Anne Lacaton, une des deux dernières lauréates en date du prix Pritzker déclarait à cette occasion « La démolition est un gaspillage de beaucoup de choses – un gaspillage d’énergie, un gaspillage de matériaux et un gaspillage de l’histoire ». Une déclaration qui met sur le devant de la scène un mouvement qui semble se renforcer d’année en année, celui de la réhabilitation en architecture.

Dans le cadre du patrimoine bâti de style brutaliste, ces transformations doivent répondre à des défis particuliers, qu’elles soient de nature technique ou liées à la perception du grand public de ce mouvement architectural singulier, symbole d’un autre siècle.

Le brutalisme : entre amour et haine

Le brutalisme en architecture est défini comme étant une “tendance architecturale contemporaine qui privilégie l’emploi de matériaux bruts, la non-dissimulation de l’infrastructure technique et la liberté des plans.”

Ce mouvement architectural est reconnaissable par ses assemblages et répétitions d’éléments structurels, le plus souvent de ses fenêtres. C’est un style brut et fonctionnel qui se passe d’ornements et de fioritures, avec une utilisation plus fréquente du béton comme matériau principal. Il est  issu d’un mouvement moderne, hérité du Royaume-Uni et s’est développé après la Seconde Guerre mondiale dans les années 1950. Durant cette période, les destructions causées par les bombardements, ajoutées aux difficultés économiques dans le pays, ont poussé les pouvoirs publics à promouvoir des modes de construction bon marché pour l’habitat mais également pour les espaces commerciaux et bâtiments publics. Ces techniques se sont avérées très efficaces dans la reconstruction du pays. C’est pourquoi le brutalisme a rapidement inspiré d’autres pays et atteint son apogée au milieu des années 1970 au niveau international. C’est ainsi que de nombreux architectes ont adopté et s’approprient depuis, ce style architectural et ses caractéristiques singulières.

L’inspiration initiale de ce mouvement moderne provient principalement des œuvres architecturales de Le Corbusier. En effet, lorsque l’on évoque ce dernier, on pense aussitôt à son projet d’Unité d’habitationcomprenant la célèbre Cité radieuse de Marseille ou  encore au Complexe du capitole de Chandigarh en Inde. Des chef-d’œuvres aujourd’hui classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, tous réalisés sur les principes du courant brutaliste avec l’utilisation du béton armé.

Pour autant, quelques décennies après l’essor du mouvement, à l’occasion des rénovations urbaines notamment, le rapport à l’esthétique brutaliste a divisé les pensées. D’un côté, certains ont appelé à la démolition de ces immeubles, jugés sans valeur architecturale. De l’autre, nombreux revendiquent le droit de préserver ces bâtisses, perçues comme étant des chefs-d’œuvre architecturaux. Alors qu’aux Etats-Unis certains immeubles brutalistes sont classés “bâtiment le plus laid au monde”, au Royaume-Uni, les édifices de ce mouvement sont intégrés, depuis 2012, au sein de la liste des monuments protégés par le Fonds mondial pour les monuments. Cette différence de point de vue s’explique principalement parce que l’architecture brutaliste a été pensée de manière à trouver des solutions de reconstruction rapide, avec peu de moyens financiers pour reloger les citoyens. Avec la pénurie des matériaux d’après-guerre, le béton, la brique et le bois ont alors été utilisés et de manière brute, dans la majorité des reconstructions urbaines. L’art brutaliste est alors une forme née de la nécessité et c’est pourquoi après les années 70, il a peu à peu été critiqué et associé à la pauvreté et au déclin social.

©️Source : Samuel Regan-Asante sur Unsplash

Cette ambiguïté sur l’esthétique du brutalisme a engendré un délaissement des immeubles bâtis durant cette période. Seulement, comme pour tous les bâtiments, un entretien régulier est nécessaire. De plus, le béton est un matériau ayant tendance à se détériorer rapidement en raison de la rouille des renforts métalliques intérieurs. Les bâtiments publics et habitations conçus durant cette période souffrent donc aujourd’hui de négligences. On les retrouve d’ailleurs souvent aujourd’hui dans des conditions d’insalubrité, inadaptées au confort et normes actuelles. La dégradation et le délaissement du bâti ancien construit durant cette période d’après guerre, ont poussé l’Etat à s’engager dans une démarche de politique de rénovation urbaine radicale, par le développement d’une action de démolition/reconstruction neuve. Une action qui a engagé la destruction de plusieurs immeubles d’architecture brutaliste.

Ces démarches ont ainsi intensifié les débats sur la préservation du brutalisme et certains admirateurs tentent de défendre cette architecture. C’est le cas des principaux représentants de ce courant que sont entre autres Marcel Breuer, Ernő Goldfinger, Jacques Kalisz ou encore Bertrand Goldberg. Le Corbusier a également participé à la sauvegarde du brutalisme, qu’il considère comme une forme d’architecture révolutionnaire portant un message social et politique dans une période de crise sévère. Pour les modernistes, ces techniques architecturales possèdent des atouts importants qu’il ne faut pas négliger. En effet, le béton était un matériau futuriste pour l’époque, en mesure de réaliser les rêves utopiques d’habitat de masse et de rénovation urbaine et ces revendications ne sont pas passées inaperçues. En 1972, La tour Trellick de Londres de 31 étages, conçue par l’architecte Erno Goldfinger, a été classée monument historique pour son aspect architectural décrit comme étant exceptionnel en 1998. Aujourd’hui,on observe une véritable renaissance du style brutaliste qui est réapproprié dans l’art et la culture populaire. En effet, des photographies artistiques, des fresques de street art, mais également un développement de son usage marqué dans la conception de films de science-fiction apparaissent et permettent le renouveau de cette architecture.

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Crédits photo de couverture © Victor Huang Getty Images