Avez-vous déjà songé que l’architecture pouvait être influencée par un parfum, une longueur d’onde ou un vent ? Philippe Rahm fait partie de ces architectes qui chargent l’acte de construire d’une dimension onirique. Il compose avec de nouveaux outils basés sur des principes immatériels qu’il nomme conduction, digestion, radiation, pression et évaporation. Mais au-delà du simple acte poétique, l’architecte fonde sa réflexion sur une des problématiques les plus contemporaines de notre siècle, le climat, qu’il aborde dans une écriture aux confins de l’art et de la science.
 

Image : archinect.com

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On parle souvent de vous comme un théoricien et un praticien de l’architecture climatique. Que signifie ce terme ?


 
C’est un mouvement assez récent. L’école de Harvard où j’enseigne, essaie de développer depuis deux ans une sorte de nouvelle tendance qu’elle appelle « architecture thermodynamique ». Ce nom correspond à une manière de repenser le projet depuis le départ en tenant compte de la question du développement durable et de la réduction de la consommation d’énergie. Il ne s’agit plus seulement ici d’élaborer un projet d’architecture que l’on viendrait compléter de panneaux solaires ou de façades végétales mais bien de placer la question du climat et de l’efficacité énergétique au centre, remettant en question la forme architecturale dès l’origine.
 
L’architecture climatique est en quelque sorte le principe originel de l’architecture : penser un habitat qui nous protège de notre environnement et qui, d’un autre côté s’y adapte. L’architecture vernaculaire, les maisons troglodytes fraîches et les murs de papier antisismiques au Japon en sont des exemples. Dans l’histoire, l’émergence de consciences collectives a toujours marqué un tournant pour l’architecture. Au XIXe siècle, le mouvement hygiéniste a questionné les valeurs données à la nourriture, à la qualité de l’air, au travail, au repos, à l’hygiène… Cela a eu des répercussions dans l’architecture. Soufflot par exemple a redessiné le plan du dôme de l’Hôtel Dieu de Lyon pour assurer la ventilation des chambres de l’hôpital. L’architecture est une réponse à un mode de vie, à un environnement et à une préoccupation collective.
 
Par la suite, le modernisme et le post-modernisme ont répondu à un souci de « progrès », ne tenant absolument pas compte de la question de l’énergie puisqu’à cette époque les sources d’énergie étaient considérées comme inépuisables. Aujourd’hui, le tournant à saisir n’est plus celui de l’hygiène, de l’industrialisation ou du fonctionnalisme, mais celui du climat et de l’énergie. Il y a dix ans, l’émergence de la conscience écologique a donné naissance à de nouveaux principes, de nouvelles opportunités que l’architecture se doit de saisir pour être à l’image de la société qu’elle représente.
 
Le grand changement de notre temps réside dans le rapport à l’extérieur. Plus un bâtiment est isolé, plus il est hermétiquement coupé de son environnement, et plus il est écologique. C’est contradictoire avec l’idée préconçue de l’habitat durable que l’on a tendance à associer à un intérieur ouvert sur l’extérieur et intégré à son environnement. Or, la porosité des parois est à l’origine d’une perte de chaleur dans les pays froids et d’une perte de fraîcheur dans les pays chauds, provoquant une compensation par surchauffe ou « sur-refroidissement » de la part des habitants. Plus un bâtiment est isolé donc, moins l’énergie est utilisée pour compenser les conditions climatiques extérieures. En parallèle d’une recherche sur les formes d’énergie renouvelable permettant de continuer à consommer autant mais de manière durable et écologique, je travaille sur cette phase intermédiaire, celle de la transition énergétique qui appelle à la construction de poches étanches limitant les pertes et donc la consommation d’énergie. Il s’agit en quelque sorte de climats intérieurs. L’enjeu aujourd’hui est de les concevoir en tant qu’architecte, plutôt que d’en subir les conséquences techniques.
 
 

Racontez-nous justement comment vous maîtrisez ces climats intérieurs.


 
Il s’agit de comprendre les principes de base de la physique et de les appliquer à l’architecture. On le sait, le gradient idéal et universel de température pour l’homme se situe entre 18 et 29°, mais quelles sont les températures les plus appropriées à une activité donnée ? Dans une salle de sport, l’activité physique va induire une augmentation de température que notre corps va dégager. Plus cette salle sera pleine, plus ces chaleurs individuelles s’additionneront pour générer une température collective. Il n’est donc pas nécessaire de chauffer autant une salle de sport qu’une salle de réunion où les corps statiques ne produisent pas leur propre chaleur. Ce genre de petite économie d’énergie inutilement dépensée pourrait paraître anecdotique, mais, lorsque l’on sait que l’immobilier est à l’origine de 50% des dégagements de gaz à effet de serre, on prend conscience de l’impact que ces économies additionnées pourraient avoir.
 
Je me suis intéressé à appliquer ce principe à l’échelle de l’appartement. Dans une chambre à coucher, où l’on passe le plus clair de son temps sous la couette, il est possible de ne chauffer qu’à 17°, tout comme dans la cuisine, où les fours et les feux chauffent la pièce. Dans la salle de bains en revanche, où notre corps nu et mouillé est le plus exposé, il est conseillé de chauffer à 22° et 20°. Le problème auquel l’architecte se confronte ici, est celui de la partition de l’espace. Pour pouvoir différencier les températures entre les pièces, il est nécessaire de poser des cloisons, fermant ainsi la possibilité de vivre dans un espace ouvert, au plan libre. On perd la liberté de dessiner les espaces et le trait de l’architecte est alors dicté par cette contrainte thermique. C’est là où la notion de thermodynamique et d’architecture climatique apparaît, car elle ajuste la manière de dessiner les plans à l’observation scientifique. La physique nous instruit des mouvements de chaleur dans l’espace : l’air chaud, plus léger que l’air froid, occupe les strates supérieures et inhabitées. A cette loi naturelle, une proposition d’architecture verticale peut être faite. La salle de bains pourrait être disposée plus haut que le séjour, lui-même plus haut que la chambre à coucher, sans cloisonner l’espace.
 
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Le projet La chambre évaporée est un prototype de ce que pourrait être un « loft » vertical. D ‘autres solutions sont envisageables pour pouvoir habiter les strates hautes et chaudes de l’espace telles que la perforation des planchers ou la gestion des montées de l’air chaud par un escalier.
© Philippe Rahm architecte

 
 
Nous nous situons à un moment crucial où la verticalité, perdue durant la modernité, devrait être retrouvée. Gaston Bachelard dans la Poétique de l’espace fait une critique des appartements horizontaux où la disparition d’espaces comme les caves et les greniers ont entraîné avec eux la disparition de l’imaginaire qui leur était associé. Il est peut-être temps de repenser cette configuration spatiale verticale, reposant sur les transferts de chaleur, la convection, l’évaporation… représentant tous des enjeux contemporains liés au réchauffement climatique.
 
Ces climats intérieurs ne sont cependant pas totalement a-territoriaux et ces poches habitées ne sont jamais tout à fait hermétiques. L’air doit circuler, aérer l’intérieur, et l’ouverture des fenêtres doit pallier à l’humidité et au CO2 que nous dégageons en respirant. La quantité d’eau que nous libérons est encore une fois fonction de notre comportement. Durant le sommeil, notre respiration apaisée est très peu chargée en eau, au contraire d’un moment d’animation. Le taux de ventilation peut donc s’adapter à notre activité assurant le renouvellement de la quantité d’air que l’on a réellement consommée, dans le but de gérer la compétition entre ventilation nécessaire et température idéale. En effet, si on aère trop une pièce, celle-ci se refroidit inutilement.
 
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Le projet de Gulf Stream Intérieur repose sur le principe de génération d’un phénomène climatique par la polarisation dans l’espace de deux sources thermiques différentes: une source froide en haut et une source chaude en bas. Le mouvement convectif de l’air, dessine alors un paysage thermique invisible, définissant différentes zones avec différentes températures et différents usages. Le bilan global thermique de la maison est ainsi abaissé à 18 °C au lieu de 20 °C.
© Philippe Rahm architecte

 
 

Vous travaillez donc l’architecture à l’échelle du corps, sur les notions d’ambiance et de confort. Architecte sensoriel ne vous conviendrait-il pas mieux qu’architecte climatique ?


 
C’est tout de même la question du réchauffement climatique qui est à l’origine de ma pensée et qui motive mon travail…
 

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