Chennevières-sur-Marne est un exemple parmi d’autres de ces périphéries d’Ile-de-France qu’on peine à placer sur une carte, tant la banlieue est vaste, nombreuse et plurielle. Comme beaucoup d’autres communes franciliennes, son centre-ville peine à offrir les aménités nécessaires à l’épanouissement de ses habitants. Malgré la présence d’un théâtre et d’un conservatoire, ainsi que d’une vue imprenable sur Paris depuis les coteaux de la Marne, les rues de Chennevières restent mornes. Dans les ruelles du centre-ville, les commerces ferment et rouvrent les uns après les autres, mais pour combien de temps ? Seul le tabac et sa terrasse en plein air – agrandie depuis le déconfinement – réussissent à faire le plein, mais ils profitent bien plus à un cercle d’habitués qu’aux habitants du quartier.

Au milieu de ce triste décor, des initiatives émergent. C’est le cas du projet de la Plaine des Bordes, un espace naturel préservé de 44 hectares, situé à l’interface entre trois communes – Chennevières-sur-Marne, Champigny-sur-Marne et le Plessis-Trévise. Le contexte urbain dans lequel s’insère la Plaine témoigne de la diversité des configurations adoptées par la banlieue parisienne. A proximité immédiate d’une vaste zone commerciale, regroupant de grandes enseignes de distribution, la Plaine est entourée à la fois par des quartiers pavillonnaires ainsi que par de grands ensembles d’habitat collectif. Elle est la suite logique d’un ensemble d’équipements publics qui se situent au bord de l’allée dont elle constitue l’achèvement – piscine, lycée, parc départemental. La Plaine regroupe de nombreuses activités écologiques, éducatives et responsables : entretien de ruches, exploitation d’une asinerie, projet de ferme pédagogique… Parmi elles se trouve un espace de maraîchage de 8 hectares, consacré à la culture de légumes biologiques, géré par l’association Val Bio Ile-de-France.

La première chose qui nous étonne le jour de notre visite, ce sont ces grandes serres blanches qui se détachent dans un paysage étrangement bucolique. D’après Véronique, la directrice de l’association, c’est le département qui s’est positionné en faveur de la préservation de ces anciens espaces agricoles, et qui a ensuite investi plus d’un million d’euros pour soutenir le développement du projet. L’association Val Bio Ile-de-France s’est installée sur le site en 2014, au milieu de locaux et de matériaux construits de bric et de broc, qui font le charme de cet espace. Juste à côté, une partie de la vieille ferme est restée debout. Rénovée depuis peu, elle est aujourd’hui un lieu d’accueil, un espace de vie social animé par le collectif “Les Robins des Bordes”. L’association comme le collectif ne se laissent pas éblouir par le succès de leur projet. Ils continuent d’innover et prévoient la mise en place d’ateliers de cuisine participatifs et de séances consacrées au “bien manger”, encadrés par des professionnels qualifiés. Leurs efforts se voient récompensés : d’ici quelques mois, ils s’installeront dans un nouveau bâtiment en bois, d’une superficie bien supérieure à celle qu’ils occupent actuellement dans des algecos mis à disposition par le département.

En compagnie de Véronique, la visite de l’espace de maraîchage devient plus technique. Il en faut du matériel et de l’organisation pour assurer une culture biologique rentable, dans le sens où l’association se doit d’assurer la livraison en circuit court d’environ 650 paniers chaque semaine. Ici et là dans le département, des centaines de familles profiteront d’un large panel de saveurs. Les plus modestes ne sont pas oubliés : ils bénéficient d’un tarif avantageux via le dispositif des « Paniers Solidaires », qui leur permet de participer à hauteur de 30% seulement du prix du panier. Des tomates et aubergines de l’été aux cultures de choux, poireaux et autres tubercules en hiver, le jardin regroupe actuellement plus de quatre-vingt variétés de légumes et aromates. Avec un impératif : “que les légumes puissent se tenir pendant le transport et la livraison dans les points relais, avant leur arrivée chez le consommateur”, promet Véronique d’une voix déterminée. Son pari ne pourrait être gagné sans les six salariés qui font vivre les valeurs de l’association et le socle même du projet : l’insertion sociale et professionnelle de personnes en difficulté.

Ce sont en effet un peu plus d’une trentaine de travailleurs en insertion qui viennent chaque jour manipuler les outils, contrôler la pousse des semis et assurer le développement en bonne santé des légumes issus du maraîchage. Accompagnés par des encadrants professionnels du métier, ils apprennent les gestes et les techniques adaptés à l’agriculture biologique et raisonnée. Sous les serres, des tuyaux percés serpentent au plus près des cultures. Ils témoignent de la mise en place de la méthode d’arrosage au goutte à goutte, qui permet de précieuses économies de la ressource en eau. L’association garantit chaque année 40 à 50 parcours d’insertion, ce qui lui permet de mobiliser des financements de l’Etat. Chaque employé participe au projet pour une durée maximale de deux ans. En parallèle, il est accompagné par l’association pour établir un projet économique et professionnel stable. Les publics sont divers mais répondent à des critères spécifiques. Personnes porteuses de handicap, seniors, familles aux revenus modestes et jeunes issus des quartiers prioritaires de la Politique de la Ville, sont les principaux bénéficiaires des actions de l’association.

Alors, que manque-t-il à la banlieue pour redorer son blason, aujourd’hui sali par de nombreux amalgames et par des images qui ne correspondent en rien au quotidien de ses habitants ? Le projet du Grand Paris permettra peut-être de mieux mettre en valeur les projets innovants qu’elle a su mettre en place au cours de toutes ces années. En attendant, le réseau Cocagne nous livre de précieuses informations sur les initiatives de maraîchage biologique développées en France, à l’image de ce beau projet des paniers bio du Val de Marne, testé et approuvé !

Nina Lemahieu