Le concept de balades urbaines est plutôt tendance. Nombreux sont ceux qui s’y essayent, comme Promenades urbaines ou Le voyage métropolitain, brassant plusieurs échelles et abordant différentes problématiques, toujours dans le désir de transmettre un territoire par le récit et le corps. Mais l’association L’alternative urbaine propose quelque chose de singulier. Les guides vous invitant à porter un nouveau regard sur le paysage urbain ne sont ni étudiants en urbanisme, ni paysagistes, ni même membres d’un CAUE. Ces « éclaireurs urbains » sont des personnes précaires en situation de réinsertion. Avec l’un d’eux, Léonard, un ancien SDF, nous avons découvert les dessous d’un « Paris Insoumis ». Rencontre.

 

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Logo de l’association L’alternative urbaine
 

Un parcours rouge

Samedi matin, 11h. Les gens ne se bousculent pas aux portillons. Ils s’égrainent et arrivent progressivement par petits groupes à la station de métro Pré Saint-Gervais, le point de rendez-vous. Moyenne d’âge 30 ans. Et dire que je me suis toujours dit que seuls les « vieux » étaient friands d’activités le samedi matin ! Après une attente léthargique, le petit groupe (de 10) se met en branle, avec ses poussettes et ses nouveaux nés en barboteuses. Léonard, notre éclaireur, nous a concocté un parcours chargé de valeurs révolutionnaires et sociales. Trois buttes servent d’accroche à son récit : La butte du Chapeau Rouge, les buttes Chaumont et la butte Bergeyre.

Nous partons sur les traces de Jaurès et de son célèbre discours du 25 mai 1913 dénonçant la guerre et la loi des trois ans (de service militaire) devant une assemblée populaire emplissant le butte du Chapeau rouge. Puis, ce sont les faubourgs disparus que nous allons fouler, à la recherche de vestiges du territoire des besogneux. Cités ouvrières, maisons en pierre meulières du quartier de la Mouzaïa, carrefour des trois rues « Liberté », « Egalité », « Fraternité » et coopératives scandent notre déambulation. Sous nos pieds, le sol est instable. D’anciennes carrières de pierre dont le gypse servait à usiner du plâtre servent de fondations à des quartiers entiers. Alphand, le concepteur du Parc des Buttes Chaumont, a d’ailleurs su tirer parti de ce relief accidenté pour composer un paysage urbain « Tivolien». La promenade s’achève, toujours avec un arrière goût de sang et de sueur, face à un panorama imprenable sur le Sacré Cœur, construit pour « expier les crimes » des communards. Une petite sacoche passe de main en main, la contribution est libre mais chacun met en moyenne 10 euros.

Quartier-mouzaia-qualite-vieAux abords du quartier de la Mouzaïa, entre les cités ouvrières des années 30 et les 250 petites maisons de poupées
 

Un moyen de se réconcilier avec la ville

A vue de nez, on pourrait opter pour faire endosser à Léonard l’habit d’un ancien prof d’histoire, à qui la vie aurait réservé de mauvaises surprises. En réalité, Léonard est un ancien éducateur spécialisé. Son passé d’addict l’a conduit dans la rue, où il a passé 3 mois. Il découvre l’association L’alternative urbaine au détour d’un comptoir, sur une petite annonce dans le journal. L’idée lui plaît, elle entre en résonance avec ses principes.

« En tant qu’éducateur spécialisé, j’ai l’expérience des processus de réinsertion qui fonctionnent et de ceux qui ne fonctionnent pas. Cette association me donnait la possibilité d’agir et de construire plutôt que de maintenir une dépendance. Car elles sont nombreuses celles qui s’inscrivent dans une démarche d’assistanat. Distribution de vêtements ou de nourriture, aide pour trouver une chambre en foyer etc… L’aide est immédiate mais n’ouvre pas de perspectives d’évolution. L’alternative urbaine, en revanche, représentait un véritable challenge humain. Ce n’est pas votre passé qui compte, mais ce que vous racontez. Votre histoire n’étant pas écrite sur votre visage, les gens voient en vous non pas un ancien SDF, mais un guide, un transmetteur. »

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