Le concept d’urbanisme souterrain, initié par l’architecte Édouard Utudjian en 1930, met en lumière l’importance de pleinement intégrer le sous-sol dans la planification globale des ville. Selon Utudjian, le sous-sol représente la « face cachée » du territoire urbain, offrant un potentiel significatif pour accueillir diverses fonctions et services. Ainsi, une planification adéquate des usages souterrains est essentielle, considérant le sous-sol comme une composante intégrante de la ville dans son ensemble, tant spatialement que temporellement.
À l’ère du XXIème siècle, le développement urbain se tourne de plus en plus vers la compacité et l’intensité. Dans cette optique, le sous-sol présente un potentiel majeur de densification urbaine, contribuant à rationaliser l’utilisation de l’espace et à explorer de nouveaux usages. En outre, les souterrains suscitent un intérêt croissant en tant que potentiels îlots de fraîcheur, bien que dans certains cas, ils soient confrontés à une augmentation de la température, soulevant ainsi la question cruciale : les souterrains de nos villes peuvent-ils nous aider à faire face aux défis environnementaux ?
Sous nos pieds, une température qui augmente
Dans les profondeurs urbaines, une menace insidieuse se profile, selon des chercheurs américains : les îlots de chaleur souterrains. Une récente étude de l’université Northwestern, s’intéressant particulièrement au quartier du Loop de Chicago, dévoile en effet un constat alarmant : une différence de température pouvant atteindre jusqu’à 15 °C entre les sous-sols et la surface. Ce réchauffement, résultant à la fois des conditions climatiques globales et de l’empreinte anthropique, est exacerbé par l’utilisation intensive des sous-sols par l’Homme. Les infrastructures souterraines telles que les réseaux de transport, les systèmes de chauffage et les câbles électriques libèrent une chaleur résiduelle, engendrant un excès de chaleur stocké dans les sous-sols.
Les conséquences de ces variations de température sont multiples et touchent en premier lieu les matériaux de construction. Si certains, comme le béton et l’argile, montrent des signes de détérioration sous l’effet de la chaleur, d’autres, tels que le granit ou le calcaire, résistent davantage. Cependant, cette menace ne pèse pas uniformément sur toutes les villes : les cités anciennes, principalement en Europe, construites avec des matériaux sensibles à la chaleur, se trouvent en première ligne.
Malgré l’ampleur de ce phénomène, l’étude souligne qu’aucun risque immédiat pour la sécurité des personnes n’est à craindre. Cependant, l’impact se fait sentir sur la durabilité, l’esthétique et la fonctionnalité des infrastructures souterraines, avec des effets tels que le tassement des fondations, les déviations et les fissurations. De plus, ces hausses de températures ne se limitent pas aux dommages structurels, mais affectent également les services essentiels tels que les transports en commun. Des rails de métro surchauffés contraignent parfois les rames à ralentir ou à s’arrêter, entraînant des retards et des désagréments pour les usagers.
Toutefois, face à cette menace grandissante, une lueur d’espoir émerge. Les îlots de chaleur souterrains pourraient devenir une ressource précieuse pour la décarbonisation et la durabilité des zones urbaines. Alessandro F. Rotta Loria, auteur de l’étude, propose une approche novatrice : capturer le surplus de chaleur grâce à des technologies géothermiques et le redistribuer pour alimenter les bâtiments et les réseaux énergétiques locaux. Cette transition vers une utilisation proactive de la chaleur excédentaire pourrait transformer une menace en opportunité, tout en exigeant des stratégies d’urbanisme innovantes axées sur la rénovation et l’isolation thermique des sous-sols urbains. Dans cette optique, chaque ville devrait subir une évaluation approfondie afin de mettre en place des mesures adaptées, garantissant ainsi la résilience et la durabilité de ses infrastructures face aux défis climatiques émergents.
Les souterrains comme potentiels refuges de fraîcheur
En plus de leur potentiel pour la création d’énergie, les souterrains peuvent également devenir des refuges de fraîcheur lorsque leur conception est réfléchie et qu’ils sont situés stratégiquement. Dans cette perspective, l’exposition « Vers Paris 2050« , orchestrée par le CAUE et la Ville de Paris a été enrichie par une conférence-débat portant sur le thème de l’exploration des possibilités d’investissement des sous-sols parisiens pour de nouveaux usages d’ici 2050.
Le projet étudiant « La Percée » s’est distingué comme une proposition prometteuse. Conçu par Benjamin Mann et Yin Yu lauréats du concours « Vers Paris 2050 », ce projet explore la possibilité d’investir les sous-sols parisiens pour créer des espaces de vie et de fraîcheur en réponse aux températures élevées attendues dans les décennies à venir. Pour concrétiser cette vision, « La Percée » propose, comme son nom l’indique, de “percer” la dalle des Olympiades, dans le 13ème arrondissement de Paris, selon un axe nord-sud et sur trois niveaux, afin de retrouver le sol d’origine du quartier. Ce faisant, un sillon végétalisé serait créé, favorisant la circulation de l’air frais et la création d’un espace naturel au sein de l’environnement urbain.
Parallèlement, la Ville de Paris s’engage dans l’exploitation de son réseau de froid souterrain comme réponse aux défis climatiques. Ce réseau, déjà le plus grand d’Europe, est amené à tripler de taille suite à un nouveau contrat de concession signé avec Fraîcheur de Paris. Cette initiative vise à fournir de l’eau glacée à travers un vaste réseau de canalisations souterraines, permettant de climatiser un large éventail de bâtiments, tels que des bureaux, des hôtels, des grands magasins, des musées et même des institutions comme l’Assemblée nationale. Une partie du froid est produite grâce à l’eau de la Seine, utilisée par des centrales comme celle située sous la place du Canada. Cette approche novatrice comprend également l’utilisation du « free cooling », exploitant la fraîcheur naturelle de la Seine pour refroidir l’eau du réseau, réduisant ainsi la dépendance aux moyens énergivores. La Ville de Paris voit en ce réseau de froid urbain une infrastructure stratégique dans sa transition énergétique, offrant une réponse efficace aux vagues de chaleur tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. L’expansion future de ce réseau, avec l’ajout de nouvelles centrales de production et d’installations de stockage, vise à couvrir l’ensemble du territoire parisien, fournissant ainsi une solution de refroidissement durable et efficace pour la population. Lire la suite ici.