Vous êtes spécialiste de l’architecture en terre crue et faites partie du laboratoire de recherche CRA’Terre implanté à Grenoble depuis 1979, quelles sont les valeurs portées par le laboratoire depuis toutes ces années ? Quel est votre parcours et votre rôle au sein du laboratoire ?

« Mon parcours vers l’architecture en terre crue a commencé avec mon diplôme en 2010 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble. C’est lors de ce cursus que j’ai découvert son véritable potentiel, j’ai rapidement compris que ce matériau, bien que traditionnel, offrait des solutions innovantes et durables pour répondre aux défis contemporains de la construction. Après avoir obtenu mon diplôme et effectué mes deux années de spécialisation en terre crue, j’ai intégré l’équipe de CRA’Terre en tant que chercheur. En parallèle, je m’engage activement dans la promotion de l’architecture en terre crue au sein de Gasnier-Eco. Cette agence se concentre sur la construction en bois, les maisons passives et la performance énergétique, tout en intégrant la terre de manière contemporaine et durable.

Chez CRA’Terre, nous nous concentrons sur trois axes principaux : l’utilisation des ressources locales, la conservation du patrimoine en terre et l’amélioration des conditions de vie à travers l’habitat. Pour chacun de ces axes, notre objectif est de générer et de diffuser des connaissances. Aujourd’hui, notre plus grand défi consiste à préserver le patrimoine bâti en terre et le savoir-faire associé, afin de favoriser l’innovation et de promouvoir ces pratiques.

©CRA’Terre

En tant que membre de ce laboratoire, mon rôle s’étend sur plusieurs facettes. Je suis impliqué dans la recherche, où nous explorons les propriétés uniques de la terre et accompagnons le développement de nouvelles méthodes de construction. Je suis également engagé dans l’enseignement et la diffusion de nos connaissances. C’est un aspect essentiel de notre mission, nous croyons fermement que la formation des nouvelles générations d’architectes et d’ingénieurs est cruciale pour perpétuer et moderniser l’usage de la terre crue. Ces dix dernières années, il y a eu une forte demande de la part des architectes pour pouvoir construire en terre, mais il n’existait pratiquement pas de bureau d’études spécialisé dans ces questions. Avec l’aide d’un groupe composé à la fois de membres de CRA’Terre, de bureaux d’études et d’entreprises, nous avons œuvré collectivement pour faire avancer des projets en terre et faire face à toutes les problématiques de normalisation.« 

La terre crue se présente comme un matériau d’avenir, mais peut-elle rivaliser contre le béton conventionnel, en termes de propriétés physiques et de coût ?

« Nous avons l’habitude de qualifier la terre crue de “béton naturel”. Tout comme le béton de ciment, elle est constituée de deux éléments distincts. Tout d’abord, un squelette granulaire constitué de cailloux, de graviers ou de sable, puis un liant, tel que l’argile, qui vient agréger l’ensemble. L’intérêt de l’argile comme liant, c’est qu’il est naturel et réversible.

En termes de résistance mécanique, la terre n’est pas aussi performante que le béton de ciment, mais elle excelle dans la régulation hygrothermique et l’inertie, c’est-à-dire qu’elle maintient un équilibre optimal entre l’humidité et la température, offrant ainsi des avantages significatifs en confort d’intérieur. Sur le plan esthétique, la terre a également des qualités d’ambiance et apporte une atmosphère chaleureuse. Bien que sa résistance mécanique soit inférieure au béton de ciment, la clé réside dans l’utilisation judicieuse des matériaux en fonction de leurs propriétés. Plutôt que de les opposer, la conception contemporaine privilégie une mixité de matériaux, permettant d’utiliser chaque matériau là où il excelle. Il n’est pas forcément nécessaire d’opter pour du béton ciment dans la construction de maisons ou de bâtiments allant jusqu’à deux étages, car la résistance mécanique de la terre et du bois est amplement suffisante. Cette approche intelligente permet de répondre aux défis environnementaux mais aussi de préserver les ressources.

En comparant les coûts de la construction en terre crue avec ceux du béton, plusieurs facteurs doivent être pris en compte. D’un point de vue financier, la construction en terre crue peut s’avérer plus onéreuse que le béton conventionnel. Ceci est dû, en partie, à la nature moins industrialisée de la construction en terre et à la main-d’œuvre spécialisée nécessaire plus coûteuse. Cependant, cette comparaison directe ne reflète pas toute la réalité.

Il est important de considérer le coût environnemental et social de chaque matériau. La terre crue, en tant que matériau naturel, peu transformé et non cuit, présente un impact carbone significativement plus faible que le béton. Cet impact restreint est un avantage considérable dans le contexte actuel de la crise climatique et de la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Elle favorise également l’emploi local et valorise les savoir-faire traditionnels et artisanaux. Ces aspects contribuent à un coût social et écologique positif, qui, bien que difficilement quantifiable en termes financiers, est essentiel pour une approche responsable de la construction.

©CRA’Terre

Il convient aussi de prendre en compte la durabilité et les coûts d’entretien sur le long terme. Les bâtiments en terre crue, correctement conçus et préservés, peuvent avoir une durée de vie très longue avec des coûts d’entretien inférieurs à ceux des bâtiments en béton. En règle générale, je ne préfère pas parler du matériau de terre en tant que tel mais plutôt d’architecture de terre, mettant en lumière la capacité à utiliser et manipuler ce matériau de manière optimale. Une architecture bien réalisée constitue un préalable essentiel pour assurer la tenue et la durabilité du matériau en visant à le protéger. En architecture de terre, nous avons d’ailleurs souvent pour habitude de dire « il faut de bonnes bottes et un bon chapeau » – il faut des soubassements solides et une toiture de qualité qui protègent les murs. Cela souligne l’importance d’enseigner la construction en terre crue dans les écoles d’architecture, et pas seulement en écoles d’ingénieurs.« 

Utilisées depuis des millénaires, quelles sont aujourd’hui les techniques les plus récentes de transformation et de construction de la terre crue ?

« Ce matériau offre une grande diversité de technique. Par exemple, le pisé, une méthode  qui consiste à compacter des couches de terre humide tous les 15 centimètres dans un coffrage. Une autre technique, Lire la suite.

Image de couverture ©CRATerre