les marocains, les jordaniens, héritiers de l’Islam et de Mohamed soutiennent les lieux saints.

Enfin, Jérusalem s’éprouve profondément chrétienne car c’est le lieu d’un pèlerinage fondamental, là où Jésus a vécu et été crucifié puis ressuscité. La ville a accueilli les croisades, les rêves d’un Occident en quête de leur origine et de leur identité, elle en garde les empreintes.

À travers tous ses parcours, Jérusalem semble vouer à appartenir au patrimoine de l’humanité, car son histoire l’inscrit au cœur de plusieurs civilisation qui s’entrecroisent entre ses murs.

Jérusalem s’écrit sans difficulté au pluriel dans le ciel de nos pensées, « tous égaux tous différents » mais au sol, chacun se bat pour son lopin de terre.

La ville est un puzzle. Son découpage territorial est toujours lié à des affaires géopolitiques : Des luttes, des combats, des prises de possessions, des rivalités féroces, alimentent ses tensions.

Le Puzzle indique le morcellement, mais une fois reconstituée, chaque pièce ayant trouvée sa place, il peut présenter un tableau riche et intéressant pour chacun des partenaires qui y ont participé.

Le passant et le passeur dans Jérusalem

Quel plaisir émerge chez ce passant qui rend visite dans la ville sainte. Ce visiteur papillonne de lieu en lieu, il se dirige du Saint Sépulcre chrétien vers le mur des lamentations vestige du Temple d’Israël, et cherche à accéder à la mosquée d’El Aqsa et au dôme du Rocher de la communauté musulmane. Une douce sensation d’unité à travers son errance de lieu en lieu, se dégage en lui.

La ville est un concert de princes et de gouverneurs, d’histoires sanglantes, d’anecdotes puissantes et de légendes persistantes,cumulées et enchevêtrées les unes dans les autres.

La Porte de Jaffa à Jérusalem ©YellowSingle / Getty Images

Les pierres témoignent, elles transpirent, elles suintent, elles éclaboussent de lumière, elles font monter un chant profond à travers leurs brèches et leurs fissures, elles constituent l’orchestre symphonique de 3000 ans de civilisations successives, le chef d’orchestre semble tétraplégique.

Les jébuséens, les israéliens, les philistins, les égyptiens, les perses, les grecs, les romains, les mamelouk, les turcs, les anglais et de nouveau le retour des israéliens et le réveil national des palestiniens sont venus tracer leurs empreintes sur chacune des pierres qui fredonnent la valse de l’histoire des civilisations.

Quel plaisir pour ce touriste de passer entre les pierres, de les décrypter sagement, de leur redonner du sens, de les faire parler en soi, chacun de son lieu pour écouter la résonance qu’elle occupe dans sa mémoire d’enfant et la place qu’elle gère dans l’inconscient collectif des peuples.

L’Autre, la loi et la ville

Résoudre l’équation d’une loi composée de trois visages qui émergent successivement dans les révélations des prophètes, se côtoie en haute tension avec la rationalité scientifique et le bon sens et doit intégrer d’autres lois issues de la démocratie des peuples qui font avancer l’histoire , est une rude épreuve.

Un dialogue doit se construire entre les trois sources de la loi qui organisent notre pensée . La philosophie, la sagesse, la méditation, la foi , sont convoquée chacune à leur tour pour servir de médiateur.

Quel joie pour ce touriste qui peut sauter de rives en rives, gambader dans les champs de la pensée organisée et désorganisée, se frayer un chemin entre les ronces, éviter les chausse trappes, les gouffres et les dos d’ânes, traverser les lignes jaunes imaginaires sans être menacé de recevoir une contredanse pour sa désinvolture.

Pour circuler entre les mille territoires de Jérusalem, ce passant en ballade, ce nomade au milieu de la ville, ce bohème inspiré, cet artiste en mouvement, cet âme de bédouin peut nous apporter un enseignement précieux sur notre capacité d’investir et d’habiter cette ville, sa diversité et ses mille territoires. Il circule librement entre les murs sensibles, il joui de leur différence et quelquefois semble même les ignorer.

Vivre à Jérusalem, ne consiste t-il pas à renouer pour chacun d’entre nous avec la dimension du passeur qui réside en nous ?

Le passeur se rappelle avec modestie et humilité que nous ne sommes que de passage, dans ce monde, seulement de passage de génération en génération.

Il s’interroge à quoi sert la guerre, la haine, la violence ?

Nous ne faisons que passer, nous ne sommes que de grands touristes en ballade pour aller visiter les milles territoires de Jérusalem et les 1000 contrées de cette humanité.

Henri Cohen Solal est psychanalyste et docteur en psychologie.
Il est également fondateur du Collège Doctoral « Paris-Jérusalem » qui s’adresse et qui réunit principalement des doctorants francophones palestiniens, israéliens et européens.

Il prépare un prochain colloque du 1er au 4 novembre 2014 à Jérusalem, intitulé « Jérusalem, ville de médiation ».

Crédit photo de couverture Walkerssk–1409366 / Pixabay